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Les Seigneurs de l'Aktchasaz tome 3 sur 3

Münevver Andaç (Traducteur)
EAN : 9782070377961
416 pages
Gallimard (03/03/1987)
4.38/5   13 notes
Résumé :
Entre le mont Aladag et la plaine de la Tchoukourova, le peuple turkmène des Yeuruks, au temps de sa splendeur, passait de son séjour d'été à ses quartiers d'hiver avec ses troupeaux de moutons, ses chameaux, ses tentes somptueuses aux quatre épaisseurs de tapis, des femmes d'une grande beauté, couvertes de bijoux.
Aujourd'hui la plaine est remplie du bruit des tracteurs, la plupart des tribus, sédentarisées, vivent des produits de la terre. A peine les Yeuru... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (1) Ajouter une critique
"Binboğalar Efsanesi" (1971) ["La légende des mille Taureaux"] : oeuvre-phare et secrète du "libre conteur" d'origine kurde Yachar KEMAL (1923-2015) où poésie orale, légende vivante et tragédie du déracinement sont indissolublement mêlées.

Lyrisme paisible des toutes premières pages du roman, dites "d'exposition", habitées des seuls sons glougloutant et des humbles lumières scintillantes en certain vallon du mont Aladag. Là où bouillonnent, par centaines, les sources d'altitude sous les myriades d'étoiles silencieuses...

« Au-delà du mont Aladag, il est un vallon, tout en longueur. Un vallon entièrement couvert d'arbres. Des centaines de sources y jaillissent. Des sources fraîches, claires, au lit tapissé de gravier, bordées de bruyère ou de menthe. Ce n'est pas de l'eau qui jaillit des sources, c'est de la clarté, de la lumière qui coule des fontaines. Depuis des temps très anciens, ce vallon derrière le Mont Aladag sert de pâturage d'été aux Turkmènes, aux Yeuruks, aux nomades Aydinlis. Depuis que la Tchoukourova est devenue leur campement d'hiver, le vallon de l'Aladag est leur alpage. Impossible de faire quitter aux Yeuruks cet alpage et ces quartiers d'hiver, ils en mourraient. le Yeuruk de l'Aladag est pareil à l'herbe qui a poussé au sommet d'un rocher et qui enlace le granit, s'y agrippe de ses racines. »

Les nomades turkmènes "Yörüks" au glorieux passé mythifié, leurs tentes en poil de chameau aujourd'hui rapiécées... Leur errance désormais sans espoir...

On se souviendra aussi — très longtemps — de la Quête, enjouée puis triste, de Maître Haydar, artisan yeurük ayant "forgé l'épée des Sultans" avec tant de soin pendant près de trente années... s'égarant avec son cheval dans la ville moderne, encore nimbé de ses illusions, drapé en son "monde d'hier", ses valeurs de générosité, son sens de l'honneur... Bientôt traité comme un mendiant, un clochard, un anachronisme...

" Qu'est-ce qu'ils ont tous à me regarder comme ça, tous ces salauds-là ? ", s'étonnera-t-il...

La rencontre de deux étoiles — aux doux noms d'Hizir et Ilyas — dans la nuit printanière du début mai rythme et scinde régulièrement la magie du récit...

« Cette nuit, c'est la nuit qui unit le 5 au 6 mai. Cette nuit, Hizir va rencontrer Ilyas. A l'instant même de leur rencontre, deux étoiles viendront se heurter dans le ciel. L'une arrive toute frémissante de l'ouest, l'autre de l'est, en tourbillonnant, elles se rejoignent. Et au même instant, elles grandissent, elles se multiplient, elles s'éparpillent sur l'univers en une pluie de lumières. C'est alors que sur la terre, tout s'arrête un bref instant, tout meurt. le sang cesse de couler dans les veines. Les vents ne soufflent plus, les rivières ne coulent plus, les feuilles ne remuent plus, les ailes des oiseaux et des insectes s'immobilisent. Tout s'arrête, les sons et le sommeil. Les fleurs cessent de s'épanouir, les herbes de pousser. Toute vie, tout mouvement s'arrête. Chez tout ce qui a une âme, chez tout ce qui n'en a pas. Un bref instant, tout meurt. Eh bien, à cet instant-là, si quelqu'un voit les étoiles s'unir et leur lumière se répandre dans l'univers, s'il voit les rivières cesser brusquement de couler, le voeu qu'il exprime alors se réalise. Même s'il s'agit du voeu le plus irréalisable... Si dans la nuit qui unit le 5 au 6 mai, Hizir ne rencontrait pas Ilyas, si le monde ne cessait pas de vivre à l'instant de leur rencontre, les fleurs ne s'épanouiraient jamais plus, plus rien ne naîtrait, plus rien n'enfanterait... A l'instant de leur rencontre, tout meurt soudain sur terre, mais un instant plus tard, la vie se renouvelle, elle jaillit plus robuste, plus éclatante que jamais. »

En superposition au couple d'étoiles, la fidélité jurée des deux amoureux turkmènes, Halil et Jeren ["Djérène"], au destin tragique.

