AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
Citations sur La révolte des filles perdues (26)

Ce qui est sûr, je crois, c’est que les orphelins de père, de mère, de frère, de sœur, ensuite, ont une connaissance en partage. (…)
Avec l’âge, nous finissons tous par porter un brassard noir. Mais eux, les adultes, qui nous rejoignent dans le deuil, existaient avant le deuil. Ils sont changés, amputés, ils ne sont plus les mêmes, mais ils existaient : nous n’existions pas avant, nous n’étions pas finis, pas grandis : nous sommes qui nous sommes car ils sont morts : nous serions une autre personne, une personne à des milliers d’années-lumière de nous-mêmes, s’ils avaient vécu. Leur mort nous a faits ; nous en sommes nés tels que nous sommes, tels que leur mort nous a fait advenir, nous a façonnés, construits. Nous avons poussé à la lumière de l’astre de la mort, avons été irrigués par la source intarissable de la mort. Nous sommes l’être que nous sommes « à cause de » leur mort, « grâce à » leur mort, la distinction n’a aucun sens. Ainsi nous sommes des vers. Ainsi nous sentons que nous sommes des vers. Charognes et charognards, dans nos berceaux, nos petits lits, nos lits d’enfance, d’adolescence, nous sommes, pensons-nous.
Commenter  J’apprécie          20
Un écrivain n’a pas le choix. Dans un livre, il verse de lui-même, avec divers détours ou tout droitement il le fait, et même si l’on ne veut pas se déverser, il faut bien aller puiser à la source pour irriguer le livre et les personnes qui le peuplent. Mais parfois, alors que l’écrivain écrit, le flux s’inverse, à la façon d’un mascaret. Comme le courant du fleuve s’inverse depuis l’estuaire, la mer, l’océan, soulevée par la marée l’onde remonte vers la source, la vague depuis les mots retourne vers le corps et vient frapper le cœur.
Commenter  J’apprécie          20
Valère lui avait dit : Oui, tu vois, on parle de l’esclavage immémorial des femmes, à raison, mais les hommes sont toujours allés se faire tuer. Ça n’est pas mieux. Théo avait dit oui, mais ce ne sont pas les femmes qui les envoyaient se faire tuer. Qu’en sais-tu ? avait répondu Valère. Sans doute avaient-ils peur pour leurs femmes et leurs enfants, et c’est pour ça qu’ils partaient tuer et se faire tuer.
Commenter  J’apprécie          20
[En hôpital psychiatrique] Il y a aussi les assommés. Ceux qui bougent comme pris dans une lenteur infinie, dans un mélange de coton, de plâtre et d’ailes de mouche, les bras ballants, le regard qui s’évase et ne fixe rien, comme s’il se dissolvait dans l’air et la tristesse. Chaque seconde semble les plonger dans une totale perplexité. À chaque seconde : transporté en bas d’un Everest à franchir. Qu’est-ce que je fais là ? Qu’est-ce que je fais là dans ma vie, dans cette vie-là ? Dans un monde qui existe et bouge, où il y a des portes, un ciel, des gens qui fonctionnent et ont l’air de savoir ce qu’ils font et de se diriger vers des lieux ? Ils ont cette expression, ces alentis ; mais ils ne pensent pas tout ça, ils ne se posent aucune question. Ils traversent des murs transparents, et encore, et encore, l’un après l’autre, des immensités de murs transparents, des cloisons de poussière, l’un après l’autre, et derrière il n’y a rien, rien qui les attende, savent-ils, qu’un autre mur transparent à traverser, vers rien.
Commenter  J’apprécie          20
Dans la liste, à côté de certains noms, sont inscrites les initiales P. A. Je me demande ce que cela désigne jusqu’à ce que je lise une phrase d’explication sur une autre feuille : Beaucoup de ces filles sont des éléments très pervers et actives dans leur perversité : P. A. – Perversion active. L’homosexualité, toujours. Parmi celles qui devraient aller dans les établissements les plus cléments, les moins sévères, cinq noms sont mis de côté, séparés des autres : des mineures condamnées pour crime. Elles ont atterri là à cause d’un manque de place, de structure, ailleurs. Dans ces criminelles, il y a une empoisonneuse qui a tué un bébé qu’elle gardait, une parricide, deux donneuses de maquis responsables du massacre de la ferme de la Fosse, dans lequel trois parachutistes anglais ont été tués par des SS, avec la fermière qui les cachait et son fils, avant d’être brûlés, et une collaboratrice des criminels français de la Milice. Ce n’est pas l’inspecteur qui détaille leurs méfaits, je les découvre dans d’autres documents historiques. Ce qui lui importe ici, c’est leur attitude impeccable, leurs bonnes mœurs, elles risquent la mauvaise influence des filles qui disent des gros mots ou tiennent tête aux surveillantes : leur tenue est bonne, leur comportement apprécié, elles ne devraient pas, juge-t-il, être contraintes de côtoyer la catégorie des P. A. Jeunes filles convenables, elles doivent être préservées de l’influence délétère des autres, celles qui s’embrassent la nuit.
Commenter  J’apprécie          20
