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Rien de plus impénétrable que les trahisons et les ambitions cachées, mais Hedi Kaddour voit et entend tout dans cette authentique fresque romanesque qui dresse le portrait désolant de la cour impériale de Rome sous Domitien.
Avec une admirable densité qui caractérise son écriture, l'auteur sonde l'économie aussi subtile que complexe du despotisme, faite de soupçons, de rumeurs, de flatteries, de délations, de lâchetés, d'alliances de circonstances, de ballets de courtisans et d'ennemis potentiels mêlés selon une chorégraphie déterminée par la nécessité de ne pas offenser celui qui occupe le Palatin. Avec patience et rigueur, Hédi Kaddour déploie sous nos yeux une Rome déliquescente où l'instrument du pouvoir, le discours politique, a perdu de sa sphère d'influence et de rayonnement pour devenir un outil d'apparat au service de l'enrichissement personnel lorsqu'il ne s'agit pas de sauver sa tête.

Jusqu'à un certain point, j'ai adhéré sans trop de peine à la démonstration de l'auteur, séduite par son art consommé du récit semé d'images fortement évocatrices. Rome était comme un écran de cinéma au fond de mes yeux. Mais ce qui s'annonçait comme la dernière nuit de Tacite accompagnée de toute l'épaisseur tragique que recèle une accusation de complicité de lèse-majesté s'est mué en une dissection interminable des rapports politiques et des jeux de dupe au sein de l'élite romaine. Chaque personnage croisé donne lieu à des portraits disséqués avec un luxe inouï de flux de conscience et de monologues intérieurs déplaçant progressivement le centre de gravité du roman. Comme si Hédi Kaddour était moins intéressé par l'intrigue que par ses implications ou ce qu'elle peut révéler des personnages, faisant de Rome non plus un lieu pour L Histoire mais pour une multitude d'anecdotes certes passionnantes et enrichissantes, mais aussi pesantes par leur dimension didactique.

C'est une oeuvre qui impressionne par son érudition mais le besoin d'emplir tout l'espace du récit et de ne pas laisser de marge possible pour des mots entre les lignes a été un obstacle au plaisir de lecture.
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Roman historique très imprégné de lyrisme, La Nuit des orateurs révèle, chez son auteur, une érudition et un travail d'écriture hors du commun. Romancier après avoir été poète, Hédi Kaddour, un Franco-tunisien que son prénom n'a pas empêché d'être en son temps reçu premier à l'agrégation de lettres, est une grande figure de la littérature française, qu'il a enseignée à l'Ecole Normale Supérieure et aux États-Unis. Mais à mon grand embarras, je dois avouer que la lecture de son livre m'a déconcerté. Il va falloir que je m'en explique.

Nous sommes à Rome, à la fin du premier siècle de notre ère, sous le règne de l'empereur Domitien, dont l'un des favoris vient d'être condamné pour prévarication, après les accusations – justifiées – d'un sénateur. Ce dernier a ensuite multiplié les provocations indirectes à l'endroit de l'empereur, au risque de se voir inculper pour lèse-majesté, un crime passible de la peine de mort. Deux amis, Publius et Pline, jeunes notables proches du pouvoir, pourraient être convaincus de complicité et promis au même sort. Tout se jouera au cours d'une nuit, dans le premier cercle des fidèles de l'empereur, tandis que la vie mondaine et culturelle de Rome bat son plein.

L'auteur nous plonge au coeur des rivalités entre les élites de l'Empire, de leurs luttes pour la survie dans l'entourage d'un empereur tout-puissant, qui s'arroge droit de vie et de mort sur ses sujets, et en abuse. Chacun revient sur ses atouts personnels, affute sa stratégie pour s'attirer de bonnes grâces ou pour induire en erreur les délateurs. Art de la manipulation, de l'insinuation, de la médisance, de la calomnie. Qu'il s'agisse de rumeurs, de réquisitoires ou de plaidoiries, tout repose sur le choix des mots, sur le choc de l'image de soi. Seul l'empereur peut s'y soustraire : un battement de paupières ou une crispation de la lèvre lui suffisent pour signifier une décision.

