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Alexandre Vialatte (Traducteur)
EAN : 9782070368037
371 pages
Gallimard (18/02/2000)
3.87/5   391 notes
Résumé :
" Lorsque, à seize ans, le jeune Karl Rossmann, que ses pauvres parents envoyaient en exil parce qu'une bonne l'avait séduit et rendu père, entra dans le port de New York sur le bateau déjà plus lent, la statue de la Liberté, qu'il observait depuis longtemps, lui apparut dans un sursaut de lumière. On eût dit que le bras qui brandissait l'épée s'était levé à l'instant même, et l'air libre soufflait autour de ce grand corps... "

Le héros, Karl Rossmann... >Voir plus
Que lire après L'Amérique ou Le Disparu Voir plus
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Adolescent projeté dans un monde en perpétuel mouvement, par la volonté de ses parents, Karl Rossmann, immigré non consentent, doit désormais prendre les habits de l'homme adulte pour survivre dans son exil new-yorkais. Inexpérimenté, candide, pétri de bonne éducation et épris de justice, il se heurte à l'âpreté de sa condition. Rempli de bonne volonté et d'une ambition certaine, mais d'une naïveté confondante, dans une ville qu'il ne connaît pas, dans une langue qu'il maîtrise à peine, Karl Rossmann tente de déjouer tous les pièges que la misère, la faim, les mauvaises rencontres peuvent lui tendre. Il est persuadé que sa droiture et son abnégation seront récompensées. Il n'en est pas moins ballotté de situation en situation désastreuses et il faut au jeune Karl, une vigoureuse volonté de corps et d'esprit pour se hisser au-dessus d'un quotidien marqué par la fatalité, l'arbitraire et la malchance. Après avoir réussi à échapper à trois personnages magnifiquement répugnants : Brunelda, ancienne cantatrice qui ressemble à un gros insecte dans sa chambre-capharnaüm, et Robinson et Delamarche, deux voyous, sangsues sans conscience, nous le quittons à bord d'un train, en route pour son nouveau travail, dans une atmosphère à l'angoisse diffuse, après un recrutement surréaliste et drolatique. Que devient-il ? Franz Kafka suspend le destin de son héros..
En dehors de Karl Rossmann, il y a les autres.
C'est avec une force minutieuse que Kafka décrit les migrants s'entassant dans les arrière-cours et les quartiers populaires de New-York. Les pages sont d'un réalisme, et d'un lyrisme froid. Un réservoir de nationalités venues chercher des jours meilleurs, un espoir de futur où se mêlent les réussites et les échecs, les désillusions et les joies, le malheur et la chance. Tout se côtoie sur cette terre d'asile, pour le meilleur et pour le pire.
Et puis il y a le monde du travail, surtout le travail des « sans-grade ». Un univers à la fois grotesque, brutal, empreint d'une certaine solennité et grandeur. L'individu y subit un sort qu'il ne comprend pas ou si peu. D'ailleurs Karl Rossmann employé comme groom dans un hôtel frôle le burlesque ; c'est une marionnette exploitée, soumise à une hiérarchie sans fin, implacable et ridicule ; jamais à l'abri d'une « faute » qu'il pourrait commettre et que ses supérieurs attendent de lui comme un fait inéluctable.
Ce premier roman de Franz Kafka a déjà cette sous-jacente « persécution » nimbant la plupart de ses écrits. Les thèmes de l'aliénation et de la fatalité sont aussi présents comme un puits sans fond où l'humain ne peut sortir vainqueur.
C'est un beau livre "clinique" ; Kafka y déploie ses obsessions, ses peurs, ses angoisses mais aussi ses rêves et une forme d'empathie désespérée et sombre pour le genre humain.

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" Il y a dans ce livre des passages qui rappellent irrésistiblement Chaplin. "

Merveille de cette citation, toujours vibrante et éclairante (figurant toujours en page IV de couverture de l'édition de poche "folio")... Elle nous vient de Max BROD – ami fidèle et exécuteur testamentaire de Franz KAFKA (1883-1924).

La première publication de cette oeuvre fut assurée dès 1927 (à titre posthume, seulement trois années après la disparition physique de son auteur) – en langue allemande mais sous son titre modifié d' "Amerika" – grâce à l'énergie et la foi inaltérable de Brod et par les soins de l'éditeur de
Franz Kafka, Kurt Wolff, d'abord a Munich en 1927 puis à Berlin en 1935 (Schocken Verlag) dans le cadre de la parution des "Oeuvres Complètes" ; enfin en 1946 toujours par "Schocken Books Inc.", New York City, U.S.A.

