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sur 4002 notes
Ceci n'est pas un livre, c'est un état d'esprit. En effet, qu'on se le dise, Jack Kerouac n'a pas écrit une histoire : au début, on est tenté de suivre les péripéties des deux gaillards principaux, Sal Paradise alias Kerouac lui-même et Dean Moriarty alias Neal Cassady (N. B. : dans le rouleau original, Kerouac n'a même pas pris la peine de modifier les noms réels des protagonistes, ainsi Neal Cassady, Allen Ginsberg et autres apparaissent directement sous leur véritable identité).

Mais au bout d'un moment l'histoire semble patiner et nous avec et puis, d'un coup, paf ! On se rend compte que l'histoire n'a absolument aucun intérêt, que la seule chose qui prime, c'est l'état d'esprit, le « Mood » pour reprendre un terme de jazz si propre à l'écriture de Kerouac.

Soit cela prend et c'est magique, soit cela ne prend pas et c'est une cruelle déception pour le lecteur. Vous aurez compris que pour moi, ça a pris, peut-être parce que je l'ai lu moi aussi sur la route, il y a bien longtemps, au volant d'une petite voiture bouffonne, avec Bob Dylan à plein tubes dans les oreilles, dans une pérégrination entre le Cap Nord et le Sahara, sans but et sans mobile comme les deux protagonistes et à peu près au même âge qu'eux.

Quand cela prend, on n'en ressort jamais complètement indemne : il y a un avant et un après Kerouac. La route prend une tout autre signification, car ce livre n'est rien moins qu'une autre manière de voir la vie. Cela devient de la métaphysique, une philosophie de vie à la Hermann Hesse (qui sera développée plus tard dans Les Clochards célestes).

Est-ce moral de fuir ainsi tout le temps, d'abandonner ses enfants et ses compagnes comme le fait Dean ? Est-ce que ça changerait quelque chose, à l'heure du dernier soupir, de ne pas les avoir abandonnés ? Ce livre a le mérite d'exister et de souffler une autre vision de la vie que l'utilitarisme.

Faire des choses qui ne servent à rien, juste pour les vivre, juste pour l'éphémère sensation qu'elles vous procurent. Vivre tout à fond, comme si c'était la dernière fois, expérimenter à tout va, la folle vitesse, les folles drogues, les folles orgies, les folles distances, les folles déprimes, les folles rigolades, les folles relations humaines, explorer des terrains inconnus de l'être, de la société, de la morale, de l'espace, vivre 100 vies en une, bref, accumuler des expériences, des expériences, et encore des expériences, quels qu'en soient la nature et le type, se chercher soi-même en une quête sans cesse réitérée au travers de ce que l'on ne connaît pas.

Voilà, pour moi, sur la route, c'est tout ça. La devise de ces joyeux drilles pourrait être « peu importe le flacon, pour peu qu'il y ait l'ivresse ! »

Le livre sortit en 1957, année mémorable à plus d'un titre, mais en particulier pour l'envoi dans l'espace du fameux satellite artificiel soviétique nommé Spoutnik. Il n'en fallut pas plus à un journaliste pour imaginer le terme de « beatnik » afin de qualifier ces sortes d'électrons libres déguenillés ayant la bougeotte.

Kerouac lui-même expliqua dans une interview que le terme « beat » faisait référence, selon lui, à trois notions combinées : la première provient des populations noires du métro de New York, littéralement les « battus », oubliés du rêve américain, croupissant dans la misère et l'absence de perspective, mais caractérisés par une sorte d'insouciance, une bonne humeur et une fraternité de tous les instants, couplée à une sérieuse tendance à chanter pour un oui pour un non.

La seconde provient de la notion de pulsation, de « battement », terme qui évoque le coeur, mais aussi et surtout la rythmique du jazz, dont la prose spontanée de Kerouac se veut l'équivalent littéraire des improvisations propres à cette musique.

Enfin, n'oublions pas que Kerouac était francophone et que le français était même sa langue maternelle et donc que le terme « beat » fait également écho aux termes français « béat, béatitude » dans leur sens d'émerveillement simple et naturel devant le spectacle de la nature (humaine ou rencontrée sur la route).

Ainsi, l'auteur désigna-t-il sa génération (ceux qui ont fait 39-45 et en sont revenus un peu paumés) comme la « beat generation », clin d'oeil à la non moins fameuse « génération perdue » de 14-18, si bien décrite par D. H. Lawrence dans L'Amant de Lady Chatterley, et dont l'écrivain Ernest Hemingway en est un archétype.