Pour dénouer les crises, il faut savoir agir, écouter, bien comprendre les enjeux politiques et historiques. Tandis que les hommes perdent leur lucidité, une femme se mobilise : Lucretia, l'épouse de Publius. Les deux jeunes notables survivront. Signés Tacite et Pline le Jeune, leurs écrits laisseront d'ailleurs la trace de cette affaire et le témoignage de la cruauté sournoise de Domitien.

Le livre brosse un tableau fouillé de la vie quotidienne dans les lieux de pouvoir de la Rome impériale. Une société structurée, où patriciens, plébéiens, esclaves, affranchis et étrangers évoluent dans des castes extraordinairement inégalitaires. le formalisme complexe et intangible des rituels civils et politiques masque en fait le ramollissement des âmes. Les moeurs, incroyablement dissolues, violentes, barbares, détonnent par rapport à l'idée que j'en gardais depuis mes cours d'histoire et de latin.

Le climat général est à la méfiance. L'Empire est une dictature et comme dans toutes les dictatures, tous se tiennent les uns les autres par la barbichette de la méfiance. Ils ont tous peur ; depuis l'esclave, qui redoute d'être battu à mort ou envoyé au fond d'une mine, jusqu'au haut magistrat, qui craint que ses faiblesses ne déplaisent à l'empereur, avant de réaliser que ses forces pourraient aussi déplaire à l'empereur. Un empereur cruel, parce qu'il se méfie des complots, jusqu'à en voir partout.

Tout cela est passionnant. Pourquoi alors mon sentiment de déception ? Plusieurs types de difficultés. Une terminologie très spécifique à la Rome antique, ce qui nuit à la fluidité du récit. Et surtout, un texte qui devient très analytique, dès lors que l'auteur s'insère dans le cerveau des personnages. Les réflexions sont énoncées et réénoncées en variations subtiles, sous forme de monologues intérieurs, où chacun fourbit son argumentation, ressassant forces et faiblesses, avantages et inconvénients, chances et menaces. Les phrases deviennent longues, très longues, d'abord isolément, puis en séries. Lorsqu'on en est réduit à des analyses syntaxiques complexes et ennuyeuses, le risque est de perdre le fil général. Plusieurs chapitres m'ont ainsi laissé au bord du chemin.

