AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
>

Critique de Kirzy


°°° Rentrée littéraire 2022 #6 °°°

Coup de coeur pour ce grand roman porté par un souffle romanesque qui s'impose comme une évidence, emportant le lecteur dans une épopée où l'amour, l'amitié, la solidarité sont des boussoles vers la lumière dans le monde violent et injuste de l'Algérie coloniale.

On y suit les tribulations initiatiques d'un Candide algérien, Yacine Cheraga, à peine vingt ans, miséreux au coeur pur. Il part faire la Première guerre mondiale sous un autre identité, celle du fils du caïd local, contre une promesse de fortune, lui qui n'avait jamais quitté son douar et sa famille aimante. A son retour en Algérie, rien ne se passera comme prévu et s'ensuivra un parcours de naufragé, une odyssée gigantesquement romanesque qui mettra à l'épreuve la vertu et la moralité de Yacine dans une Algérie rude et âpre rarement décrites ainsi.

La narration à la première personne de Yacine est d'une limpidité superbe. le scénario lisible, classiquement chronologique de 1914 à 1925, fait se croiser et recroiser dans l'après-guerre les personnages qui se rencontrent dans le 7ème RTA ( régiment des tirailleurs algériens, les « turcos »que l'on suit dans les tranchées de Verdun ou de Louvemont ). Les quelques chapitres sur l'enfer des tranchées égalent la puissance évocatrice d'un Dorgelès ou d'un Genevoix, et constituent le coeur du récit à partir duquel l'auteur tisse des ramifications, des retrouvailles, des digressions picaresques qui jalonnent la poursuite du destin tragique de Yacine. C'est en refermant le livre que l'on se rend compte de la virtuosité de la construction et du dispositif romanesque.

Son écriture, élégante et enveloppante, ne semble être là que pour magnifier les émotions qui étreignent le lecteur et l'élan empathique qui s'empare irréversiblement de lui. Ce qui sauve Yacine lâché dans cette arène des fauves, c'est son entêtement à poursuivre les fantômes des absents sans jamais lâcher une ligne de conduite faite de droiture, honnêteté et vaillance, résistant au pessimisme ambiant.

Les personnages secondaires, tous extraordinairement caractérisés, complexes, sont autant de bornes initiatiques, obstacles à dépasser ou guides pour avancer. Difficile d'oublier le meilleur ami Sid, hédoniste consumé voulant rentabiliser le miracle d'avoir survécu aux tranchées; Zorg Er-Rouge, l'ancien Turco plein de colère et ressentiment qui lance la guerre aux pieds-noirs, terriblement complexe; et sa cousine Abla, inoubliable amazone fidèle à sa famille le couteau entre les dents.

Ce sont les figures d'Algériens qui dominent le récit, ce qui offre à Yasmina Khadra la possibilité d'autant mieux explorer la complexité de la nature humaine : comme toutes les sociétés humaines, la société algérienne est fracturée par des lignes de tension très fortes, entre soumis ou profiteurs de la colonisation et rebelles annonçant le FLN et la guerre d'Algérie; entre riches et miséreux. Les Français sont finalement assez absents. Ils sont évidemment présents dans les passages sur la Première guerre mondiale comme officiers encadrant les soldats indigènes, soulignant l'injustice et le mépris avec laquelle ces derniers ont été traités. Même chose lors du passage au bagne de Biribi. Oui, l'histoire ne retient que les héros qui l'arrange. Mais au final, Yasmina Khadra raconte une histoire algérienne, entre Algériens, dans un contexte colonial certes, ce qui lui permet d'éviter la leçon de morale, quelque légitime elle soit, ni de réclamer repentance de façon facile et attendue.

Dans le parcours très sombre de Yacine, la lumière nait de la solidarité entre hommes, soldats ou pas, indigènes ou pas, français et algériens. Jusqu'à une fin bouleversante qui m'a embué les yeux, résonnant d'une générosité et d'une sagesse à la Camus que j'ai trouvée très belle. La portée du récit est ainsi immédiatement universelle. A l'heure où certains en Algérie lui reproche d'écrire en français et de « collaborer », à l'heure la colère et la rancoeur à l'égard de la France sont encore vives, le message est d'autant plus fort. La haine ne fait définitivement pas partie des fibres sensibles de Yasmina Khadra.

Il y a tout dans ce sublime roman : de la violence, de la douleur, aussi de l'amitié, de l'amour, du pardon et surtout de l'espoir. Une leçon de vie magnifique qui conduit vers la sagesse un Yacine au bout de sa rocambolesque épopée, en paix avec lui-même, ses fantômes et ses absents. On se sent voyager loin, géographiquement et émotionnellement, on se sent humain tout simplement lorsqu'on referme le livre.

Lu dans le cadre du jury Prix du roman FNAC 2022
Commenter  J’apprécie          24237



Ont apprécié cette critique (174)voir plus




{* *}