À titre de comparaison, si vous avez l'occasion, lisez cet autre « Sur la route » qu'est Voyage à motocyclette de Che Guevara et vous verrez un tout autre effet du fait de voyager sans but. D'une certaine manière, c'est la même histoire, les mêmes protagonistes, mais le hasard a fait qu'ils n'ont pas croisé la même réalité et qu'elle n'a pas eu les mêmes effets sur eux. Ceci engendre une autre métaphysique qu'il n'est pas inintéressant de confronter.

Enfin, est-il utile de préciser que le « Sur la route » de Kerouac est dans la lignée des romans américains qui tirent leur origine du monument de Herman Melville, Moby Dick. J'en veux pour preuve la première et la dernière page du roman.

Dans la première, le héros ressemble à s'y méprendre au Ishmaël de Melville et dans la dernière, Kerouac compare l'Amérique à un ventre géant et allongé, allusion à peine masquée à la grosse baleine tueuse.

En somme, d'après moi, Sur La Route est un livre qu'il est bon de laisser décanter en nous, pour en saisir le sens profond, lequel sens profond, me concernant, n'était pas forcément dans le projet de l'auteur. Je crois que la phrase, ou du moins l'une des phrases, les plus importantes du roman apparaît dès la première page et est la suivante :

« Avec l'arrivée de Dean Moriarty commença le chapitre de ma vie qu'on pourrait baptiser : Ma vie sur la route. » Ceci implique que, même pour Kerouac, cette période devait être transitoire, qu'elle avait quelque chose d'extraordinaire, de hors du temps, qu'elle ne se reproduira jamais, et qu'elle est fortement liée à la personnalité si atypique de Dean.

D'après moi, en aucun cas, au moment où il écrit Sur la route, il ne songe à en faire un mode de vie qui soit une alternative crédible au système dominant, mais plutôt une relation d'expériences diverses qui sont une initiation, quelque chose comme faire ses armes avant de passer à la vraie vie dans le monde et dans la réalité.

Avant d'en finir, je voudrais encore vous offrir un passage qui me paraît fondamental pour comprendre l'oeuvre dans son entier. (Il s'agit de la traduction de Jacques Houbart datant de 1960, qui ne me semble pas géniale, mais bon, faute de lire le livre en VO, ça aide un peu quand même.)

« Mais alors ils s'en allaient, dansant dans les rues comme des clochedingues, et je traînais derrière eux comme je l'ai fait toute ma vie derrière les gens qui m'intéressent, parce que les seules personnes qui existent pour moi sont les déments, ceux qui ont la démence de vivre, la démence de discourir, la démence d'être sauvés, qui veulent jouir de tout dans un seul instant, ceux qui ne savent pas bâiller ni sortir un lieu commun mais qui brûlent, qui brûlent, pareils aux fabuleux feux jaunes des chandelles romaines explosant comme des poêles à frire à travers les étoiles et, au milieu, on voit éclater le bleu du pétard central et chacun fait : " Aaaah ! " »

« They danced down the streets like dingledodies, and I shambled after as I've been doing all my life after people who interest me, because the only people for me are the mad ones, the ones who are mad to live, mad to talk, mad to be saved, desirous of everything at the same time, the ones who never yawn or say a commonplace thing, but burn, burn, burn like fabulous yellow roman candles exploding like spiders across the stars and in the middle you see the blue centerlight pop and everybody goes " Awww ! " »

Enfin, chers Babelionautes, puisqu'il n'est nullement prescrit la forme et la fonction que doit revêtir une critique sur ce site, j'en termine en vous laissant le fruit d'une expérimentation : je me suis demandée comment rendre, dans une critique, un volatil état d'esprit, restituer un sentiment aussi insaisissable, aussi impalpable que le livre qu'elle représente. Et j'ai accouché de ça, ce truc, sans forme et sans nom :

On vient
Jusqu'à mon jardin
Cueillir le muguet
Sentir le lilas

Et moi
Dans mon gros village
Derrière mon voilage
Je reste plantée là

On vient
Jusqu'à mon jardin
Sentir les fumets
S'évader des plats

Et moi
Dans mon gros village
Derrière mon voilage
On m'embarque pas

Et Dean
Avec une copine
Est passé par là
Et m'a dit comme ça :