Un peu comme lorsque, jeune lycéen, je me débattais dans une version latine difficile.
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J'avais été très impressionnée par le roman phare d'Hédi Kaddour : Waltenberg. Un mélange des genres inhabituel, un entrelacs déroutant de péripéties au niveau de l'intrigue, des personnages hauts en couleurs. A mes yeux, une vraie pépite romanesque. Dire que je n'ai pas retrouvé ces mêmes qualités dans son dernier roman : La nuit des orateurs serait excessif mais je suis un peu restée sur ma faim en ce qui concerne la construction romanesque...
On retrouve pourtant les mêmes ingrédients : un contexte historique très ciblé, celui de la Rome impériale, sous le règne de Domitien qui fait partie de cette lignée d'empereurs qui ne sont pas morts dans leur lit et pour cause ! le fil de l'intrigue du roman repose en effet sur l'ombre de la mort planant sur Publius Cornelius Tacitus et son épouse Lucretia ainsi que sur Pline le jeune. Leur crime ? Avoir plaidé contre Massa, gouverneur d'une province romaine, la Bétique, pour extorsion et bien d'autres forfaits. Ce qui ne pourrait n'être qu'un acte de justice va en fait devenir une épée de Damoclès au dessus de leur tête car ils ont franchi une ligne rouge invisible , celle qui fait que s'attaquer à un favori de Domitien équivaut à signer son arrêt de mort...
Un personnage on ne peut plus complexe que Domitien car il incarne toutes les facettes souvent contradictoires de la tyrannie.
Ce paranoïaque qui vit dans la terreur du complot sait aussi faire preuve d'une cruauté implacable et imprévisible. C'est d'ailleurs ce qui plonge son premier cercle dans une insécurité permanente car d'aucun sait que rien ne le protège définitivement : ni le rang, ni la fortune, ni les caresses sur le bras de l'Empereur. le plus sûr moyen de rester en vie dans ce contexte de terreur est de devenir délateur professionnel au service d'un régime impérial où ce mode de relations devient systémique. Autre moyen de se préserver, se retrancher dans un prudent quant à soi comme le fait Publius. Attitude un peu lâche qui n'est pas celle de son épouse Lucrétia, un beau personnage féminin dont la présence éclaire toute la première partie du roman. Une matrone romaine, hors du commun , car étonnante de lucidité et de courage si l'on en juge par la hardiesse avec laquelle elle va défier Domitien dans une joute verbale dont elle sortira gagnante !
Passionnant d'ailleurs est le pouvoir du verbe dans le roman. L'éloquence est parfois non seulement une arme de pouvoir mais aussi le plus sûr moyen de sauver sa tête sur un simple bon mot ! Hédi Kaddour excelle à nous faire partager dans des scènes très théâtrales ces moments de forte tension dramatique. Cette qualité on la retrouve également dans des scènes très cinématographiques qui nous donnent à voir, à sentir une ambiance avec une acuité qui doit tout à la plume de l'auteur. Qu'il s'agisse de la traversée de Subure, par la litière de Lucretia, "le quartier du vin, des instincts, des niches à 2 as le coït, quartier dangereux [où] beaucoup de gens n'ont rien à perdre" ou de cette autre scène qui nous transporte dans l'amphithéâtre de Rome avec une description très réussie d'une foule en délire, réduite à ses instincts animaux les plus bas, on est dans chacun de ces grands tableaux emporté par un flux constant d'émotions et d'évocations visuelles qui fouettent notre imaginaire.
Cette tension dramatique, cette peinture si expressionniste d'ambiances diverses, je ne les ai pas retrouvées dans la deuxième partie du roman beaucoup plus analytique. Hédi Kaddour nous plonge dans la psyché des protagonistes de l'histoire ce qui paradoxalement les rend plus lointains. de même, nous perdons également le fil de l'intrigue qui se distord tant et si bien que la fin du roman m'a vraiment étonnée...
En dépit de ses qualités, ce ne fut donc pas pour moi le vrai coup de coeur que j'avais éprouvé pour Waltenberg. Mais je continuerai à lire d'autres roman de cet auteur car j'apprécie sa manière de camper puissamment des contextes historiques et aussi le côté très acéré de sa plume !
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Absolument passionnant.
Hédi Kaddour nous transporte dans la Rome antique, à une époque où le tyran assassinait comme il respirait, où les poètes payaient cher le prix d'un bon mot… Il est troublant - c'est l'intérêt du roman - de constater que rien n'a changé. « L'amphithéâtre a remplacé le forum, le public a remplacé le peuple » : un écho malicieux aux réseaux sociaux qui proscrivent le vrai débat. « Ce soir, je suis trop républicaine, se dit Lucretia. Nous rêvons tous comme Cicéron d'un prince éclairé, philosophe, modéré, bon orateur, sans prétoriens » : notre République ne fait-elle pas un usage excessif de la répression policière ?
J'ai adoré les pages dédiées à la vie à Rome, au quotidien de ses hommes de lettres et de pouvoir. Mentions spéciales pour la traversée périlleuse de Subure (p42), les agitations d'Aurelius dans l'arène (p104), l'invitation de Lucretia au banquet de Domitien (p123), la lecture fantasque de Pétrone (p159), les ravages de la chiromancie (p248) ou l'intervention du centurion trop zélé (p284). Il en ressort le portrait vibrant d'un empire gangréné par les intrigues de cour et la paranoïa du maître.
Intéressante également la trajectoire de ces esclaves devenus des affranchis riches et méritants - version antique de l'ascenseur social.
J'ai juste deux petits reproches. le premier, c'est que l'auteur tend à répéter la même technique pour parler d'un protagoniste : il parle de lui à la troisième personne du singulier et ne révèle son nom qu'au bout de dix pages, pour ménager le suspense. le second, c'est que, vers la fin du livre, l'auteur se complaît trop à décrire la duplicité du pouvoir, à montrer que chaque décision est l'ombre d'un calcul plus complexe. L'histoire s'en trouve alourdie.
Avant Marx, Machiavel et Tocqueville, les Romains avaient pleinement vécu la comédie (souvent la tragédie) du pouvoir. Hédi Kaddour en fait le récit, citations latines à l'appui.
Bilan : 🌹🌹
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Week-end à Rome !

