Publié pour la première fois en 2009,
Gagner la guerre a depuis, gagné ses lettres de noblesse. Devenu un des monuments du genre, il prouve que la fantasy française peut offrir des oeuvres d'ampleur. Mais se lancer dans un tel monument, cela peut être intimidant. Et si je n'accrochais pas ? Et si je m'ennuyais pendant ces centaines et ces centaines de pages ?…
Trois semaines de lecture et quasiment 700 pages plus tard, verdict : j'ai A-DO-RÉ !
Gagner la guerre c'est l'histoire de Don Benvenuto Gesufal, un personnage peu fréquentable (c'est le moins que l'on puisse dire), assassin particulier de Leonide Ducatore, un des podestats de la République de Ciudalia.
Benvenuto nous livre son histoire telle qu'elle est, authentique et sans censure. Alors oui, les mémoires d'un méchant sont remplies d'actes odieux et de pensées détestables, mais elles appartiennent à un méchant ; il ne peut en être autrement. le narrateur est un assassin, un tueur de sang froid, un mercenaire, un voleur, un truand, un menteur, un violeur… il agit et pense comme tel. La seule chose qui compte pour lui c'est sa survie dans un monde où les manipulations politiques vont bon train. S'il doit comploter, mentir, violenter, tuer… il le fait et sans aucun remord. Il ne s'embarrasse pas de morale. Non, ce n'est ni politiquement correct ni édulcoré. Alors non, si ce genre de personnages vous dérangent et vous fâchent, ne lisez pas les aventures de Benvenuto car
Jean-Philippe Jaworski ne nous épargne aucun détail.
Et c'est là également la force de ce livre : le détail. Les descriptions sont telles que le lecteur est transporté au coeur de l'action, auprès de Benvenuto : sur un bateau, dans des geôles, dans la cité de Ciudalia, au coeur de la forêt, dans une auberge… tout prend vie sous nos yeux, l'expérience est totale.
Je n'oublierai pas de sitôt les quelques jours passés en prison en compagnie du narrateur alors qu'il souffre de nombreuses blessures, notamment au niveau de son visage, boursouflé de pus et de tuméfactions. Yeurk. L'exécution devant un palais de Ciudalia, me laisse également des souvenirs assez vifs du bruit des corps qui s'entrechoquent et tombent lourdement sur les pavés. Que dire des scènes de poursuite sur les toits de Ciudalia, dignes d'un film de capes et d'épées ! Quant à l'angoisse des nuits dans la forêt, visitées par une petite fille un peu trop présente… J'en ai encore des frissons dans le dos !
Vous souhaitez de la dark fantasy avec du sang, de la boue, des humeurs visqueuses et tout le toutim : allez-y. En revanche, si les nombreuses et longues descriptions dans lesquelles rien ne nous est épargné ne vous intéressent pas,
Gagner la guerre n'est peut-être pas fait pour vous.
Malgré tout, l'auteur sait mener sa barque. Souvent qualifié de littéraire et dense, le style de
Jean-Philippe Jaworski est surtout si bien maîtrisé qu'il s'avère très fluide – mais jamais pompeux ! – malgré le soin qui lui est apporté.
Et puis, même si on n'est d'accord ni avec les agissements ni avec les pensées de Benvenuto, on suit ses aventures jusqu'au bout car c'est un narrateur hors pair qui accroche son lectorat et ne le lâche plus jusqu'à la dernière page ! Tant de verve et de bagout (l'argot de la Guilde… exceptionnel !) chez ce personnage qui mêle ironie et humour aux scènes les plus violentes et difficiles. le court chapitre 11, dans lequel il s'adresse directement à ses lecteurs, vaut son pesant d'or !
En suivant ce salopard, c'est toute la politique du Vieux Royaume que l'on découvre. Finalement, Benvenuto n'est qu'un pion, loyal à son patron qui a des vues certaines sur les royaumes d'à côté. Un pion qui se retrouve sur un échiquier qu'il ne maîtrise finalement pas si bien que ça.
Les politiciens sont des manipulateurs ; Benvenuto évolue dans un vrai panier de crabes ! Il vaut mieux se méfier de tout et de tout le monde, et surtout de ses alliés car au final, chacun fait cavalier seul et peut vous planter un couteau dans le dos… Benvenuto autant que les autres !
Avec
Gagner la guerre,
Jaworski met en scène un salopard de A à Z et le fait avec brio ! Benvenuto est un narrateur exceptionnel qu'on adore lire, mais un sale type qu'on ne prendrait ni comme ami ni comme modèle !
Ma lecture terminée, je n'ai qu'une envie : m'y replonger en écoutant la version audio et relire l'adaptation en BD et le merveilleux recueil
Janua Vera !
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