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Charles Juliet.
Je connaissais et admirais les portraits remarquables qu'il a faits de Bram van Velde, de
Giacometti, de
Beckett.
Trois artistes dévorés par leur art. Trois "chercheurs" épris d'absolu. Trois frères du même "ordre" quasi monastique, fait de dépouillement, d'interrogation et d'exigence, voués à des "saints" différents: Bram entré en peinture, Samuel en littérature et Alberto en sculpture, comme on entre en religion.
J'aime
Charles Juliet pour son empathie avec les sauvages, avec les muets, avec les hantés.
J'aime la façon respectueuse et tendre dont il sait les approcher, leur parler, les comprendre, les traduire sans jamais les trahir.
Mais je ne savais rien de lui. Une année d'éveil qui relate ses annees d'adolescence comme enfant de troupe à l'école d'Aix -en-Provence, a été une découverte, une surprise, et surtout une raison de plus de l'aimer.
Charles est un "petit paysan", un petit vacher timide, amoureux de sa campagne et de ses bêtes, qui , tout bébé, a été placé en famille d'accueil après l'internement de sa mère et adopté avec amour par une famille de paysans pauvres , et, singulièrement, par une mère de secours à qui il voue un amour inconditionnel. Mais il garde de son abandon prématuré une angoisse panique qui le fragilise.
L'école des enfants de troupe est la seule chance , pour cet enfant pauvre mais doué , de poursuivre des études. La vie de caserne avec ses règlements absurdes, ses brimades, ses bizutages violents est une école bien dure pour cet enfant tendre, renfermé. Souvent la seule réponse aux coups reste de les rendre, ce qui n'est
pas sans risque: cachot, surcroît de vexations, renvoi...Seules oasis dans cette prison : les cours où le jeune garçon découvre la connaissance, et surtout l'art difficile des mots, ...et les week- ends où son chef, qui l'a pris en affection, l'emmène partager sa vie de famille. Mais ce chef a une femme, mal mariée, malheureuse qui jette son dévolu sur ce tout jeune adolescent qui n'a
pas quatorze ans..
La
passion et l'orage des sens entre alors en lutte , chez lui, avec un fort sentiment de trahison et de culpabilité à l'égard de ce chef qui lui a tendu la main. Mais le désir est une loi impérieuse. ..
Racontée au présent, avec une simplicité qui a la force de l'évidence, cette chronique d'une adolescence où l'enfant blessé et fragile découvre l'amour et l'écriture, sans encore les comprendre ni les maîtriser ni l'un ni l'autre, serre le coeur.
Aucune afféterie romanesque, aucun arrangement scénaristique, rien que du brut de décoffrage.
Une écriture limpide et puissante.
Comme un cri d'enfant effrayé dans la nuit qui s'étonne soudain d'être pris pour un homme.