Citations sur La Poursuite de l'idéal (77)
Après avoir hérité de sa famille d’un portefeuille d’idées toutes faites, puis, plus tard, de ses copains, d’un carnet d’idées nouvelles, Cyrille se trouvait à présent seul depuis que son séjour à Madère avait passé par-dessus bord portefeuille et carnet ; il devait penser et évaluer le monde par lui-même, effort surhumain et donc impossible.
Et tout lecteur est un homme d’autrefois, d’avant les écrans, en ces temps du péché originel, de la messe du dimanche, du dos courbé, des moissons, des fêtes de village. Plutôt l’odeur du purin, que la fadeur des écrans tactiles !
Tu te trompes : il n’y a aucune psychologie dans James Bond, uniquement des rapports de force… Quand 007 couche avec une fille, la plupart du temps cette dernière cache un revolver ou un couteau dans son porte-jarretelles, elle utilise l’amour pour tuer l’espion britannique… Si James ne se méfiait pas des femmes, il serait mort depuis longtemps ! Eh bien, en amour, c’est pareil : tu dois être sur tes gardes, ne pas te laisser entraîner par les sentiments, tu dois les dompter, les maîtriser, ne pas en être le jouet ! Oblige-toi à être méchant, entraîne-toi, séduit une fille, puis laisse-la tomber… Cesse d’être un nigaud qui sublime l’autre sexe… Regarde en toi-même, si tu es sincère, reconnais qu’il n’y a pas que du bon en toi, il y a de la lâcheté, de l’égoïsme, de l’envie, eh bien dis-toi que c’est la même chose pour les femmes… Olga comme les autres… Être trop tendre, c’est aller au combat sans armure, sans arme, la poitrine offerte aux fusils de l’ennemi !
Le Chaplin que tu appelles un beau vieillard a dans les soixante ans… Non, la beauté, c’est la jeunesse, c’est le moment où l’espèce doit se reproduire : la nature offre à tous une beauté qu’elle détruira plus tard… Au fond, la nature n’avait pas prévu que les humains vivraient si longtemps, c’est pour ça qu’elle n’a pas prolongé la durée de la beauté, de la reproduction…
Le grand secret de la vie, le voilà : ce qu’on appelle la beauté, ce n’est rien d’autre que la jeunesse. On veut faire croire que la beauté n’est pas dépendante de l’âge, mais rien n’est plus faux. On peut seulement reculer le vieillissement, c’est tout… Tous les deux, vous êtes beaux, mais dans cinquante ans vous ferez moins les fiers. Même la belle Olga aura perdu sa peau blanche comme du lait, ou alors ce sera du lait caillé !
Sans le temps qui dégonfle les ressentiments, personne ne pardonnerait les offenses.
Ce n’était qu’une simple dispute, une mince égratignure dans le contrat narcissique des amants. Mais répétées, ces épigrammes risquaient de corrompre l’amour qu’il portait à Amandine…
En mars, Ambroise avait fêté ses dix-huit ans. A cette occasion, le grand appartement de l’avenue de Ternes accueillit une trentaine d’invités. Pour la première fois Cyrille rencontra le père d’Ambroise, juriste célèbre, homme politique, auteur d’une dizaine d’essais sur le droit et l’économie. Celui-ci serra chaleureusement la main de notre héros tout impressionné par le prestige du juriste, qui le dominait par la taille, l’âge, l’élégance, la situation sociale, la richesse ; sa mâchoire carrée et volontaire rappelait celle d’Ambroise, le genre de maxillaires prêts à s’enforcer dans les chairs molles de la vie, pensa-t-il.
Trézenik, à Crozon, l'avait mis en garde contre l'exécration dont il serait l'objet. Le vent soufflait sur uen lande arasée, l'océan lançait ses vagues à l'assaut des plages et des falaises, le ciel noir, tourmenté, se reflétait dans le tumulte marin, les deux hommes cheminaient sur les sentes terreuses, et Trézenik déclamait de prophétiques paroles, prétendait que l'on cracherait sur les ambitions de Cyrille, que l'on s'en moquerait, qu'on les ridiculiserait, mais que dans l'hostilité unanime il trouverait la force de fourbir ses armes, d'aiguiser ses dagues poétiques. "Plus on vous méprisera, avait-il-dit, plus la lame s'affûtera. Regardez cette terre bretonne, la tempête et le froid l'ont protégée de déchoir dans l'indignité des stations balnéaires...Ses palges de galets, inaccessibles, rejettent les touristes...Eh bien, considérez le sarcasme universel comme un bienfait , il vous détournera des trop faciles accomodements, l'air vif vous saisira, le dédain vous stimulera...
« Il est des gens avec qui parler de ce qui vous tient à cœur n’a pas plus de sens que de décrire des couleurs à un aveugle, de toute façon ils ne verront rien, ou ils apercevront de minuscules fétus là où vous contemplez, dans les lointains, une forêt de peupliers et de chênes. »