J'ai tout de suite été attirée par ce roman se situant dans la Rome antique.

Heddi Kaddour en lisant la correspondance de Pline le Jeune est "tombé" sur un « procès un peu tordu », l'affaire Senecio.

Ce sénateur romain avait été pris comme avocat par les notables de la Bétique (actuelle Andalousie) contre Baebius Massa, le proconsul de la région, porté sur la corruption. Au point que l'empereur Domitien, dont Massa était proche, n'avait pu lui éviter d'être condamné pour extorsion. Enhardi, Senecio s'était attaqué plus directement à Domitien et à son despotisme à travers un livre, jusqu'à se voir mis en accusation devant le Sénat, et condamné à mort.

L'auteur s'est emparé de cette affaire pour en faire un roman.

L'auteur nous propulse à Rome, à la fin du premier siècle, sous le règne de l'empereur Domitien, dont l'un des favoris vient d'être condamné pour malversation après les accusations d'un sénateur.

Deux amis de Seneccio, Publius Cornelius (Tacite) et Pline,
pourraient être convaincus de complicité et risqueraient d'être condamnés eux aussi à la peine de mort, comme le sénateur.

L'intrigue va se dérouler au cours d'une nuit, tandis que Lucrétia, la femme de Tacite, se rend à travers Rome, vers le domaine de l'Empereur; afin de parler à celui-ci, ami d'enfance, et plaider la cause de son époux

La traversée de Rome est splendidement retranscrite nous traversons les différents quartiers, non sentons les odeurs…

Quelle femme, cette Lucretia, qui intime l'ordre à son mari de rester à la maison, tandis qu'elle risque sa vie à travers les ruelles, attaquée et en danger à chaque carrefour, en plus encore lors de l'affrontement avec l'empereur ! Il est vrai qu'elle est la fille d'un brillant général, Agricola !

Car Domitien, bien qu'il soit premier entre ses pairs, apparait comme un empereur despotique, qui exécute et exile ses opposants.

Il faut toute l'intelligence et la subtilité de Lucretia pour l'aborder !

Hélas, vous n'en saurez pas plus, car l'auteur, à la moitié du roman, part sur d'autres personnages, des discours, des pensées, des rencontres, des jeux dans l'arène …
C'est roman qui se modifie en essai philosophique !

Quel dommage !

Surtout que lorsqu'on étudie la vie de Tacite, on apprend qu'il n'a pas été exécuté et a été nommé consul après avoir été gouverneur d'une province. Il devient sénateur, historien et avocat !

Donc la mission de Lucretia a été une réussite !

Et Tacite, dans ses écrits s'est vengé de la tyrannie de Domitien !

Ce roman est servi par une plume magnifique, érudite, mais très exigeante qui nécessite des connaissances en histoire romaine et en vocabulaire !

Il est original, mais par sa deuxième moitié, très prolixe et didactique, m'a déçue.
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A la fin du premier siècle de notre ère, les deux sénateurs-orateurs-avocats, Pline et Publius (qui n'est pas encore le Tacite dont on se rappellera le nom) sont en sale posture : ont-ils perdu la confiance et les faveurs de l'empereur Domitien ? Sont-ils en danger de mort, pour avoir fait cause commune avec Senecio, l'un de leurs confrères, qui est allé trop loin dans son exigence de respect de la légalité ?
On peut supposer que Publius au moins, échappera à l'ire impériale puisqu'on connaît aujourd'hui les écrits qu'il n'avait pas encore produits au moment de cette fameuse nuit.

Plongée dans la Rome du vieux Gaffiot familial et démantibulé (que j'ai dû jeter dans un moment d'égarement, et aujourd'hui je me demande si on y trouvait les noms propres…) C'est vraiment une immersion, dans un monde plein de couleurs, de bruits, de violences, qui n'empêchent pas les favorisés du sort, retirés au plus calme de leurs demeures sénatoriales, de penser, d'écrire, de citer et comparer leurs auteurs préférés. Publius n'y renonce pas, même quand le risque se rapproche.
Alors, l'homme fort de cette nuit de tous les dangers, c'est sa femme, Lucretia. Quel personnage ! Belle évidemment, mais aussi intelligente, érudite, courageuse, d'une maîtrise parfaite de ses propres émotions et de la psychologie complexe de Domitien, auprès de qui elle se rend pour le dissuader de mettre à exécution ses projets d'assassinats, après avoir intimé à Publius son époux, de ne pas quitter leurs pénates.

