Le château d'Islette est un tout petit château, à l'écart d'Azay le Rideau, dans une courbure de l'Indre, un petit Chenonceau absolument charmant. Il est présenté dans les brochures touristiques comme le lieu des amours tumultueuses de Camille Claudel et de Rodin qui y ont séjourné, et travaillé à plusieurs reprises. On peut y lire deux documents assez drôles, et touchants. le premier est une lettre de Camille au grand homme. La jeune fille y passe commande d'un » petit costume de bain bleu foncé avec galons blancs, en deux morceaux » plus pratique pour se rafraichir dans les eaux de l'Indre qu'une grande chemise. Son amant n'étant sans doute pas très au fait des dernières modes, elle lui recommande de se rendre au Bon Marché ou aux magasins du Louvre. On imagine Rodin parcourir les rayons en quête d'un maillot deux pièces avant d'aller rejoindre son amoureuse … Il se trouve aussi encadré dans ce château les réponses de Camille au questionnaire de
Proust et elles montrent un tempérament passionné, anti conformiste et d'une radicalité orgueilleuse et ironique : l'héroïne préférée de la jeune artiste est
Louise Michel, dans la fiction, Lady Mac Beth, et pour elle le comble de la misère serait d'être mère de nombreux enfants …
Le récit de
Géraldine Jeffroy se concentre sur un seul été, celui de 1892 et prend la forme d'une longue lettre, d'une confession en fait, adressée à un jeune soldat, Camille Farnaux, parti au front. Eugénie, la rédactrice, lui raconte que, fille de modistes parisiens, pas très jolie ni très bonne vendeuse, pas très mariable, ses parents l'ont poussé, pour en faire quelque chose, à devenir institutrice et c'est ainsi qu'elle se retrouve préceptrice en Touraine. La propriétaire d'Islette lui confie les leçons à donner à sa petite fille, Marguerite, et puisque son mari était proche de Rodin, madame Courcelle loue également une partie du château au couple de sculpteurs. Et c'est par les yeux d'Eugénie que l'on rentre dans le tumulte intérieur de Camille qui cet été là, se bat avec le couple de « La valse », avant de se coltiner avec Rodin, venu la rejoindre. Camille ne met guère de formes à son séjour, malaxant la terre, s'épuisant toute la nuit, bruyamment, brulant quantité considérable de lampes à huile. Elle est brusque, en proie à des changements d'humeur qui la font rire au bal du 14 juillet, et s'enfermer en tête à tête avec ses valseurs, proches du vertige plus que de l'étreinte. Elle ne prend pas plus soin de son corps que des regards sur elle, cachant une de ses grossesses supposées, suppliant Rodin ne plus la tromper, de quitter l'autre … Rodin, dans le récit reste en arrière plan amoureux, il s'acharne sur son
Balzac, pense avoir trouvé un modèle aussi massif que l'écrivain en la personne d'un voiturier dont il croque la nudité pour un prix exorbitant.
L'autrice suppose une correspondance amicale entre Camille et Debussy. Dans la lettre d'Eugénie au soldat s'intercalent alors quelques éléments de correspondance entre les deux artistes, qui ont en commun déboires amoureux, combats contre la terre et les notes, admiration réciproque, également, conseils amicaux. Debussy vient d'avoir l'idée du Prélude à l'après midi d'un faune, et Camille apaise sa valse en dessinant des croquis de Marguerite, la future petite chatelaine
On a beau connaître l'histoire, ce récit se déguste comme une délicieuse reconstitution d'une parenthèse, une madeleine, au hasard d'une courbure temporelle, au rythme du cours de l'Indre. La vie, ensuite, se chargera des tempêtes …
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