Eh toi !
Dans ton gros village
Derrière ton voilage
Faut pas rester là

Eh toi !
Quitte ton gros village
Boucle ton paquetage
Et viens dans mes bras

Mais, bien entendu, comme toujours, vous avez compris que tout cela n'est que pure subjectivité, n'est que mon avis, c'est-à-dire, bien peu de chose.
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Ca y est, j'y suis arrivé, quel voyage, les amis ! La route fut longue mais tellement incroyable, Kerouac nous ballotte d'une contrée, d'un état à l'autre. C'est le genre de livre qui à mon avis, l'on dévore très vite ou qu'on rejette très vite. Heureusement pour moi, c'est la première solution qui m'a guidée. Des kilomètres de bitume ou drogue, alcool, sexe sont les moteurs. Une forme de fuite en avant pour trouver un sens à tout ça. Vivre à fond sans penser à l'avenir. Des rencontres, des questionnements, une vie au jour le jour, une course perpétuelle pour trouver de l'argent, à manger, un toit. Kerouac remplit les pages, avec une frénésie et un style incroyables. Cette route-là avec la naissance de la génération Beatnik est drôlement addictive. Moi, je me suis régalé. On comprend pourquoi les pérégrinations de Kerouac sont devenues de même que son auteur cultes.
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Soixante ans après sa première publication, que reste-t-il de Sur la route, souvent qualifié de roman mythique, de révolution littéraire, et nimbé d'une aura sulfureuse?

On connaît l'histoire éditoriale du roman largement autobiographique, écrit initialement sur un rouleau de 36 mètres de long, et refusé sous sa forme originale car potentiellement inacceptable par l'Amérique puritaine des années 60. Ce qui en subsiste après correction, su le fond et sur la forme est bien pâle, et depuis, les auteurs ont pu faire fi de tous ces préjugés moralistes, y compris aux Etats-unis. Si ce road-trip n'est pas une promenade de santé, il reste très conventionnel. Beaucoup d'alcool (mais des ivresses plus festives que celles d'Hemingway dans le Soleil se lève aussi), un peu de drogue, un peu de sexe, beaucoup de folie (celle de Dean, démon tentateur, qui entraîne dans ses délires femmes et potes), tout cela est loin de l'image véhiculée par les rumeurs.

Difficile de parler de l'écriture, tant l'écran de la traduction fausse l'appréciation. J 'ai été gênée par l'utilisation du mot fille pour désigner les les petites amies . On se doute qu'il s'agit de girl en anglais, mais cela n'a pas le même sens, » It's my girl », , ce n'est pas « c'est ma fille » C'est certainement un roman à lire en VO. de même l'utilisation du neutre « on revint auprès de Frankie, », « on décida d'abord de se laver à la station service », un peu redondante.

Reste de sublimes pages sur le jazz, en particulier ce passage sur le « it », qui révèle une passion viscérale pour cette musique.

Donc pour le sulfureux, il faut sans doute se reporter au rouleau original, publié depuis et traduit.

C'est pour moi un mythe démystifié, et une lecture très mitigée, un peu longue et répétitive, et qui a (mal) vieilli.

Lien : https://kittylamouette.blogs..
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"Rien derrière et tout devant, comme toujours sur la route."

La sortie du roman "Sur la route" (1957) était pour la littérature américaine une sorte de choc thérapeutique bienfaisant. Jack Keroauc (dont le visage mal rasé et agréablement viril regardait suggestivement son lecteur depuis la couverture de la première édition) a transgressé tous les codes littéraires alors en vigueur, en arrivant en trombe à une vitesse non-autorisée, hurlant à pleins poumons l'enthousiasme, la tristesse, la joie et le désespoir, avant de disparaître dans un nuage de poussière quelque part sur la route 66.
Sa prose "spontanée" ne contenait rien de ce qu'on pourrait qualifier de "forme littéraire", mais ce long rouleau sorti de sa machine à écrire mesurait en réalité quelques milliers de kilomètres, et contenait toute l'Amérique.

"Sur la route" est le plus grand manifeste de la liberté.
Non pas à cause de son scénario ; après tout, Sal Paradise et ses amis se déplacent à travers l'Amérique un peu comme une grenouille paumée au fond d'un arrosoir, et peu de lecteurs voudraient être vraiment à leur place. L'important est la façon dont le roman est écrit - comme si de chaque mot, de chaque pas sur le périphérique pluvieux aux alentours de Boston ou de chaque kilomètre sur la route semi-désertique de Denver à Frisco émanait l'amour du pays, des éternels changements et des possibilités sans fin.
Pourtant, je ne saurais dire ce qui génère cette impression positive du roman, qui contient aussi une bonne dose de mélancolie. La seule raison pour être sur la route est la route elle-même ; pour fuir la routine et la façon de vivre des "paddys" américains, étriqués dans leur rêve de prospérité comme une bonne femme dans un corset qui l'empêche de respirer.
L'idée n'était pas nouvelle, on peut penser à Emerson, Thoreau ou Whitman, mais la "beat génération" était la première à annoncer ouvertement que quelque chose cloche dans la société américaine de l'après-guerre. le succès a été immense, mais aussi à double tranchant. Les littéraires et les intellectuels reprochaient aux beatniks leur superficialité, leur flirt dangereux avec la drogue et le zen-bouddhisme, et leur jeu malhonnête à la pauvreté. Les "paddys" ont même réussi à commercialiser le mythe, en organisant des voyages groupés à San Francisco pour que tout le monde puisse admirer les "véritables" beatniks américains : chevelus, sales, ivres et immoraux. La "façon beatnik" est devenue une sorte de mode, le snobisme retourné à l'envers, et Kerouac lui-même a dû plus tard fuir ses fans, et même ses anciens amis.