Elle raconte aussi la punition d’une de ses camarades, Marguerite, mise au cachot pour s’être battue : la jeune fille d’abord résiste, en tapant à la porte avec ses pieds, allongée sur le dos car elle a les mains attachées. Le gardien se jette sur elle parce qu’elle l’a injurié, lui donne des coups de pied dans le ventre et « la camisole ». Quand on serre les manches très fort dans le dos et que l’on comprime le buste, explique le journaliste, la camisole est un véritable supplice. J’ai vu, accrochée à un mur, dans une exposition sur l’histoire de la jeunesse délinquante, l’une de celles qu’on utilisait dans ces établissements : énorme, épaisse, avec des liens de cuir. À la voir, on se sent devenir fou. À la voir, on a envie de se taper la tête contre les murs. Marguerite n’est délivrée que lorsqu’elle est violette. Après quoi elle fait soixante jours les mains attachées, obligée pour manger de s’étendre par terre. Du pain sec, qu’elle doit laper comme fait un chien dans son écuelle. Au bout de deux mois, on l’extrait du cachot : elle était blafarde mais elle était matée.
Commenter  J’apprécie          21
Certaines d’entre elles sont bien de petites délinquantes, comme Jacqueline, fille de ferme, qui a volé quelques centaines de francs pour aller rejoindre son amant, ou Marcelle, employée de maison qui a subtilisé des vêtements de sa patronne. Issues de familles moins pauvres, ou si elles avaient paru plus convenables, elles auraient été rendues à leurs parents après avoir été grondées. D’autres mineures se sont prostituées – ce qui n’est pas, à l’époque comme aujourd’hui, un délit pénal. Pour cela, il suffit parfois d’avoir accepté les cadeaux d’un amant ou d’un soldat américain, ou d’avoir partagé son hôtel. Beaucoup ont été coffrées pour vagabondage : une notion floue dépénalisée en 1935 qui, concernant les mineurs, permet à la justice de sanctionner les fugues par un placement en institution jusqu’à la majorité, surtout si elles sont aggravées par des suspicions de prostitution ou seulement une tendance à la « débauche » : fréquentation de bals, fêtes foraines, guinguettes, cafés, dancings, liaisons avec des garçons, avec un homme jugé louche, ou parfois, encore pire, un homme nord-africain. Un juge peut donc décider d’enfermer en institution corrective toutes ces adolescentes, qui ont très souvent fui la violence familiale, des abus sexuels ou la grande pauvreté. On commence à utiliser la notion fourre-tout de « prédélinquance. » Selon leur attitude, on peut les y laisser jusqu’à leur majorité, les remettre à leurs parents ou les placer chez des employeurs, le plus souvent comme bonnes à tout faire, « domestiques de peine » ou gardes d’enfant avec interdiction de quitter leur emploi. Avant les vingt et un ans, la majorité, il n’y a pas de limite à la mainmise du juge. La décision est même parfois prise à la demande des parents mécontents de la conduite de leur progéniture, au titre de ce qu’on appelait « la correction paternelle ». Ce sont donc dès le départ avant tout leur moralité, leur comportement, leur milieu d’origine jugé déficient ou dangereux, qui valent à ces mauvaises filles d’être à l’ombre, pas les délits qu’elles ont ou n’ont pas commis, ni les articles du Code pénal. À Fresnes comme ailleurs, certaines sont ainsi enfermées depuis plus de dix années et, avant ça, derrière les murs depuis l’enfance, élevées dans des couvents, des « refuges ».
Commenter  J’apprécie          20
Lorsque j’étais journaliste, j’étais plutôt une mauvaise journaliste car j’avais toujours peur de déranger les gens, d’être indiscrète ; mais en exerçant ce métier, j’ai tout de même appris que c’est en bougeant son cul et en discutant face à face que l’on apprend des choses qu’on ne soupçonnait pas. Sinon, on ne tombe que sur ce qu’on cherche, sur ce qu’on croit déjà savoir.
Commenter  J’apprécie          10
Clermont accueillait deux sections, l’une située dans le donjon, où l’on mettait les criminelles condamnées et les jeunes filles punies des autres maisons de redressement. L’autre était l’école de préservation, qui deviendra l’IPES. Quand les pupilles étaient punies, on les envoyait également au donjon ; de toute façon, le traitement entre les sections différait peu.
Commenter  J’apprécie          10
À Fresnes, en 1947, est incarcéré Xavier Vallat. Xavier Vallat, antisémite de toujours, antisémite à jamais, commissaire général aux questions juives du gouvernement de Vichy jusqu’en 1942, décisionnaire et exécutant de la seconde vague de persécutions antisémites instaurées par le régime de Vichy, et du recensement qui permettra plus tard – mais jamais il ne s’en sentira responsable – de les rafler pour les assassiner après un chemin de torture. Il prépare sa défense, développe son argumentaire, ameute des témoins de moralité. Il sera condamné à dix ans de travaux forcés, ne fera que trois ans de prison.
Commenter  J’apprécie          10







    Lecteurs (143) Voir plus



    Quiz Voir plus

    Les emmerdeuses de la littérature

    Les femmes écrivains ont souvent rencontré l'hostilité de leurs confrères. Mais il y a une exception parmi eux, un homme qui les a défendues, lequel?

    Houellebecq
    Flaubert
    Edmond de Goncourt
    Maupassant
    Eric Zemmour

    10 questions
    568 lecteurs ont répondu
    Thèmes : écriture , féminisme , luttes politiquesCréer un quiz sur ce livre

    {* *}