Mention spéciale : à la description, en passant, du tyran de province, Massa, par qui est arrivé le ressentiment de Domitien à l'égard de Senecio, Pline et Publius. Massa, c'est le vice, la perversité, la cupidité, incarnés en un seul homme ; un portrait apocalyptique mais complètement crédible, hélas pour ses victimes.
Autre mention spéciale : à la première lecture publique de ses écrits par un affranchi que ses auditeurs considèrent avec amusement et condescendance, jusqu'à ce qu'il prenne la parole : Pétrone va mettre la révolution dans ce petit monde de lettrés académiques, en lisant ce qu'on peut supposer être un premier jet du Satyricon.

La nuit sera blanche, Publius et Pline sortiront, prendront le risque d'aller au Sénat...

L'Obs a qualifié le livre de « virtuose ». C'est exactement ça : on entre dans les pensées des personnages, et on partage successivement la distance élégante (et un peu lâche) de Publius, la droiture intrépide de Lucretia, les convictions républicaines de Senecio ; on en viendrait même à pardonner sa sanglante paranoïa à Domitien…

Impression de retrouver mes impressions d'adolescence de Quo Vadis. Et d'explorer la Rome antique, mais du côté de ses nantis, souvent érudits, pourtant sous contrôle permanent, obsédés par l'espionnite ambiante et les risques de dénonciations pour un oui, pour un non, pour un mot malheureux, pour un regard mal interprété. Les sénateurs n'ont plus la liberté de dire, et à peine celle de penser.
La Rome des nantis, ce sont aussi des repas aux plats sophistiqués (bizarres à mon idée), des esclaves qui ont peur à longueur de journées, l'attention portée à la finesse du cuir des sandales et à la façon dont tombent les plis de la toge, des comportements sexuels débridés qui ne choquent personne sauf s'ils deviennent ridicules, un luxe d'architecture, et de bibliothèques pour les fins lettrés, des châtiments et des mises à mort d'une inventivité invraisemblable, un empereur qui a oublié que la République devait être la chose de tous.