Les personnages de Kerouac, ses héros et ses vagabonds, rappellent un peu Huck Finn de Twain : lui aussi s'est échappé sur la rivière Mississippi, car il ne voulait pas se laisser "civiliser".
Le livre n'a pas une véritable histoire, il est fait de souvenirs, impressions, et d'un tas de petits croquis de gens rencontrés au hasard : fermiers du Minnesota, chauffeurs de camions, commis voyageurs, flics, intellectuels beatniks... et surtout les vagabonds solitaires, un peu comme Sal Paradise et Dean Moriarty eux-mêmes.
Dean est le moteur surpuissant qui fait avancer le livre. Même si, au début, il demande à Sal de lui apprendre à écrire, on peut dire que c'est lui qui apprendra Sal à vivre. Mais c'est précisément la relation avec Dean, un jeu compliqué de refus et d'acceptations, de l'amitié et de l'égoïsme, d'admiration et de retenue, qui ajoute un étrange côté triste au livre. Sal approche ce monde avec enthousiasme sans jamais s'y identifier complètement et en restant toujours un pas en arrière, en observateur émerveillé.
Peut-on vraiment aimer Dean Moriarty, cet ange flamboyant derrière le volant, qui prend la route avec la même insouciance que la vie, en laissant derrière lui autant de voitures que de coeurs cabossés ? En tout cas, sa philosophie est "ici et maintenant".

"Une fois de plus, nos valises cabossées s'empilaient sur le trottoir on avait du chemin devant nous. Mais qu'importe : la route, c'est la vie."
Le roman de Kerouac est particulièrement salutaire si vous avez besoin d'une injection de spontanéité dans votre système neuronal anémié, ou si vous avez envie de croire que la vie n'est pas une fois pour toutes déterminée par les décisions faites d'avance. On n'a même pas besoin d'être vraiment "sur la route", juste savoir que cette douce possibilité existe pour de bon. Quel que soit le but et la direction, et que ce soit pour aller en Californie, ou à plus de 10km de chez soi. 4/5
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Qu'est-ce qui fait de 'Sur la Route' un livre culte depuis 50 ans pour tant de gens?

Certainement pas le récit au premier degré des voyages de Sal et Dean ! Liste des villes traversées, des moyens de locomotion utilisés, détails fastidieux de qui conduit à quel moment quelle voiture et à quelle vitesse, budget détaillé des 2/5/15€ dépensés ou manquants... Plutôt assommant tout ça !
D'autant plus que, quand ils ne roulent pas, ils sont soit en train de voler du fromage et du pain quelque part (toujours du fromage et du pain !), soit à une station service (où parfois ils volent en même temps du fromage et du pain !), soit en train de dormir au bord de la route (avec des petites variations : dans le sable près de la chaussée, sur le toit, sur la banquette arrière...).
Tout ça en transpirant abondamment (jamais vu autant d'allusions à la sueur dans un livre !) et sans jamais regarder le paysage ou visiter le moindre monument...

Probablement pas non plus leur vie entre les différents voyages...
En général, ils en profitent pour enchainer les beuveries d'alcool, "thé" ou benzedrine avec leurs nombreux amis déjantés; pour prendre un boulot également, si possible bien pourri, afin qu'on puisse à nouveau avoir le détail des 2/5/15€ qu'il leur manque en permanence; et enfin pour se trouver une gentille fille à rendre chèvre (voire, pour Dean, à épouser, mettre enceinte et rendre très malheureuse).
Tout ça en enchainant des élucubrations sans queue ni tête et des théories allumées sur le sens de la vie, et en cassant un maximum de choses (plusieurs voitures notamment, ou le pouce de Dean).
Bref, des bons losers, en plus même pas solidaires entre eux quand l'un ou l'autre va mal !

Non, ce qui rend ce livre culte à mon sens, c'est que Sal et Dean cherchent le 'it', la liberté, le bop. Ils ne veulent pas s'arrêter aux apparences, à la recherche de l'argent et du confort ou au conformisme petit-bourgeois. Ils veulent vivre vraiment, intensément, absolument, follement. Ils représentent les rebelles de ces années d'après-guerre, paumés mais fondamentalement vivants.