Sorte de "retour à l'envoyeur" – ou de clin d'oeil du Destin ?

Egalement inachevés, deux "romans" étaient précédemment parus à New York : "Der Prozeß " en 1925, "Das Schloß" en 1926.

Leur auteur ? Pour ses contemporains, un "fonctionnaire obscur" salarié de l' "Arbeiter-Unfall-Versicherungs-Anstalt für das Königreich Böhmen" de Prague, écrivain amateur à ses heures, qui disparut le 3 juin 1924 à Kierling, près de Vienne – à l'âge de 40 ans – des suites d'une laryngite tuberculeuse (et, comme on le sait, dans d'atroces souffrances : peu à peu aphone, l'on meurt lentement de faim et d'asphyxie).

Notons que toute son oeuvre de nouvelliste [pour "Betrachtung" (1912), "Das Urteil" (1913), "Der Heizer - Fragment" (1913), "Die Verwandlung" (1915), "In der Strafkolonie" (1919), "Ein Landarzt (1919)", "Hungerkünstler" (1922)] n'était alors connue que d'un public germanophone très restreint, se limitant à quelques lecteurs et amis, et bien sûr ses deux éditeurs successifs à Leipzig : Ernst ROWOHLT – pour le premier de ces recueils – puis Kurt WOLFF – pour les 6 suivants, dont le fragment "Der Heizer" [*], premier des chapitres de cette future "Amerika".

Comme le rappelle le signataire de l'article "Franz Kafka" sur Wikipedia, "C'est l'écrivain Alexandre VIALATTE qui révéla le génie de Kafka au public français. Après avoir découvert "Le Château" en 1925, il entreprend de traduire en français "Le Procès", "La Métamorphose" ainsi que les "Lettres à Milena" [...]"

Ce premier roman des "trois romans inachevés" de Franz Kafka fut donc traduit en français par Alexandre Vialatte, après les deux autres : sa première publication en langue française eût lieu – par les éditions Gallimard – en 1946.

Mais en voici le texte de présentation par l'éditeur français :

" Le héros, Karl Rossmann, est un jeune émigrant de seize ans que ses parents ont expédié en Amérique à la suite d'une mésaventure avec une bonne. le hasard lui permet de retrouver son oncle Jacob, sénateur à New York, homme d'affaires puissant et riche. Oncle Jacob l'adopte et entreprend de le préparer à devenir aussi un homme d'affaire. Mais Karl accepte étourdiment l'invitation d'un ami de son oncle et se soustrait ainsi sans motif valable à sa leçon d'anglais et à sa leçon d'équitation. Cela suffit pour que l'oncle Jacob le chasse à tout jamais. Voici Karl redevenu un pauvre émigrant sans appui encombré d'une malle et d'un parapluie.
Son personnage honnête et candide, épris de justice, connaît encore bien des déboires et des aventures tragiques. La méchanceté du sort le poursuit sous les traits de deux vauriens qui le volent, l'exploitent, le trahissent.
Il trouve enfin un engagement dans le grand théâtre d'Oklahoma "qui emploie tout le monde et met chacun à sa place".

L'arrivée initiale – entravée par la perte de la valise – à "L'île de la Statue"... et voilà que nous revoyons celle du couple Edna Purviance /Charlie Chaplin dans "The Immigrant", ce moyen métrage merveilleusement émouvant réalisé par Charlie CHAPLIN en 1917... ou – plus proche chronologiquement de nous – celle du couple Joaquin Phoenix/Marion Cotillard dans "The Immigrant", le long métrage nostalgique de James GRAY sorti en 2013...

Statue dont l'énigmatique "glaive" remplacera le flambeau... car, bien sûr, Franz K. a TOUT inventé, par la grâce de n'avoir jamais posé les pieds sur Ellis Island ou tout autre lieu "réel" de l'Amérique post-colombienne...

On se souviendra longtemps de ces terribles ("pittoresques" ?) ambiances d'arrières-cour des quartiers misérables... celles qui nous renvoient aux images terribles de "The Kid" de Charlie CHAPLIN [1921] – puis à celles de "Gangs of New York" de Martin SCORSESE [2002], représentant la même relégation sociale "de masse". Théâtre quotidien du désespoir pour ces milliers d' "emprisonnés à vie" dans les bas-fonds de N.Y.

