Je suis entrée dans la librairie dans l'espoir d'y trouver "Rosalie Blum" -le film m'a eue!- et j'en suis ressortie avec "
Juliette" sous le bras, ne sachant pas trop si j'étais ravie de ce changement imprévue de cavalière ou bien déçue. J'ai appris que parfois, il fallait se méfier des élans lyriques d'un libraire par trop énamouré.
Enfin, quitte à s'être laissée convaincre, autant jouer le jeu, lire. Je suis rentrée, je me suis blottie sous ma couette (la pluie... la pluie!) avec l'épais ouvrage de
Camille Jourdy.
D'emblée, je ne me sentais pas attirée par les dessins, les graphismes mais la douceur du trait, le souci du détail qui transparaît dans chaque vignette, comme si le dessin voulait rendre un hommage à la fois poétique et réaliste au quotidien m'a finalement attrapée -mon libraire n'avait pas tort- et je m'y suis lovée avec plaisir, comme dans une couverture, à l'assaut de l'histoire et des personnages.
Si les dessins sont tout en rondeur, si les couleurs sont pastels et recèlent un charme un peu désuet, force est de constater que chez "
Juliette" tout n'est pas si tendre, si doux; au contraire. Cette histoire, qui coule tout doucement, comme le temps et et la vie qui passent, sans trop de bruits ou de grands fracas, de tragédie est faite de souffrances, de silences qui font mal, de rendez-vous manqués et de poésie aussi.
Juliette ne va pas bien. D'aucuns pourraient dire qu'elle est dépressive, puisqu'il faut étiqueter les gens comme les bocaux de confiture. Elle traîne perpétuellement un air un peu triste, un peu paumé et s'inquiète constamment de son coeur qui bat trop vite. Ou pas assez. Elle décide donc de quitter Paris pour rentrer passer un peu de temps chez son père, sorte de Pierrot lunaire cynique et solitaire, rendu morose par un divorce difficile.
Dans la famille, il y a Marylou aussi, la grande soeur de
Juliette, celle que tout le monde trouve si forte et si courageuse. Elle n'est pourtant pas plus heureuse que sa petite soeur, plus fragile, et cherche à vivre un peu mieux, un peu plus tous les jeudis après-midi dans la serre où vient la retrouver le propriétaire d'une boutique de déguisements.
La tribu ne serait pas complète sans la mère qui a refait sa vie. Plusieurs fois. En ce moment, c'est avec un hippie, mais ça pourrait aussi bien être avec un banquier. Ce qu'elle veut, elle, c'est de la légèreté, du rire. Ce que son ex-mari ne lui donnait pas.
Et puis la grand-mère, qui attend sa maman, qu'il faudra placer parce qu'elle ne peut plus vivre seule, qui a tout oublié mais qui révèle quand même à
Juliette ce secret qu'on a toujours voulu lui cacher.
Pollux enfin.
Il n'est pas de la famille mais vit dans la maison qui était la leur. Pollux est un vieux garçon qui passe son temps au café du coin, qui se laisse aller. Même ses femmes imaginaires l'ont quitté.
Juliette Le rencontre alors qu'elle erre dans l'impasse où elle a vécu autrefois, même si elle ne s'en souvient pas.
C'est la rencontre qu'ils n'attendaient pas et pourtant. Pollux et
Juliette se parlent et se rapprochent, ils avancent timidement l'un vers l'autre. C'est fragile une histoire qui pourrait naître, ça peut se briser très vite, se cabosser, surtout quand ceux qui pourraient la vivre ont déjà des bleus.
Peut-être qu'ils finiront pas aller mieux. Peut-être que la vie peut-être aussi simple et aussi jolie qu'un caneton qui s'égaille dans une cuisine. Peut-être... Ou pas. Qui sait?
"
Juliette" est une chronique douce-amère d'une famille comme les autres, l'histoire un peu banale -mais belle parce que banale- de ses membres qui tanguent et qui s'accrochent malgré leur mal de vivre.
Roman graphique sensible et délicat, c'est une histoire simple et belle comme un film de
Claude Sautet qui rend hommage à la vraie vie et aux héros qui n'en sont pas, qui habillent de lumière et de couleurs douces les âmes tristes qui cherchent juste des arcs-en-ciel parce que le bonheur est trop intimidant.