Même si je ne vois pas ce qu'il y a d'intense à sillonner le pays en transpirant et en déblatérant, j'ai été sensible à cette quête d'absolu. Elle m'a touchée, alors que les moyens mis en oeuvre ne me parlent pas du tout (suis plutôt sérieuse tendance coincée, moi).
Donc je suis contente d'avoir lu ce livre jusqu'au bout, aussi dérangeant et parfois ennuyeux qu'il ait été pour moi.
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A l'ombre des séquoias géants, dans les pas de Kerouac et Moriarty, sans attache ni lien, je laisse derrière moi la grisaille et le froid: direction la Californie.
Big Sur est pour moi la finalité de mon voyage.
L'océan que l'on dit pacifique a modelé pour toujours falaises et plages afin de ne pas oublier la supériorité des éléments face à la médiocrité des hommes.
Ce soir la lune est pleine, moi clochard céleste la tête dans les étoiles je m'en vais heureux vers l'ouest. Des villes au prénom de femme résonne dans ma tête Santa Monica, Santa Lucia, Santa Barbara.
un petit hommage au grand Kerouac, qui m'a donné le gout des grands espaces .
pour Croquignolle ma muse
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Au Panthéon des oeuvres mythiques de la littérature, on trouve "Sur la route" de Jack Kerouac et comme la plupart des livres qui trônent dans la grandeur de cet olympe, celui-ci fait généralement peur aux lecteurs. Je n'échappe pas à cette règle et "Sur la route" a traîné bien longtemps dans ma PAL avant qu'une lecture commune ne l'en exhume.

Je m'en félicite car j'ai vraiment beaucoup apprécié cette expérience, ce road trip tous azimuts qui se fait dans un délire halluciné, sur lequel souffle le vent de la libre-pensée, de la remise en question des acquis sociétaux, et draine dans son sillage de folles espérances et de déraisonnables utopies.

J'ai lu le "rouleau original" où les protagonistes portent leurs vrais noms et non des avatars. Neal Cassady, Jack Kerouac, Allen Ginsberg, William Burroughs et quelques autres parmi les écrivains de la "beat generation". Déconcertant et instructif, aussi excessif que transgressif, le lecteur est entraîné dans une ronde d'alcool, de drogues, de fumettes, de débauches mais aussi de fulgurances géniales et de musique.

"Sur la route" est sans doute le premier roman avec playlist intégrée et qu'il faut écouter avec du jazz, du bebop et du mambo dans les oreilles. Ce roman ne ressemble à aucun autre et je vais y aller de mon petit lieu-commun en disant que la Route est bien sûr le personnage principal, avant l'auteur-narrateur ; les deux traversées aller-retour d'Est en Ouest et la traversée aller-retour d'Est au Sud que nous proposent Kerouac, avec pour point névralgique Denver, Colorado, nous font découvrir une Amérique de l'errance, des grands espaces, des villes en ébullition, et nous mettent en contact intime avec une jeunesse en roues libres.

De mon point de vue, Jack Kerouac, bien que narrateur, n'est pas le pivot du roman ; ce rôle revient à Neal Cassady, le poète fou, le chat aux neuf vies, le sybarite fauché, le jouisseur éternel, le cauchemar des bonnes gens, l'antithèse du gendre idéal. Mais il est aussi prétexte à une démonstration inouïe de la fidélité en amitié, de la quête absolue d'un idéal, de la quête de racines et du rejet de l'ordre établi. C'est un personnage effrayant et fascinant qui, en quelque sorte, cloue notre propre existence au pilori.

On aurait tort de croire que "Sur la route" par dans tous les sens ; la Route constitue une trame, un fil d'Ariane fait de milliers de kilomètres qui se déroulent dans un ruban infini à travers déserts, jungles, montagnes, littoraux, villes. Il est inutile d'y voir une quête, le plus souvent Jack Kerouac ne cherche pas à atteindre une destination mais il suit un instinct de survie constitué de quêtes diverses, de fuites, d'égarements, de retrouvailles, de réunions, de séparations, de rendez-vous manqués... le rythme est effréné, endiablé, d'autant que le style oral, sans paragraphes ni chapitres, peut clairement déstabiliser le lecteur.

Ce voyage parfois éprouvant m'a emballée, dépaysée, interrogée, chahutée mais si vous êtes un lecteur qui n'aime pas se perdre en chemin, alors suivez mon conseil, restez prudemment au bord de la Route.


