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Citations sur Lettres à Milena (57)

Je dis un coup parce qu'il me prendra du temps et que j'ai besoin pour toi de ce temps et de mille fois plus que ce temps : de tout le temps qu'il peut y avoir au monde, celui de penser à toi, de respirer en toi.
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Donc le poumon. J’ai tourné et retourné cela dans ma tête toute la
journée, je ne pouvais penser à rien d’autre. Ce n’est pas que la maladie
m’effraierait beaucoup, probablement, je l’espère, n’est-elle apparue que
doucement chez vous — comme vos observations semblent l’indiquer —
et même une vraie maladie pulmonaire (la moitié de l’Europe de l’Ouest
a des poumons plus ou moins abîmés) telle que je la connais chez moi
depuis trois ans, m’a apporté plus de bien que de mal. Il y a environ trois
ans cela a commencé chez moi par un crachement de sang au milieu de la
nuit. Je me suis levé, excité comme on l’est devant tout ce qui est nouveau
(au lieu de rester allongé, comme j’appris plus tard qu’il était conseillé de
le faire), bien sûr aussi un peu effrayé, je suis allé à la fenêtre, je me suis
penché au-dehors, je suis allé au lavabo, j’ai marché dans la chambre, je
me suis assis sur le lit — toujours du sang. Mais je n’étais pas du tout
malheureux, car j’ai compris progressivement pour une certaine raison,
que, pour la première fois depuis trois ou quatre années presque sans
sommeil, et pour peu que l’hémorragie cesse, j’allais dormir. Cela cessa
d’ailleurs (et n’est plus revenu depuis) et je dormis le reste de la nuit.
Le matin la femme de ménage arriva (j’avais à l’époque un logement au
palais Schönborn), une brave fille, très dévouée, mais aussi très objective,
elle vit le sang et dit : « Pane doktore, s Vámi to dlouho nepotrvá 2
. » Mais
je me sentais mieux que d’habitude, je suis allé au bureau et j’ai attendu
l’après-midi pour voir le médecin. La suite de l’histoire est sans intérêt.
Ce n’est pas votre maladie qui m’a effrayé, (d’autant moins que je ne cesse
de m’y immiscer, de travailler mes souvenirs et de reconnaître au-delà
de votre délicatesse une quasi-fraîcheur paysanne et de constater : non,
vous n’êtes pas malade, c’est un avertissement mais pas une maladie du
poumon), ce n’est donc pas cela qui m’a effrayé, mais la pensée de ce qui
a dû précéder cet incident. Ici je commence par exclure ce qui se trouve
par ailleurs dans votre lettre : pas un heller 3
— thé et pomme — tous

les jours de 2 à 8 — ce sont des choses que je ne peux pas comprendre,
apparemment on ne peut vraiment les expliquer qu’oralement. Et donc
je les exclus maintenant (seulement dans la lettre, certes, car on ne peut
pas l’oublier) et je ne pense qu’à l’explication que j’avais trouvée pour la
maladie dans mon cas, et qui vaut pour bien des cas. C’en était arrivé au
point que le cerveau ne pouvait plus supporter les soucis et les douleurs
qu’il subissait. Il dit : « j’abandonne ; mais s’il y a quelqu’un ici qui tient
encore à la conservation du tout, qu’il me soulage d’une partie de ma
charge et cela ira encore un moment ». Alors le poumon se manifesta, il
n’avait vraiment pas grand-chose à perdre. Ces négociations entre cerveau
et poumon, qui se déroulaient à mon insu, ont dû être effroyables.
Et qu’allez-vous faire maintenant? Ce n’est probablement rien, si l’on
vous protège un peu. Que l’on doive un peu vous protéger, c’est quand
même évident pour tous ceux qui tiennent à vous, tout le reste doit s’effacer. Serait-ce là une libération? J’ai dit oui, — non, je ne veux pas plaisanter, je ne suis pas du tout gai et je ne le deviendrai pas avant que vous
ne m’ayez écrit comment vous réorganisez votre mode de vie sur une
base plus saine. Pourquoi vous ne quittez pas un peu Vienne, je ne vous
le demande plus après votre dernière lettre, je le comprends maintenant,
mais même tout près de Vienne il y a de beaux endroits et beaucoup de
possibilités de prendre soin de vous. Je n’écris aujourd’hui à propos de
rien d’autre, il n’y a rien de plus important que j’aurais à exposer. Tout le
reste demain, même le remerciement pour la revue, qui me touche et me
fait honte, m’attriste et me réjouit. Non, encore cela aujourd’hui : si vous
perdez encore une minute de sommeil pour traduire, alors c’est comme
si vous me maudissiez. Car si un jour l’affaire passe en justice, on n’aura
pas besoin de longues investigations : il suffira d’établir ce fait : il lui a
volé son sommeil. Je serai ainsi jugé, en toute équité. Donc je me bats
pour moi, en vous priant de ne plus le faire.
Votre FranzK.
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.
Chère Madame Milena,
La pluie qui a duré pendant deux jours et une nuit vient tout juste de
s’arrêter, sans doute provisoirement, mais c’est tout de même un événement digne d’être célébré, ce que je fais en vous écrivant. D’ailleurs la pluie
elle-même était supportable, car c’est l’étranger ici, certes un étranger en
petit, mais qui réjouit le cœur. Vous-même, si mon impression était
juste, (une petite entrevue unique et à demi muette ne veut visiblement
pas s’effacer de la mémoire), vous vous êtes réjouie de Vienne l’étrangère,
sans doute est-elle devenue trouble plus tard à cause des circonstances
générales, mais l’étranger vous réjouit-il en lui-même ? (Ce qui serait
peut-être d’ailleurs un mauvais signe et ne doit pas être.)
Je vis très bien ici, le corps périssable ne pourrait guère supporter plus
de sollicitude, le balcon de ma chambre plonge dans un jardin, noyé,
englouti par des arbustes en fleurs (curieuse végétation ici, par un temps
qui à Prague gèle presque les mares, les fleurs s’ouvrent lentement devant
mon balcon), il est exposé au plein soleil (en tout cas au plein ciel, bien
nuageux comme depuis presque toute la semaine), des lézards et des
oiseaux, paires mal assorties, me rendent visite : j’aimerais tant vous
proposer Merano, vous avez une fois écrit sur l’impossibilité de respirer,
sens propre et sens figuré y sont très proches et tous deux pourraient
devenir un peu plus aisés ici.
Avec mes salutations les plus cordiales.
Votre
F Kafka
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"Des menaces menacent les Juifs"
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Je ne trouve rien à écrire, je ne sais que flâner autour des lignes dans la lumière de vos yeux, dans l'haleine de votre bouche, comme dans une journée radieuse.
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Il fait un peu sombre à Prague, je n'ai pas encore eu de lettre, mon cœur est un peu lourd; et sans doute est-il impossible qu'une lettre ait pu arriver déjà; mais va expliquer cela au cœur.
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Il est difficile de dire la vérité, car il n'y en a qu'une, mais elle est vivante et a par conséquent un visage changeant.
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N'oublie pas non plus que, si le sérieux et la plaisanterie sont faciles à distinguer, ils cessent de l'être avec les gens assez importants pour que notre vie dépende d'eux; le risque est trop grand.
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Voilà maintenant que je perds jusqu'à mon nom; il n'a cessé de devenir de plus en plus court, maintenant il est devenu : A toi.
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On devrait vous prendre la tête entre les deux mains, Milena, et vous regarder bien dans les yeux pour que vous vous reconnaissiez vous-même au fond de ceux de l'autre et ne puissiez plus penser de choses comme vous en avez écrit là.
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