Comme des lamentables et tragi-comiques mésaventures de "Robinson et Delamarche", ordinaires et extraordinaires figures de la (toute petite) pègre qui, de déboires en déboires (qu'ils font subir involontairement au naïf "jeunot" Karl Rossmann), nous font penser aux visages des personnages grimés au noir de bouchon, joués par les comparses et acteurs fidèles de la troupe de Charlie C. (Eric Campbell, en premier lieu)...

Et ces purs éblouissements visuels qui nous attendent encore dans le chapitre VIII : "LE THEATRE DE LA NATURE d'OKLAHOMA"... et son étrange – presque extatique – "logique du rêve"... et nous revoyons les labyrinthes du film "Sanatorium pod Klepsydra" de Wojciech Jerzy HAS [1973], d'après l'oeuvre magique de Bruno SCHULZ, "Le sanatorium sous la clepsydre" [1937].

Car tout est divinement bon et beau – humainement "cruel", lyrique et authentique – dans "Amerika"/ "Der Verschollene" (Le Disparu) de Franz KAFKA...

Gloire éternelle de Max Brod qui sauva pour toujours (en "trahissant" les suppliques testamentaires de son ami défunt) les pages qui suivirent "Le Soutier" [*] ...

Brod nous rendit ainsi PRESQUE complet "Der Verschollene"/"Amerika", peut-être le plus foncièrement "merveilleux" des trois romans (inachevés ou inachevables ?) du grand juriste-écrivain praguois.

[*] "Der Heizer - Fragment" (traduit en français par "Le chauffeur" ou "Le Soutier") fut courageusement publié par Kurt Wolff en 1913, seul et tout premier chapitre du futur roman "Amerika/Der Verschollene". La "Kurt Wolff Verlag" fut une maison d'édition active de 1913 à 1930 à Leipzig : on peut affirmer (sans risquer de trop se tromper) que Kurt Wolff fut - à six reprises - celui qui "fit naître à lui-même" l'écrivain Kafka...
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Kakfa aime bien les K (K sociaux, K cliniques). Karl (le K de l'Amérique, le Disparu) est sur le point de disparaître à moins qu'il n'ait déjà disparu, dans les bas-fonds de la ville de New-York. Karl, expulsé, banni, honni de sa famille, débarque d'Europe. Karl, c'est le Kandide de Kafka. C'est qu'il a commis une faute - grave la faute - originelle. Il est, en conséquence de ses erreurs, condamné à rater à sa vie ; ayant pris un faux départ. Il rate absolument tout ; c'est ce qui fait de lui un raté. Il n'a pas posé le pied en Amérique qu'il commet déjà des erreurs, fatales. Il rate le débarquement du bateau parce qu'il se rend compte qu'il a oublié son parapluie derrière lui. Il laisse sa valise à quelqu'un, pour retourner chercher son parapluie, mais il perd, au final, son parapluie et sa valise et puis il se perd dans les couloirs du bateau. Il s'égare, sans cesse. Il cherche sa place. Il s'invente une vie. Il parle à tort et à travers, surtout lorsqu'il parle pour les autres, au nom des autres. Il perdra son chapeau, son costume, ses papiers d'identité, son identité, en somme, au fur et à mesure et il endossera les habits des autres. Tout ce qui lui arrive semble absurde, parce qu'il se comporte mal, ne connaissant pas les codes ou les outrepassant pour telle ou telle raison, et il se retrouve engagé de force, auprès de l'oncle Jakob ; qui lui laisse entrevoir les hautes sphères de la société mais là encore, il sera maltraité, séquestré, chassé. On se moque de lui, et il s'en rend à peine compte ; on ricane en le montrant du doigt, on l'humilie.
Ce roman d'apprentissage est marqué par la honte et par la dérision.