Challenge BBC
Challenge MULTI-DEFIS 2022
Challenge ABC 2021/2022
Challenge USA
Challenge XXème siècle 2022
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Ce roman peut-il être comparé à une oeuvre d'art sous la forme d'un premier jet griffonné en quelques semaines qui deviendra page après page, un rouleau de papier, le fameux « original scroll », qui ne se contente pas de décrire une route, mais qui cherche à la représenter ?

En ce cas comme toute oeuvre d'art qui se respecte elle sera saluée et admirée, par le lecteur… Ou contestée, et de toute façon, fera couler de l'encre.

Pour ma part, je suis parvenue au bout de ce roman autobiographique et je m'en félicite parce que ce n'est pas du tout mon style de lecture, j'ai besoin dans le récit, d'un problème, et de sa résolution pour arriver à une situation finale, d'ailleurs, doit-on qualifier cet écrit de récit ? Je n'en suis pas certaine : si je résume ce qui me reste de cette lecture, et je pense tenir quelques lignes, j'écrirais que nous sommes face à une bande dont les têtes pensantes vivent au jour le jour, choisissent des itinéraires, se déplacent comme ils le peuvent (voitures volées, petits boulots, transports en tous genres avec qui veut bien les faire avancer sur leur chemin), boivent, s'envoient en l'air, se droguent, se marient parfois, se séparent, se raccommodent. Et ces situations se succèdent, En sautant quelques pages, on retrouve toujours des scènes du même type.

Chemin oui ! … Cheminement ? Pas perceptible en tout cas. Donc, début, milieu fin ? Pas vraiment. évolution des personnages alors ? Je ne l'ai pas ressenti.

Cette lecture fut laborieuse et l'abondance de détails et de personnages ont provoqué un certain ennui chez moi.

Ce livre ne répond donc pas à mes besoins de lecteur, certains passages m'ont d'ailleurs franchement agacée.

Le seul point qui m'a intéressée, c'est que je me suis munie d'une carte des Etats-Unis pour suivre leur pérégrination, c'est toujours cela ! Certains épisodes m'ont franchement agacée, probablement parce qu'ils ne correspondent pas exactement à ma propre vision de la vie. La Beat Generation, ce n'est pas pour moi.


Comme ont pu le dire certains chroniqueurs, ce livre passe ou casse, hé bien pour moi, ça casse. Il s'agit là d'un avis personnel, et les critiques positives de ce livre, je les juge tout à fait recevables et je les admire, moi qui aurais été incapable de les écrire.

Challenge MULTI-DEFIS
68 premières fois.
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Sal Paradise, le narrateur, rencontre un jour Dean Moriarty. Ces deux jeunes gens, « les deux anges déchus de la nuit de l'Ouest » (p. 270), ont une passion commune pour le voyage. Sillonner l'Amérique les tenaille et l'appel de la route est insistant. « Quelque part sur le chemin, je savais qu'il y aurait des filles, des visions, tout, quoi ; quelque part sur le chemin, on me tendrait la perle rare ». (p. 25) S'engage alors une nouvelle conquête de l'Ouest, plus intime et plus furieuse. L'urgence est la même que celle qui animait les colons, mais la finalité est différente : les terres que Dean et Sal veulent gagner ne sont pas faites de poussière, mais de rêves. Finalement, c'est peut-être la même chose.

Sal et Dean sont deux jeunes hommes un peu perdus. le premier est un vétéran, étudiant peu assidu et auteur qui peine sur un premier roman. le second sort de prison et est tenaillé par l'envie d'écrire et de bouger. Cette jeunesse exaltée a la fureur de vivre et d'expérimenter. « Il en vint à m'enseigner autant de choses que probablement je pouvais lui en apprendre. » (p. 19) Pour eux, l'initiation passe par le bitume, quoi qu'il en coûte. Sur la route et dans toutes les villes qu'ils traversent, Sal et Dean croisent de nombreux jeunes gens avec lesquels ils partagent de longues et fiévreuses conversations. Sal se met souvent en retrait : « Si vous continuez ce petit jeu, vous allez tous les deux devenir dingues, mais tenez-moi au courant aussi longtemps que vous continuerez. » (p. 79) Rapidement se dessine la folie de Dean Moriarty : ce mordu de la route est instable, presque dangereux, au moins pour lui et peut-être aussi pour Sal. « La mouche m'avait piqué de nouveau et le nom de la mouche, c'était Dean Moriarty et j'étais bon pour un nouveau galop sur la route. » (p. 164) le départ, ça les prend comme une fièvre, c'est un ressort superbe qui se détend et qui relance la machine.

