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Critique de Lucilou


Il y a longtemps que je n'avais pas lu un roman aussi dérangeant, aussi complexe; longtemps que je n'avais pas ressenti cet exquis malaise provoqué par les délices délétères d'une histoire aussi captivante que vénéneuse. Ma première rencontre avec Laura Kasischke est une réussite que j'envisage déjà de prolonger avec "En un monde parfait"...

Une nuit de printemps, un accident de voiture a lieu non loin du campus d'une université américaine et fait deux victimes. Nicole, une jeune étudiante de première année, aussi solaire que sympathique, est retrouvée morte, baignant dans une mare de sang. Craig, son petit -ami est blessé, hagard et erre sur la route.
Septembre: alors que la tragédie hante encore le campus et que la mort de Nicole est sur toutes les lèvres, l'heure de la rentrée sonne: le récit peut vraiment commencer après un prologue aussi trouble qu'élégant. Rapidement, "Les Revenants" se dévoile: roman chorale, récit polyphonique, il nous met face à plusieurs personnages qui ont tous un lien avec le drame.
Il y a Craig qui fait son retour à l'université et qui tente de revivre malgré son mal-être, son désespoir, le poids de la culpabilité et les regards lourds de reproches ou de condescendance de ses condisciples. Craig qui erre sur le campus, qui se cache du regard des autres et qui croit voir Nicole à chaque endroit qu'il fréquente.
Il y a Perry, le colocataire de Craig qui tente de soutenir ce dernier du mieux qu'il peut et qui connaissait Nicole depuis l'enfance. Perry qui observe ce qui se passe autour de lui, qui écoute, qui s'inquiète. Quand les rumeurs concernant un possible retour de Nicole enflent et menacent de virer à la psychose collective, l'étudiant décide de s'inscrire au cours d'anthropologie de la mort de Mira, professeure jeune et brillante en perte de vitesse. Il espère trouver des réponses à ses questions auprès de la jeune femme qui croit trouver dans le drame et ses retombées le sujet parfait pour sa prochaine publication.
Enfin vient le tour de Shelly. Enseignant également à l'université, elle est le seule témoin de l'accident qui a couté la vie de Nicole, mais sa version n'a jamais été écoutée, ni par la presse, ni par la police et cela la préoccupe.
Autour de ces personnages dont les voix se mêlent dans le roman, il faut aussi évoquer la myriade de personnages secondaires qui gravitent autour d'eux: conseil d'administration de l'université, parents, blondes étudiantes vierges (Ah l'Amérique!) qui fréquentaient la même sororité que Nicole, employés de la morgue...

Chacun à leur manière, ces personnages sont confrontés au drame, au deuil. Tous vont devoir faire face à la perte que représente pour eux la mort de Nicole, qui était si belle, si vivante... si pure ainsi qu'aux rumeurs, à leurs propres croyances, à la mort ou encore aux silences et à l'hypocrisie d'une société corsetée et implacable. le drame ayant revêtu une dimension collective, la psychose s'installe. Ainsi, Craig n'est plus le seul à prétendre voir Nicole. Certains étudiants l'auraient vue, quelques uns auraient même eu des relations sexuelles avec elles... Nicole est-elle vraiment de retour? Fantôme? Supercherie? Pas si simple de découvrir la vérité quand le silence fait loi sur le campus, quand les sororités sont toutes puissantes, soudées jusqu'à l'impensable, quand les machinations s'enracinent au plus profond... ou au plus près des puissants de ce petit monde.
Les personnages se retrouvent ainsi plongés dans une affaire trouble, inquiétante qui les dépasse et d'une implacable noirceur, un tourbillon oppressant dont ils ne ressortiront pas indemnes. Avec une dextérité qui confine au sadisme, Laura Kasischke tire les ficelles d'un drame complexe et révèle au lecteur tout ce que ce dernier peut dissimuler d'angoissant et de cruel.

Au delà de son intrigue virtuose qui distille une atmosphère lourde, noire et horrifique à souhait grâce à la montée progressive du suspense et de la tension, grâce aussi à des personnages troubles dont on ne sait plus que penser à force de masques et de faux semblants, la romancière nous propose un roman d'une grande finesse qui parvient à nous immerger au coeur d'un campus bien américain -un peu comme dans "Le Maître des Illusions" de Donna Tartt, mais en beaucoup plus convaincant- et à en dénoncer les abus, tout comme elle dénonce les travers d'une société américaine bien-pensante, puritaine et hypocrite qu'elle fustige en se servant de thèmes forts et complexes tels que l'adolescence, la sexualité, la mort, les différentes classes sociales et leurs codes.
J'ai particulièrement apprécié la réflexion que propose Laura Kesischke sur la mort et les mécanismes du deuil, comme expérience personnelle et collective, sur la fascination aussi qu'exerce la mort sur chacun d'entre nous.

Dérangeant donc, mais hypnotique et convaincant.

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