Citations sur Le Tibet sans peine (24)
p. 100 : Je ressemble à un monstre : oreilles, front, nez et lèvres couverts de croûtes, des cicatrices sur tout le corps, les yeux et les mains gonflés par le froid, le vent, le manque d'eau ou la pression du sac. Mes pieds s'ornent d'une guirlande d'ampoules.
p. 99 : Le yack est l'animal universel. On s'habille en yack, on se nourrit de yack, on se chauffe en yack, on se loge en yack, on se déplace en yack, on décore avec du yack, on fait de la musique dans du yack.
p. 54 : Pause déjeuner sur un replat herbu. Le chauffeur fait cuire quelque chose de noir dans un récipient fabriqué avec un vieux bidon d'huile de moteur dont on a découpé le couvercle. Ensuite, il plonge directement dans la gamelle ses doigts dont il a négligé d'enlever le cambouis, émiette du riz dans sa sauce. Il nous invite à nous servir comme on le fait en Inde, où le partage est coutumier même aux plus pauvres.
p. 43 : Partout des gens qui dorment à même le sol. Parfois des lits installés dans la rue. On cuisine. Des milliers de vies quotidiennes se déroulent ainsi à même la chaussée, entre les vaches et les vélos.
p.43 : Derrière les montants des lits, on découvre des formes de vies inédites, des arachnides plats et livides, en embuscades.
P. 42 : A la Grande Mosquée, au Fort Rouge, c'est l'assaut des lépreux qui s'accrochent en grappe aux vêtements. Parmi eux, beaucoup d'enfants. Jambes rongés, mains sans doigts, faces camarades où le nez manque. Se défaire d'un enfant sans jambes agrippé de ses deux bras à mes cuisses, son beau visage d'ange brun sous les cheveux bouclés montant vers moi. [..] Il faut contenir la panique que l'on sent monter, le décrocher comme un crabe, comme un insecte, un bras après l'autre.
Le lendemain, ni guide ni cheval. L'absence de l'un nous est expliquée par le manque d'herbe, pénurie dont je soupçonne qu'elle sert en partie à masquer l'excès de Tchang (bière) absorbé par l'autre.
Les Ladakhis ne sont plus, dans leur propre pays, que des espèces de Sioux, les vestiges folkloriques d'une culture morte. J'ai pitié de les voir se laisser prendre en photo, tout contents, par des Allemands roses et gras. J'ai pitié de les voir se laisser prendre en photo par moi. Même si je suis famélique. L'Occident aura aussi efficacement anéanti cette culture par la curiosité que, de l'autre côté de la frontière, la Chine par l'oppression. Et notre propre curiosité y aura contribué.
J'apprends qu'il s'agit de la cérémonie de réception pour le head lama, qui vient effectuer une visite à Lamayuru. Presque tout le village est là pour l'accueillir, avec une ferveur concentrée. De vieilles paysannes se précipitent vers lui pour recevoir sa bénédiction. Dans presque tous ses détails, reproduits avec une surprenante précision, la scène où le grand lama, accompagné de son orchestre, remet une écharpe jaune à Tintin. Nous aurons voyagé dans une bande dessinée.
On repère Panikhar à sa mosquée couleur jade, insérée dans un creux des montagnes. C'est une oasis au milieu de la roche violette, sur laquelle se détache le vert fluorescent de petits champs circulaires. Des roches cyclopéennes sont restées plantées au milieu, qui les font ressembler à des jardins zen. Des buissons de fleurs d'un rose éclatant bordent les routes. L'eau dévale des montagnes, captée par d'innombrables petits canaux. Mais, dans ce paysage paradisiaque, les hommes ont introduit leur goût de la souffrance et de la soumission. Dans les champs, les femmes effarées, craintives, cherchent à se dissimuler derrière leurs voiles noirs. Quant aux hommes, nous les trouvons entre eux, à la terrasse des cafés, fumant le narghilé.