De l'Est vers l'Ouest, de New York à San Francisco en passant par Denver, Houston, ou Los Angeles, Sal et Dean se cognent aux frontières de l'Amérique. « Voici que j'étais au bout de l'Amérique, au bout de la terre, et maintenant il n'y avait nulle part où aller, sinon revenir. Je résolus du moins d'adopter un périple circulaire. » (p. 115) Sal appartient à New York et Dean ne tend que vers San Francisco. Toujours, il leur faut reprendre la marche, revenir aux sources, puis repartir. La route prend la forme d'un monstrueux jokari : elle permet des envolées et des échappées superbes, mais elle ne laisse personne s'écarter ou s'immobiliser. Grâce à la route, l'Amérique est un territoire unifié à conquérir et à explorer. Les jeunes hommes veulent laisser la trace de leurs godasses sur le sol de toutes les villes qu'ils foulent. Pour cela, il faut une voiture : mettez un volant entre les mains de Dean Moriarty et il ira partout. « Toi et moi, Sal, on savourerait le monde entier avec une voiture comme ça, parce que, mon pote, la route doit en fin de compte mener dans le monde entier. Il n'y a pas un coin où elle ne puisse aller, hein ? » (p. 326) Et voilà comment la voiture devient partie prenante du récit, personnage secondaire essentiel, adjuvant obligatoire.

Entre alcool, drogue et sexualité, les périples automobiles sont riches en expériences très diverses. Chacun court après quelques dollars pour faire un plein d'essence ou manger. Il faut alors chaparder, escroquer. Aucun problème, la route vous le rendra ! de même, les amours sont furtives, mais intenses et sincères. « Nous nous retournâmes au douzième pas, puisque l'amour est un duel et on se regarda l'un l'autre pour la dernière fois. » (p. 146) Sauf pour Dean Moriarty qui balance entre Marylou et Camille. de l'une à l'autre, il s'épuise et se trahit. S'asseoir et s'attacher, c'est mourir. Mais n'est-ce pas partir qui est mourir, un peu ? Peut-être, mais rester semble tellement pire ! « Quel est ce sentiment qui vous étreint quand vous quittez des gens en bagnole et que vous les voyez rapetisser dans la plaine jusqu'à, finalement, disparaître ? C'est le monde trop vaste qui nous pèse et c'est l'adieu. Pourtant nous allons tête baissée au-devant d'une nouvelle et folle aventure sous le ciel. » (p. 220)

Sal Paradise n'est pas moins perturbé ou incertain : « J'ai du goût pour trop de choses que je mélange, m'attardant à courir d'une étoile filante à une autre jusqu'à temps que je me casse la figure. Voilà ce que c'est que de vivre dans la nuit, voilà ce que ça fait de vous. Je n'avais rien à offrir à personne que ma propre confusion. » (p. 178) À force d'être partout et de ne rester nulle part, Sal s'étourdit et perd pied. Mais pas question de raccrocher les souliers : la route ne se referme pas, on ne lui tourne pas le dos.

Avec Marylou et Dean, l'odyssée américaine prend des airs de revendication, de bravade. « C'était trois enfants de la nuit de la terre qui voulaient affirmer leur liberté et les siècles passés, de tout leur poids, les écrasaient dans les ténèbres. » (p. 187) Les trois jeunes gens se révoltent, sans vraiment en parler, contre une Amérique bureaucratique, policière et suspicieuse. Animés d'un romantisme crasseux et sublime, ils mènent un train d'enfer sur les routes mythiques de l'Amérique. Ils fuient leurs tourments et la vacuité de l'existence, avant de comprendre au terme d'un énième voyage que rien ne s'abandonne, que la route ne peut rien effacer.

« Un gars de l'Ouest, de la race solaire, tel était Dean. » (p. 25) Dean Moriarty attire et fascine, mais il est dangereux, décidément néfaste. « Tu n'as absolument aucun égard pour personne sinon pour toi-même et tes sacrés plaisirs de cinglé. Tu ne penses à rien d'autre qu'à ce qui te pend entre les jambes et au fric ou à l'amusement que tu peux tirer des gens et puis tu les envoies paître. Sans compter que dans tout ça tu te conduis stupidement. Il ne t'est jamais venu à l'esprit que la vie est une chose sérieuse et qu'il y a des gens qui s'efforcent d'en user honnêtement au lieu de glander à longueur de temps. Voilà ce que Dean était le GLANDEUR MYSTIQUE. » (p. 275) le héros solaire est plutôt sombre, comme un phare de naufrageurs : qui s'y frotte risque d'y perdre ses ailes. Et pourtant, quand il n'est pas là, il manque. Sal s'y réfère, s'en rappelle et, à sa façon, l'honore.

