On a toujours quelque chose à apprendre en lisant des livres. Et celui-ci ne fait pas exception.
D'autant plus qu'il se passe en Pologne et de base, la Pologne ne fait pas vraiment partie des sujets que je maîtrise le mieux. J'ai déjà du mal à placer Limoges sur une carte, alors l'histoire-géo de la Pologne ... ça me parle autant qu'un igloo pour un chameau. Je connais quand même deux ou trois trucs : la capitale Varsovie, son tristement célèbre ghetto de la seconde guerre mondiale, le film "Le pianiste" de
Polanski (qui parle du ghetto de Varsovie) et ... c'est tout. Ah si, il y a aussi
Jean-Paul II qui était polonais, ça compte ça aussi ?
Quoi qu'il en soit, il s'agit d'une histoire d'amour qui se passe en Pologne.
Ludwik est gamin dans les années 50-60, après la 2nd guerre mondiale. Il sait qu'il est homosexuel depuis son adolescence. Ça ne fait pas de doute pour lui étant donné l'attirance qu'il a pour les garçons de son âge, attirance qui se concrétise notamment par une certaine émotion lorsqu'il voit les stouquettes de ses camarades de classe dans le vestiaire. Elle se matérialise aussi par un bisou, échangé presque discrètement avec son meilleur copain Beniek au cours d'une boom.
Malheureusement, Beniek va disparaître brusquement de sa vie le lendemain sans prévenir, sans adieu, sans même une main serrée ... Ludwik comprendra plus tard, lorsqu'il sera en âge de comprendre, que les juifs, même si on ne les enfermaient plus trop dans des camps sordides, n'étaient toujours pas particulièrement persona grata à cette époque là et préféraient s'exiler en Israël pensant y trouver une certaine sérénité.
Du coup, Ludwik se retrouve seul avec son homosexualité. Il va grandir avec dans un pays où, même si elle n'est plus pénalement répréhensible, l'homosexualité reste considérée comme une étrangeté malsaine par le régime en place, un poil autoritaire, sous la coupe de l'URSS déployant un socialisme qui ne ressemble pas vraiment à celui du dernier Président francais François Groland se revendiquant de cette mouvance (socialiste, hin, pas homosexuelle). Pendant que les hooligans en chandail
Pierre Cardin protestaient en France contre le mariage pour tous, en Pologne, un certain nombre de lieux se voyaient interdire leur accès aux homosexuels. Deux salles, deux ambiances.
Tout ça pour dire que dans les années 80 en Pologne, il ne fait pas bon afficher son attirance pour les ensembles trois pièces quand on est un homme et qu'on souhaite ne pas avoir d'ennui. Son homosexualité, Ludwik va donc la refouler tant bien que mal en faisant semblant du mieux qu'il peut.
Mais, ce qui devait arriver arriva. Lors d'une espèce de service civique, un camp d'éducation par le travail pendant lequel les jeunes polonais pseudo-volontaires, garçons et filles, vont aux champs ramasser des betteraves au service de la patrie, Ludwik rencontre Janusz de qui il tombe immédiatement amoureux. Amour qui va s'avérer être totalement réciproque. Amour qu'ils vont devoir apprendre à vivre le plus discrètement possible afin de le vivre le plus passionnément possible.
Mais la contestation gronde contre le régime dictatorial socialiste. Les prix augmentent. Les rations dans les assiettes diminuent. Il faut faire la queue des heures pour dégotter un bout de viande. Et ça, ça ne plaît pas vraiment à Ludwik qui se sent pousser des envies d'horizon occidental, la France, les États-Unis, la liberté, le capitalisme, la vie quoi ! de son côté, Janusz est lui plutôt dans le mood collabo et se dit qu'il vaut mieux se faire discret plutôt que de la ramener, et qu'il est plus efficace de continuer à faire jouer son petit réseau à coup de passe-droits pour vivre non pas sereinement mais au moins convenablement.
Cette différence de point de vue va inévitablement mettre de l'eau dans le gaz, surtout le jour où il sera quasiment impossible de trouver un médecin pour soigner la toux sanguinolante de Pani Kolecka, la grand mère de Ludwik ...
Mais au-delà de cette histoire d'amour, c'est surtout la superbe qualité de l'écriture qui interpelle pour un premier roman. C'est fluide, c'est imagé, c'est touchant.
Il y aurait même un peu de poésie parfois dans la maniere de décrire les paysages, les sentiments, les atmosphères.
Cette atmosphère lourde de la vie sous un régime socialiste soviétique, la descente lente de la population vers la pauvreté, la privation progressive des libertés, la répression policière et le grondement émergent de la contestation de la composante ouvrière sont racontés avec une finesse qui s'empare de nous, l'air de rien.
La mélancolie transpire de ces 222 pages où la puissance de l'amour passionnel, l'espoir d'une révolution salvatrice contrastent avec la douleur d'une vie pleine de nostalgie et d'oppression.
A l'heure où une "opération spéciale russe" tout droit sortie de livres d'Histoire poussiéreux fait rage en Ukraine aux portes de l'Europe, ce livre vient rappeler (voire apprendre) à nous autres, bisounours européens de moins de 80 ans, épargnés par les conflits, que la Pologne a aussi eu un passé compliqué au XXe siècle, balancée façon ping pong entre les grosses mains dégueulasses et pas toujours bienveillantes de ses deux voisins allemand et russe.
On se consolera en écoutant la chanson Warszawa de
David Bowie écrite lorsque son train s'est arrêté entre Moscou et Berlin. Ou encore un morceau de Chopin dont le coeur est inhumé dans une colonne de marbre de l'église de la Sainte-Croix de Varsovie.
Et tant d'autres détails qui donnent du corps à cette histoire pleine de tendresse et de tristesse.