Citations sur On n'enterre pas le dimanche (9)
Margareta était individualiste. Moi aussi. Mais autant je détestais l'individualisme solitaire, autant l'individualisme à deux me semblait plein de charme.
Il y a un univers de la solitude. Un univers gris, sordide, plein de hurlements silencieux et de monologues interminables. La vie qui se recroqueville sur elle-même et qui se racornit. Les pensées qui tournent en rond et qui rancissent… L’illusion que l’on vous regarde, que l’on vous écoute, et brusquement, l’aveuglante et insupportable évidence que l’on n’a eu que soi-même comme public… « Un homme seul est comme un lépreux, a dit Koestler, il marche et la foule s’écarte… »
C’était plus facile à dire qu’à faire. J’avais peur d’être trop brutal, maladroit. Il aurait fallu engager la chose avec désinvolture.
Mais dans la moiteur d’étuve du musée, environné de ces fantômes empanachés aux regards fixes, la désinvolture n’était pas facile.
Je travaillais au musée depuis longtemps, mais il me faisait toujours subir une espèce d’envoûtement. Mes parents m’y avaient conduit deux ou trois fois quand j’étais petit, et j’en avais toujours conservé un souvenir magique. J’aimais ces personnages figés dans leur haine, dans leur triomphe ou dans leur terreur. J’aimais cette nécropole de mannequins auxquels l’immobilité conférait un parfum d’éternité.
Dans mes romans, quand je fais allumer une cigarette à un personnage, c’est que je ne sais quoi lui faire faire d’autre à cet instant. C’est un vieux truc de romancier. Dans Peter Cheyney, Callaghan arrive à fumer vingt cigarettes par page. Ou, plutôt, il les allume. Car on se demande où il trouverait le temps de les fumer. Cela montre que la fiction imite toujours la réalité. Dans la réalité aussi, on allume le plus souvent une cigarette parce que l’on ne sait quoi faire d’autre. Pour se donner une contenance.
Si c’était pour en arriver là
C’était pas la peine de chanter ça !…
Je voulais prouver mon amour par la durée comme on prouve le mouvement en marchant. Je savais que je l’aimais et qu’en un sens elle m’avait sauvé la vie. Mais je savais également qu’elle-même n’avait pas d’aussi bonnes raisons de s’être attachée à moi. Je ne lui avais rien apporté. J’ignorais ce que je représentais à ses yeux et je ne trouvais pas le courage de lui poser la question. D’ailleurs, je n’avais guère confiance dans les mots : lorsque nous serions séparés par le temps et l’espace, et qu’au-dessus de ce gouffre le souvenir de ces trois semaines serait notre seul lien, alors j’apprendrais si cette histoire possédait réellement le sens que je lui avais donné, ou si elle n’avait jamais été qu’une amourette de vacances bientôt engloutie sous l’amoncellement des jours.
Ce qui éloignait les filles était donc plus subtil. Comme si elles avaient peur de moi. Peut-être devinaient-elles que je n’étais soutenu par aucune foi, ni aucun idéal, ni aucune ambition. Que par moi-même, je n’étais rien, et qu’il me fallait l’amour de l’une d’elles pour devenir quelque chose. Je n’avais ni chaleur ni lumière à communiquer. Je ne pouvais qu’en recevoir comme un astre mort.
Je n’étais pas dynamique. Je n’étais persuadé de rien, si ce n’est de la vanité de tout. Je n’avais d’autre raison de vivre que la peur de mourir. Je ne le disais pas, bien entendu, mais elles devaient le lire dans mes yeux…
J’avais la hantise d’être pris pour un Noir africain. Pourquoi ? je n’en sais rien. Instinctivement. On a beaucoup parlé du racisme des Blancs. Celui entre hommes de couleur, de nuances différentes, est encore plus profondément enraciné, je suis le premier à le reconnaître.
J’ai toujours grand mal à préciser ma pensée. J’ignore si cela tient à la pauvreté de mon vocabulaire ou à l’indigence de ma pensée. (Un critique a dit que cela tenait des deux à la fois.)