Voilà quelques mots sur cette lecture époustouflante. Que ce roman soit le manifeste de la beat generation, c'est une évidence. Qu'il soit devenu le vademecum de plusieurs générations de jeunes gens, c'est encore plus évident. Je repose le roman, mais je vais le garder à porter de main, relire certains passages et rêver de prendre la route, de mettre mes pompes dans les pas de Dean Moriarty et de Sal Paradise, et de me couler un instant dans l'esprit un peu foutraque de Jack Kerouac. Je vais poursuivre cette lecture sublime par la visite de l'exposition Kerouac au Musée des lettres et manuscrits et par une séance de cinéma que j'espère à la hauteur du roman.
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Je venais juste de m'installer à ma place et de sortir mon bouquin quand un jeune homme qui cherchait son siège s'est arrêté près de moi : « Ah, je viens juste de le finir. Vous verrez, c'est génial, mais ça ne vaut pas « Les Clochards célestes »
Quatre préfaces, un rouleau et un appendice plus tard, j'ai pensé que cette rencontre fortuite était un parfait avant-goût du livre: il n'est pas de plaisir qui ne soit imparfait, ni de voyage ou de lecture qui n'engage à repartir pour trouver toujours mieux.
« J'ai un roman en tête, Sur la route, qui parlerait de deux gars qui font de l'auto-stop jusqu'en Californie à la recherche de quelque chose qu'ils ne trouvent pas vraiment,  qui se perdent en chemin et qui retournent d'où ils viennent à la recherche de quelque chose d'autre. »
Car si je pensais lire une ode à la vie libre et débridée, à l'exaltation de la jeunesse, et au voyage sans but ni destination, rien ne m'avait préparée à la désillusion et au chagrin qui imprègnent tout le livre. Aucune fête, aucune griserie, aucune envolée qui ne soit suivie d'une descente amère ou d'une trahison : le voyage comme drogue, désinhibition, euphorie, dépression. Post itinera, animal triste.
Mais après quoi courent ces enfants de l'après-guerre, dans une Amérique raciste et puritaine, encore marquée par la crise économique, et qui ne propose d'autre idéal que la grande fête du consumérisme wasp?
Certains commentateurs ont fait le parallèle entre Kerouac et Proust, incités d'ailleurs par Kerouac lui-même. L'un comme l'autre choisissent les marges au rebours de l'hypocrisie mondaine, l'un et l'autre font de l'amour la grande affaire de l'existence, l'un et l'autre tentent d'abolir la linéarité temporelle par l'écriture, l'un et l'autre construisent une oeuvre dont ils espèrent qu'elle les contient tout entiers. Si Kerouac fait à un certain moment un parallèle explicite entre ses pérégrinations vers l'ouest et une projection vers l'avenir c'est pourtant pour rompre avec le temps qu'il ne cesse de courir et de rouler, fou de vitesse, cherchant moins à voyager qu'à se déplacer. Jack et Neal sont deux enfants déracinés qui n'ont plus de père. Si Neal cherche le sien, Jack espère en l'Amérique pour trouver un foyer. Mais une Amérique mythique, anhistorique, où les Noirs qui cueillent le coton sont tels les pionniers amoureux de leur terre, où la voiture exaltée par les usines Ford embarque des Indiens pleins de sagesse hilare.
Dans cette ruée vers l'Ouest qui peut à l'occasion être un Est ou un Sud, l'Amérique est l'espace de tous les possibles, de tous les recommencements et si nul ne peut échapper aux « guenilles solitaires de la vieillesse qui vient », le rouleau se termine sur une triple répétition : « je pense à Neal Cassady », qui sonne comme le talisman de l'éternelle jeunesse, comme un pied-de-nez à la mort.
Étonnamment, c'est pourtant moins à Proust qu'à l'abbé Prévost que ce livre m'a fait penser. Dean, le solaire, si plein d'un féroce désir de vivre, préférant d'ailleurs la vie à tout, aux conventions, aux amours, aux amis, Dean qui abandonne ceux qui pourraient l'encombrer, les épouses, les marmots, les malades et auquel on pardonne tout, que l'on rejoint parce qu'il est irrésistible : c'est Manon Lescaut ! Et Kerouac est le malheureux Des Grieux et aussi ce cher abbé, le roman ayant beaucoup à voir avec la vie de son auteur. Et, comme le disait Montesquieu, « Je ne suis pas étonné que ce roman, dont le héros est un fripon et l'héroïne une catin qui est menée à la Salpêtrière, plaise, parce que toutes actions du héros, le chevalier des Grieux, ont pour motif l'amour, qui est toujours un motif noble, quoique la conduite soit basse. »
Oui, « Sur la route » est un roman d'amour et d'attraction, amour de la vie mêlé au désespoir de n'en avoir qu'une, parce qu'il faut bien qu'un jour le rouleau s'arrête.
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