"Plus jamais hier ne reviendra..." : les nomades Yeurüks peuvent-ils seulement concevoir pareille tristesse ?

Il s'agit d'un des plus beaux livres de l'aède-conteur : il est en tout cas — et de loin — l'un de nos préférés. Oeuvre magique ? Certainement...

Dès son enfance, Yachar Kemal avait appris à jouer du saz (luth oriental) : une "école des aèdes" qui forgea sa langue, vertigineusement libre et déliée.

A mettre à l'honneur enfin ici, la superbe traduction de Münevver Andaç, traductrice attentionnée des oeuvres lyriques et enjouées de l'aède-prosateur universel...

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Poursuivons ici par cet extrait d'une somptueuse critique, signée "J. L." pour le quotidien "Le Monde" [édition du vendredi 4 mars 1983] : "YACHAR KEMAL, ECRIVAIN DE TERRITOIRE" :

" [...] Il y a donc de grands, d'immenses espaces dans les livres de Yachar Kemal. Notamment, dans l'un de ceux que je préfère, "La légende des mille Taureaux". Kemal révèle ici qu'il est un bien un écrivain de territoire, non de terroir. Dans l'errance de ces tribus turkmènes à la recherche d'un lieu où s'établir, il y a d'abord une épopée réelle, historique, mais aussi tout un symbole ; il y a toute une allégorie en cette quête sans espoir apparent d'une terre et d'un ciel à aimer. Car qu'emportent et apportent avec eux ces errants ? Un monde, des coutumes, des exigences et des poèmes sont les hommes d'aujourd'hui ne veulent plus. Ces tentes somptueuses, ces majestueux kilim qui racontent à leur façon l'histoire de l'univers à travers leurs motifs, cette alliance vitale avec l'horizon, cet enracinement en un infini nécessaire, cet univers de danse, de chevaux, ce sont là pour Kemal non des souvenirs folkloriques mais la narration d'une alliance entre l'homme et son trajet terrestre, entre sa faim et ses chemins. C'est une irremplaçable leçon de sagesse, d'exigence et de loyauté que le monde des promoteurs et des aghas ne peut même pas envisager d'appréhender. [...] "

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Et ce P.S. (un peu attristé) : étrangement, ce livre semble devenu quasi-introuvable ces dernières années chez Gallimard : les exemplaires de la fameuse "Collection blanche" ne se dénichent plus qu'en "occasions" ; par ailleurs, il serait en "attente de réimpression" dans la collection de poche "folio"... Etonnement aussi que la grandeur de cette Oeuvre ne lui ait jamais valu — à l'instar de l'univers romanesque de son compatriote stambouliote Orhan PAMUK — le Prix Nobel de Littérature...

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[*] Au sujet de cet auteur, découvrez sur l'un de nos blogs "notre" article-fleuve (très richement iconographié) en date du 8 février 2014 : "Cinéma et Littératures d'ANATOLIE". Il s'agit du 3ème article au programme du blog "Le fleuve Littérature" — Cf. lien ci-dessous :
Lien : http://fleuvlitterature.cana..
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Citations et extraits (5) Ajouter une citation
Cette nuit, c'est la nuit qui unit le 5 au 6 mai. Cette nuit, Hizir va rencontrer Ilyas. A l'instant même de leur rencontre, deux étoiles viendront se heurter dans le ciel. L'une arrive toute frémissante de l'ouest, l'autre de l'est, en tourbillonnant, elles se rejoignent. Et au même instant, elles grandissent, elles se multiplient, elles s'éparpillent sur l'univers en une pluie de lumières. C'est alors que sur la terre, tout s'arrête un bref instant, tout meurt. Le sang cesse de couler dans les veines. Les vents ne soufflent plus, les rivières ne coulent plus, les feuilles ne remuent plus, les ailes des oiseaux et des insectes s'immobilisent. Tout s'arrête, les sons et le sommeil. Les fleurs cessent de s'épanouir, les herbes de pousser. Toute vie, tout mouvement s'arrête. Chez tout ce qui a une âme, chez tout ce qui n'en a pas. Un bref instant, tout meurt. Eh bien, à cet instant-là, si quelqu'un voit les étoiles s'unir et leur lumière se répandre dans l'univers, s'il voit les rivières cesser brusquement de couler, le voeu qu'il exprime alors se réalise. Même s'il s'agit du voeu le plus irréalisable... Si dans la nuit qui unit le 5 au 6 mai, Hizir ne rencontrait pas Ilyas, si le monde ne cessait pas de vivre à l'instant de leur rencontre, les fleurs ne s'épanouiraient jamais plus, plus rien ne naîtrait, plus rien n'enfanterait... A l'instant de leur rencontre, tout meurt soudain sur terre, mais un instant plus tard, la vie se renouvelle, elle jaillit plus robuste, plus éclatante que jamais.