De mauvaises rencontres se font, des opportunités se présentent, qu'il saisit ou qu'il ne saisit pas (parce qu'il ne comprend rien à ce qui se passe) ; et il tente comme il peut, de manière assez maladroite, de manière malhonnête même, parfois, la malhonnêteté venant soit de Karl soit des autres parce que Kafka joue des malentendus, pour projeter Karl dans des situations incroyables, impossibles, sans issue. Et au lieu de faire ce qu'on attend de lui, ou ce qu'il attend de lui-même, c'est à dire de se faire une place dans la société, de progresser sur l'échelle sociale, en partant de l'échelon le plus bas, il descend toujours plus bas. Il prend pas mal de fois d'escaliers, pas mal de fois l'ascenseur, étant même embauché, plus tard, comme liftier (garçon d'ascenseur, émotionnel), avant d'être licencié. Il monte et il descend, il monte et il descend, comme les anges dans la Bible qui montent et qui descendent l'échelle du rêve de Jacob. Or, les anges, à la fin du roman, démesurément grands, perchés sur leurs piédestaux, plus ou moins en hauteur, s'avèrent être de vulgaires fantoches.
Il monte sur le piédestal de l'ange, pour le saluer, et il redescend.
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Des parents peu aimants ont exilé leur fils de seize ans à peine, aux Etats-Unis "parce qu'une bonne l'avait séduit et rendu père."
J'ai d'abord cru que l'auteur voulait subvertir les moeurs bourgeoises pour les ridiculiser, mais non, à tout prendre : il veut simplement mettre l'accent sur la candeur du héros et les risques qu'elle peut lui faire encourir.
Il est intéressant de voir comment Kafka, qui n'est jamais allé aux Etats-Unis, en rend une image convaincante et ubuesque à la fois à travers le regard neuf et exempt de préjugés du jeune Karl Rossmann.
Il s'agit là d'une oeuvre imaginaire, mais on la sent fortement documentée sur le fonctionnement monopolistique des grosses entreprises américaines, notamment les sociétés de fret et les grands hôtels. Kafka décrit le gigantisme des rues new yorkaises, leur agitation continuelle, la dureté du monde du travail avec ses journées de douze heures, le système électoral, le mode de vie des diverses classes sociales, depuis les capitaines d'industrie jusqu'aux miséreux faméliques.
On retrouve bien l'univers inexorable du Procès ou du Château : le sentiment d'immersion des personnages dans leur réalité ( leur cauchemar ?) est rendu avec intensité. Le jeune Karl malgré son courage et son opiniâtreté, doit faire face à un monde chaotique et dangereux.
La mise en place du roman est un peu lente. Mais tout prend rythme et force peu à peu jusqu'à l'abandon du héros par l'auteur, l'oeuvre étant inachevée.
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Karl a 16 ans lorsqu'il est envoyé par ses parents en Amérique : sa naïveté n'a en effet pas pu le protéger contre les avances d'une bonne entreprenante, mais le scandale n'en est pas moins grand. Il lui faudra dès lors prendre sa vie en main tout seul, malgré son inexpérience.

À peine arrivé à New York, Karl a la bonne surprise de rencontrer un de ses oncles, riche homme d'affaire qui le prend sous son aile. Son avenir paraît alors particulièrement radieux. Mais voilà, les personnages n'ont pas l'habitude de mener une petite vie tranquille. Au contraire, Karl est pris dans une spirale infernale : il se retrouve toujours au mauvais endroit au mauvais moment, ses valeurs et la logique qui guide ses choix paraissent déplacés et grotesques à tout autre que lui, et les rares fois où il prend les bonnes décisions, il trouve sur son chemin des gens qui l'entravent, le ralentissent, jusqu'à ce que son objectif lui glisse entre les doigts. Malgré sa bonne volonté, et la baisse de ses ambitions à chaque échec, le sort continue de s'acharner sur lui. Ses tentatives d'être le maître de son destin restent vaines : il n'est qu'un pion que d'autres déplacent selon leur bon vouloir.

On retrouve dans ce roman inachevé un thème majeur de Kafka, celui de l'individu qui se débat inutilement dans un système qui le dépasse. J'aurais bien aimé connaître la fin exacte, car ce roman s'achève par une note d'espoir, assez inhabituelle pour l'auteur.
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" Cependant, fermement décidé à ne pas dormir, il s'assit sur l'unique chaise de la chambre, remit à plus tard le soin de fermer sa cantine ‒ il avait encore toute la nuit ‒ et feuilleta un peu sa Bible sans la lire. Il prit ensuite la photographie de ses parents : le petit homme qu'était son père se tenait tout droit sur cette image tandis que la mère restait prostrée dans un fauteuil. Le père posait une main sur le dossier du siège et l'autre, le poing fermé, sur un livre illustré qui était ouvert à côté de lui, sur un fragile guéridon. Karl avait bien une autre photographie, qui le montrait avec ses parents ; on le voyait fronçant le sourcil pour l'obliger à regarder l'appareil comme le demandait le photographe ; mais il n'avait pas pris cette photo avec lui.