Sous la plume de Hedi Kaddour, cette Rome-là est riche, savoureuse, vivante. Mortelle souvent aussi. Assez terrifiante.
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L'espace d'une nuit – dans la Rome du Ier siècle ap. J.-C. – pour suivre le sénateur Publius Cornelius Tacitus et son épouse Lucretia Agricola dans leur tentative de sauver la vie et la fortune du futur historien Tacite sur le point d'être accusé de crime de lèse-majesté envers l'empereur Domitien. Il faut l'érudition, le style et la profondeur d'un écrivain tel qu'Hédi Kaddour pour nous entraîner dans l'épaisseur de cette nuit, nourrie de complots, vrais et faux, où les hommes macèrent dans leurs ambitions démesurées et dans la terreur de leur chute.
N'attendez pas un roman historique là où Hédi Kaddour se livre à une réflexion sur le pouvoir. D'un côté, le pouvoir impérial incarné par Domitien et son exécuteur des basses besognes, Norbanus, le préfet de la garde prétorienne. de l'autre, le pouvoir sénatorial représenté par Tacite, Pline le Jeune et Senecio, tous trois défenseurs des intérêts de la province de Bétique contre son ancien gouverneur Baebius Massa, protégé de Domitien. Mais, pour Senecio, la chute de Massa n'est peut-être que la première étape pour provoquer celle de l'empereur et le retour aux institutions et aux valeurs de la République ?
Kaddour se livre à une réflexion sur le pouvoir politique, mais aussi sur l'insatiabilité des classes dominantes dans l'accumulation de richesses et d'honneurs. Les sénateurs ont perdu leur influence au profit d'un enrichissement sans commune mesure avec ce qui était pratiqué sous la République où les valeurs morales primaient sur la fortune.
Rome, ville monde, est aussi une société du spectacle livrée aux jeux grandioses du cirque. le peuple aime Domitien à condition qu'il lui offre des émotions toujours plus fortes. le poète Aurelius est envoyé chanter l'histoire d'Orphée dans le grand amphithéâtre ; devant un parterre de bêtes sauvages, sa voix médiocre trouve dans l'angoisse de la mort une beauté soudaine, mais la foule ne se satisfait pas de si peu et sa cruauté trouvera à s'assouvir tout en flattant l'orgueil de Domitien.
Rome est enfin une société esclavagiste et la condition d'esclave libère les pulsions les plus violentes et les plus malsaines chez les maîtres. du haut en bas de l'échelle sociale, les esclaves assurent le fonctionnement de la vie quotidienne, mais aussi celui du palais, et encore l'exploitation des domaines agricoles, des mines, des moulins, des ports. Doté des meilleures intentions, soucieux d'humanité, plein de compassion, le maître n'en demeure pas moins le maître et ne peut toujours réprimer l'envie de punir, de soumettre, d'humilier.
Que reste-t-il dans un monde perverti ? La subversion opérée par la littérature. Dans un formidable chapitre montrant une soirée littéraire chez Titinius Capito, responsable du courrier impérial, Pétrone, jeune inconnu, protégé de Pline, livre à un auditoire incrédule des fragments de son Satyricon.
Comment ne pas voir dans la peinture extrêmement noire et violente de cette nuit romaine une métaphore de ce qui est à l'oeuvre dans nos sociétés modernes : confiscation du pouvoir par des élites, accaparement des richesses par quelques individus au détriment de l'intérêt public, assujettissement des plus faibles et des plus vulnérables, divertissements avilissants...
Texte exigeant, traversé de fulgurances, ourlé d'un latin qui n'est jamais là pour en mettre plein les yeux, mais pour coller au plus près de la pensée d'une époque, ce livre réussit une remarquable plongée dans le passé pour nous faire sentir nos errements du présent.
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Dès les premières pages de ce roman, je comprends que tout est réuni pour me plaire… Hédi Kaddour nous embarque pour une balade dans la ville impériale en prenant grand soin de ne pas épargner à son lecteur la pauvreté, la violence, le stupre qui y règnent. Ici, on saisit très vite que l'empereur Domitien oscille perpétuellement entre violence et paranoïa. Sa personnalité tyrannique, ses terribles accès de fureur font que l'avenir des trois accusateurs de Massa ne tient qu'à un fil…

Le décor est posé, je sens que l'auteur va me tenir en permanence dans un état de stress et va jouer avec mes nerfs au sujet de la sanction des trois accusateurs ! J'aime cette sensation, j'aime naviguer en eaux troubles et ne pas avoir toutes les réponses à mes interrogations dans les premières pages. Pour un roman historique, je trouve que Hédi Kaddour propose quelque chose d'assez novateur et qu'il réussit pleinement son pari !

Ce que j'ai aimé de ce roman, c'est l'impression d'avoir voyagé entre les époques. J'ai parcouru les différentes provinces de l'Empire romain, déambulé dans les rues de Rome en litière, eu l'honneur de prendre un repas aux côtés de l'empereur dans une salle à manger tournante construite par Néron… Je ne pensais que cette histoire allait être une si belle invitation au voyage.

Là où le génie de l'auteur intervient, c'est de parvenir à proposer à son lecteur de revivre des scènes frôlant celles se déroulant dans un théâtre, montrant l'importance du verbe et surtout de l'éloquence de certains grands hommes. Les mots sont des armes et ici, ils peuvent vous sauver la vie ou bien vous condamner en un claquement de doigt.