[Yachar KEMAL, "Binboğalar Efsanesi", 1971 - "La légende des Mille Taureaux", traduit du turc par Münevver Andaç pour les éditions Gallimard, 1979 - page 330]
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Et alors de l'orient, surgit une masse d'étoiles, puis une autre encore. Elles étincelaient toutes et partout comme un foyer de lumière. Djérène, le coeur plein de crainte, tentait de les suivre des yeux, celle-ci, puis celle-là... La lumière des étoiles retomba dans l'eau du lac. Au milieu des rochers, la fontaine déborda, bouillonna, elle écuma, elle fourmilla d'étoiles. Le ciel aussi en était couvert. Des milliers d'étoiles y glissaient sans arrêt, le ciel étincelait. Et l'eau de la fontaine regorgeait d'étoiles. Des milliers d'étoiles fourmillaient, se pressaient dans le ciel, dans la forêt, sur la montagne, dans les eaux.
– C'est Halil que je veux.
Les étoiles glissaient, voletaient par milliers. Djérène en avait le vertige, les étoiles, les eaux explosaient sous ses yeux, les étoiles et les lumières bouillonnaient, les rochers craquaient sous ses pieds.
– C'est Halil que je veux.
Toutes les fourmis de l'univers, tous les oiseaux, les insectes, les arbres, tous les sables de l'univers s'ateiant transformés en étoiles qui volaient de ci de là. Toutes les fleurs et les yeux de tous les humains...
– C'est Halil que je veux.

[Yachar KEMAL, "Binboğalar Efsanesi", 1971 - "La légende des Mille Taureaux", traduit du turc par Münevver Andaç pour les éditions Gallimard, 1979 - page 30]
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Son ombre retombait sur la terre violette. Elle aussi semblait ressasser des pensées moroses. Les eaux d'une goulotte qui coulaient sur les rochers en cascadant volaient en éclats, s'éparpillaient dans l'air avant de toucher le sol. Et Maître Haydar remâchait ses soucis au rythme des eaux. Et des univers défilaient dans sa tête et devant ses yeux.
– Ô grand Dieu, Dieu tout-puissant... Accorde-moi de la terre dans la Tchoukourova afin que j'y passe l'hiver et un pâturage sur le mont Aladag pour y passer l'été ! Autrefois tu nous les accordais. Que s'est-il passé ? Tu nous les accordais, pourquoi nous les as-tu repris ? Ô Hizir à la robe verte et au cheval gris, toi aussi, je te supplie de venir à mon aide. Cette nuit, je viendrai me prosterner devant toi, j'implorerai ton aide... Je pourrai voir tes yeux pers...

[Yachar KEMAL, "Binbogalar Efsanesi", 1971 - "La légende des Mille Taureaux", traduit du turc par Münevver Andaç, Gallimard, collection "du monde entier", 1979, page 10]
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Au-delà du mont Aladag, il est un vallon, tout en longueur. Un vallon entièrement couvert d'arbres. Des centaines de sources y jaillissent. Des sources fraîches, claires, au lit tapissé de gravier, bordées de bruyère ou de menthe. Ce n'est pas de l'eau qui jaillit des sources, c'est de la clarté, de la lumière qui coule des fontaines. Depuis des temps très anciens, ce vallon derrière le Mont Aladag sert de pâturage d'été aux Turkmènes, aux Yeuruks, aux nomades Aydinlis. Depuis que la Tchoukourova est devenue leur campement d'hiver, le vallon de l'Aladag est leur alpage. Impossible de faire quitter aux Yeuruks cet alpage et ces quartiers d'hiver, ils en mourraient. Le Yeuruk de l'Aladag est pareil à l'herbe qui a poussé au sommet d'un rocher et qui enlace le granit, s'y agrippe de ses racines.

[Yachar KEMAL, (incipit) "Binbogalar Efsanesi", 1971 - "La légende des Mille Taureaux", traduit du turc par Münevver Andaç pour les éditions Gallimard, 1979, page 9]
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Haydar, le Maître Forgeron, s'arrêta pile. Il porta sa main droite à sa barbe couleur de cuivre, l'empoigna avec force au-dessous du menton. Sa main gauche fit le même geste sans qu'il s'en rendît compre. Il fit encore quelques pas, de plus en plus lents, puis s'arrêta à nouveau. Demeura un long moment immobile. Redressa la tête, tendit le cou comme s'il flairait le vent, regarda autour de lui, à droite, à gauche et se replongea dans ses réflexions. Quand ses mains se détachèrent de sa barbe et retombèrent comme deux énormes marteaux, il se remit en marche. A présent, il allait de plus en plus vite.
Il était vêtu d'une large culotte de bure marron. Le gilet qu'il portait était brodé d'or, taillé sans doute dans une chape ancienne ou un vieux justaucorps. Il était coiffé d'un bonnet de poil de chèvre couleur d'or qu'il avait tissé de ses propres mains et qui le rendait encore plus majestueux. Ses longs sourcils broussailleux s'accordaient avec son large front, son long bonnet doré, sa barbe cuivrée qui ruisselait sur sa poitrine.

[Yachar KEMAL, "Binbogalar Efsanesi", 1971 - "La légende des Mille Taureaux", traduit du turc par Münevver Andaç, Gallimard, collection "du monde entier", 1979, pages 9-10]
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