Mèmed le faucon

- Quand ils vieillissent, les gens deviennent mesquins...

La terre de l'Anavarza, ce n'est pas de la terre, c'est de l'or. Seul Ali Safa Bey le sait, seul Ali Safa Bey ressent jusqu'au fond du coeur la saveur de cette terre. Chacun de nous connait plus ou moins l'amour, chacun de nous nourrit une passion. La passion d'Ali Safa est folle, incurable, la pire de toutes. La passion d'Ali Safa, c'est la terre noire, féconde de l'Anavarza. À chaque aurore, plantant solidement ses pieds sur cette terre noire, tremblant de volupté, Ali Safa observe la plaine de l'Anavarza, au moment où s'éveille l'univers. Ce réveil, [...] ces insectes aux carapaces dures, multicolores, ces abeilles, ces oiseaux, ces gazelles, ces fleurs géantes, ces moissons jaillissantes, ces rizières repues débordant de verts, ces papillons, ces eaux, ces marais, ces sources, ces routes, ces colonnes de poussière, ces nuages argentés qui déversent la pluie en tourbillon, cet univers pris de folie, cette plaine de l'Anavarza, il voudrait la saisir dans ses bras, la serrer contre lui. Alors qu'autrefois, il n'avait pas un arpent de terre à lui dans cette plaine, il y possède maintenant des fermes et, pourtant, il n'en est toujours pas rassasié.

Un homme découragé est un homme mauvais. Que la malédiction du Seigneur soit sur les poltrons!

- Dieu n'aime pas l'homme qui a peur, dit l'hodja. L'homme vaincu, terrorisé, épouvanté, c'est ce que le Créateur a créé de plus horrible.

Ces nomades sont des hommes durs et braves. Comparés aux sédentaires, ils sont bien plus fidèles à leurs coutumes. Cette mèche de cheveux que nous portons sur la tête, Seftché et moi… Cette mèche est devenue la risée de tous ces bâtards, de ces types qui se moquent de l’œuf dont ils sont sortis. Alors que chez les Turkmènes, tous les vieux la portent. Les jeunes aussi. Une longue mèche. Les traditions turkmènes sont solides. Ce sont des traditions d’hommes, qui vous apprennent à vivre comme des hommes.

Un homme qui a vu la mort de près devient meilleur, plus courageux.

Mèmed, mon Faucon, la Seyrane est la belle des belles. Que le Seigneur épargne à nos ennemis eux-mêmes les malheurs qui l’ont frappée. Mais Seyrane a su résister, elle est un peu pâle et elle est triste, mais elle porte la tête haute… Dans sa colère, elle est comme une flamme. La colère la rend encore plus belle. Si belle que l’on ose à peine la regarder…

Les chevaux arabes ont une lignée. Chez les hommes, peu importe la lignée. L’homme a d’autres particularités. Ce n’est pas comme les chevaux. Un cheval, c’est tout autre chose.

L’homme qui a connu la peur ne s’en remet jamais plus, ni nulle part, ni dans l’air, ni sur terre, ni sur mer. Ne crains rien, ton cheval te reviendra et ce chien d’Ali Safa finira par trouver son châtiment. Ce cheval que tu as sauvé des flammes reviendra, il verra ta main boursouflée, cette main que tu as brûlée pour le sauver, elle te fait mal, ta main, mon fils ? Oui, bien sûr, mais peu importe, les mains brûlées guériront, ton cheval te reviendra, on dit qu’un cheval qui a fui l’incendie ne revient jamais, ne se remet jamais de sa peur, mais ton cheval à toi reviendra.

Peste soit de la vieillesse ! Un homme devient un enfant quand il vieillit, un tout petit bébé.