Tension permanente, scènes théâtrales, immersion au sein du pouvoir, pour moi ce livre est une très belle surprise et l'une de mes plus belles lectures de 2021. Malgré tout, je me dois de faire une petite mise en garde, je trouve que la compréhension peut parfois être un peu délicate si l'on a pas quelques connaissances sur la carrière des honneurs à Rome et sur l'organisation de la société romaine… voire même quelques notions de latin. En effet, de-ci, de-là, quelques expressions non traduites nous sont proposées. Devoir chercher à chaque fois serait probablement assez pénible.
Lien : https://ogrimoire.com/2021/1..
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Herennius Selecio. Philosophe sous le soleil de Rome au Ier siècle, il plaide la cause de Baebius Massa pour attaquer le pouvoir impérial. Pour enfoncer le clou dans le cercueil, il publie l'éloge d'un autre philosophe stoïcien : Gaius Helvidius, exilé puis mis à mort sous Vespasien. Il cherche des soutiens prestigieux et les trouve avec Pline le Jeune et un certain Publius Cornelius, sénateur avec d'autres fonctions glorieuses à son actif, et, plus connu sous le nom de Tacite. Mais ces trois têtes risquent de tomber bien que Tacite soit proche de l'empereur. Nous sommes sous le règne de Domitien. Et si le Tibre s'écoule majestueusement à Rome il est témoin de flots de sang provoqués par cet homme impitoyable, cruel, qui aime encore plus faire assassiner ses amis que ses ennemis, qui « tue comme il éternue » et aime offrir un sourire carnassier devant sa prochaine victime. Entre deux condamnations, il aime torturer les mouches avec un poinçon. Pourtant, une femme va oser l'affronter. Elle le connait, sait qu'il aimerait avoir ses faveurs, elle, la superbe romaine qui fait enrager la prostituée Flavie, la maîtresse de son mari. Oui, son mari, qui se nomme Tacite. C'est le début de l'histoire, de cette histoire d'orateurs dans les ténèbres des effluves romains, Lucretia dans une longue nuit qui s'annonce dans des combats de l'esprit où la poésie trouve une place au milieu d'un cirque de haine et de jalousie.

Loin d'être des vacances romaines, ce nouveau roman de Hédi Kaddour est un récit au vitriol sur l'emprise politique, sur un Domitien sans foi ni loi – sûrement en s'inspirant des carnets de Pline le Jeune – et sur cette cour prête à également torturer amis ou ennemis pour obtenir le droit de vivre. Un droit précaire. Courtisans, affranchis, esclaves… quel que soit le rang auquel on accède on peut terminer du jour au lendemain dans les caves de l'enfer, fouetté à coups de verges et brûlé à petit feu pour faire durer le plaisir. Les rumeurs se réjouissent, les complots frétillent. Et même quand ils n'existent pas, du haut du Mont Palatin on les invente. Un jeu comme un autre dans un labyrinthe machiavélique.

Mais l'histoire ne s'arrête pas aux faits. Elle s'habille de toges, de drapés, de tuniques, elle se mélange aux couleurs, aux parfums doucereux, au miel, aux fleurs. Elle rampe dans la boue, dans l'immondice, les odeurs de cadavres et de pourriture. Elle se cogne aux félins, surveille les flambeaux, rencontre les dieux, de Jupiter à Minerve en passant par Priape car tous les appétits charnels sont légion. Avec parfois une étrange modernité….

Impérial !
Lien : https://squirelito.blogspot...
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J'ai adoré la première partie du livre qui alterne les points de vue entre Tacite et sa femme Lucretia sur la nuit d'angoisse qu'ils traversent: Domitien aura-t-il la tête de Tacite et de Pline le Jeune ou non? Des réflexions passionnantes des deux protagonistes sur la liberté et la tyrannie m'ont aussi beaucoup fait réfléchir, même si Hédi Kaddour se défend d'écrire sur autre chose que sur le règne de Domitien, le lecteur et la lectrice sont libres de faire les parallèles qu'ils veulent.
L'auteur nous fait aussi profiter de son immense érudition sur le Haut-Empire romain mais aussi sur les grandes figures de la République romaine qui prennent chair au travers des anecdotes. La Ville devient elle aussi un personnage à part entière lorsque Lucretia la traverse à ses risques et périls cette nuit-là pour rejoindre le palais de l'empereur.
Puis l'auteur adopte le point de vue des autres personnages et il m'a un peu perdue dans les méandres des réflexions des uns et des autres sur les événements et sur les jeux de pouvoir.
On ne peut pas perdre son temps lorsqu'on lit un tel ouvrage.
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