AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
>

Critique de Patsales


Je venais juste de m'installer à ma place et de sortir mon bouquin quand un jeune homme qui cherchait son siège s'est arrêté près de moi : « Ah, je viens juste de le finir. Vous verrez, c'est génial, mais ça ne vaut pas « Les Clochards célestes »
Quatre préfaces, un rouleau et un appendice plus tard, j'ai pensé que cette rencontre fortuite était un parfait avant-goût du livre: il n'est pas de plaisir qui ne soit imparfait, ni de voyage ou de lecture qui n'engage à repartir pour trouver toujours mieux.
« J'ai un roman en tête, Sur la route, qui parlerait de deux gars qui font de l'auto-stop jusqu'en Californie à la recherche de quelque chose qu'ils ne trouvent pas vraiment,  qui se perdent en chemin et qui retournent d'où ils viennent à la recherche de quelque chose d'autre. »
Car si je pensais lire une ode à la vie libre et débridée, à l'exaltation de la jeunesse, et au voyage sans but ni destination, rien ne m'avait préparée à la désillusion et au chagrin qui imprègnent tout le livre. Aucune fête, aucune griserie, aucune envolée qui ne soit suivie d'une descente amère ou d'une trahison : le voyage comme drogue, désinhibition, euphorie, dépression. Post itinera, animal triste.
Mais après quoi courent ces enfants de l'après-guerre, dans une Amérique raciste et puritaine, encore marquée par la crise économique, et qui ne propose d'autre idéal que la grande fête du consumérisme wasp?
Certains commentateurs ont fait le parallèle entre Kerouac et Proust, incités d'ailleurs par Kerouac lui-même. L'un comme l'autre choisissent les marges au rebours de l'hypocrisie mondaine, l'un et l'autre font de l'amour la grande affaire de l'existence, l'un et l'autre tentent d'abolir la linéarité temporelle par l'écriture, l'un et l'autre construisent une oeuvre dont ils espèrent qu'elle les contient tout entiers. Si Kerouac fait à un certain moment un parallèle explicite entre ses pérégrinations vers l'ouest et une projection vers l'avenir c'est pourtant pour rompre avec le temps qu'il ne cesse de courir et de rouler, fou de vitesse, cherchant moins à voyager qu'à se déplacer. Jack et Neal sont deux enfants déracinés qui n'ont plus de père. Si Neal cherche le sien, Jack espère en l'Amérique pour trouver un foyer. Mais une Amérique mythique, anhistorique, où les Noirs qui cueillent le coton sont tels les pionniers amoureux de leur terre, où la voiture exaltée par les usines Ford embarque des Indiens pleins de sagesse hilare.
Dans cette ruée vers l'Ouest qui peut à l'occasion être un Est ou un Sud, l'Amérique est l'espace de tous les possibles, de tous les recommencements et si nul ne peut échapper aux « guenilles solitaires de la vieillesse qui vient », le rouleau se termine sur une triple répétition : « je pense à Neal Cassady », qui sonne comme le talisman de l'éternelle jeunesse, comme un pied-de-nez à la mort.
Étonnamment, c'est pourtant moins à Proust qu'à l'abbé Prévost que ce livre m'a fait penser. Dean, le solaire, si plein d'un féroce désir de vivre, préférant d'ailleurs la vie à tout, aux conventions, aux amours, aux amis, Dean qui abandonne ceux qui pourraient l'encombrer, les épouses, les marmots, les malades et auquel on pardonne tout, que l'on rejoint parce qu'il est irrésistible : c'est Manon Lescaut ! Et Kerouac est le malheureux Des Grieux et aussi ce cher abbé, le roman ayant beaucoup à voir avec la vie de son auteur. Et, comme le disait Montesquieu, « Je ne suis pas étonné que ce roman, dont le héros est un fripon et l'héroïne une catin qui est menée à la Salpêtrière, plaise, parce que toutes actions du héros, le chevalier des Grieux, ont pour motif l'amour, qui est toujours un motif noble, quoique la conduite soit basse. »
Oui, « Sur la route » est un roman d'amour et d'attraction, amour de la vie mêlé au désespoir de n'en avoir qu'une, parce qu'il faut bien qu'un jour le rouleau s'arrête.
Commenter  J’apprécie          577



Ont apprécié cette critique (57)voir plus




{* *}