Il n'en regardait que plus attentivement celle qu'il avait sous les yeux, et cherchait à capter le regard de son père en la tournant sous divers angles. Mais il avait beau la tourner, et modifier la position de la bougie, le père refusait de vivre ; sa grosse moustache ne ressemblait pas à la réalité, ce n'était pas une bonne photo. La mère, en revanche, était un peu mieux réussie ; elle pinçait la bouche comme une femme outragée qui se serait contrainte à sourire. Il semblait tellement à Karl que ce détail devait frapper ceux qui regardaient la photo que la violence de cette impression lui paraissait presque anormale. Comment une photo pouvait-elle donner si fortement la conviction définitive d'un sentiment caché sous les traits du visage ? Il détourna ses yeux de l'image. Quand il y revint il fut frappé par l'aspect de la main de sa mère qui pendait sur le bras du fauteuil, au premier plan, si près qu'on eût pu l'embrasser. Il se demanda s'il ne serait pas bon qu'il écrivît à ses parents comme ils le lui avaient demandé (le père surtout, à Hambourg, en dernier lieu, très sévèrement). Jadis, sans doute, ce soir horrible où sa mère lui avait appris, à la fenêtre, qu'il faudrait partir pour l'Amérique, il s'était bien juré ses grands dieux de ne jamais leur envoyer un mot, mais que valait maintenant, ici, dans sa nouvelle situation, ce serment d'un petit garçon ! Il eût aussi bien pu jurer de devenir général de la milice fédérale ! Et maintenant il se trouvait en compagnie de deux voyous dans la mansarde d'une auberge de New York, et devait s'avouer, pour comble, qu'il y était bien à sa place !!! Il examina en souriant la physionomie de ses parents comme s'il eût pu lire en elle s'ils avaient toujours le désir de recevoir des nouvelles de leur fils.

A force de regarder, il ne tarda pas à s'apercevoir qu'il était très fatigué et ne pourrait que difficilement veiller encore jusqu'au matin. La photo s'échappa de ses doigts ; il appuya sa joue sur elle ; cette fraîcheur lui fit du bien et il s'endormit sur une sensation agréable. "

[Franz KAFKA, "Der Verschollene/"Amerika" (1927) - "L'Amérique", chapitre IV : "Sur la route de Ramsès" - traduction d'Alexandre Vialatte pour les éditions Gallimard, 1946 - pages 124-125 de l'édition de poche "folio"]
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Karl voyait bien que sa place était déjà perdue : le gérant l'avait déjà dit, le portier en chef l'avait répété comme on constate un fait acquis, et il n'était sûrement pas nécessaire que le renvoi fût confirmé par la direction de l'hôtel dans le cas d'un malheureux groom. Tout s'était passé, à vrai dire, plus vite qu'il n'avait pensé, car, après tout, il y avait deux mois qu'il travaillait déjà pour l'hôtel en toute conscience et sûrement mieux que maint autre. Mais ces choses-là n'entrent sans doute justement pas en ligne de compte au moment décisif en Amérique ni en Europe ; les décisions sont prises comme la colère les dicte aux juges dans le premier moment.
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Aussi a-t-il fallu que Clara vous attire ici ; sans quoi je ne vous aurais jamais entendu jouer. Vous le faites en vrai débutant ; même dans ces chansons que vous avez étudiées, et qui sont d'une facture très primitive, vous avez commis quelques fautes ; mais en dehors de ces considérations, j'ai été très heureux de voir que je ne méprise le jeu de personne.
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incipit :
Lorsque, à seize ans, le jeune Karl Rossmann, que ses pauvres parents envoyaient en exil parce qu'une bonne l'avait séduit et rendu père, entra dans le port de New York sur le bateau déjà plus lent, la statue de la Liberté, qu'il observait depuis longtemps, lui apparut dans un sursaut de lumière. On eût dit que le bras qui brandissait l'épée s'était levé à l'instant même, et l'air libre soufflait autour de ce grand corps.
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− Je viens parce que je crois que le chauffeur m'accuse de je ne sais quelles improbités. Une fille de la cuisine m'a dit qu'elle l'avait vu passer. Mon Capitaine, et vous, messieurs, je suis prêt à réfuter toute accusation, papiers en main, et, s'il est nécessaire, en faisant déposer des témoins non prévenus et non influencés qui se tiennent ici à la porte.
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