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EAN : 9782266332477
512 pages
Pocket (17/08/2023)
  Existe en édition audio
4.18/5   1300 notes
Résumé :
J'ai vécu ce que j'avais à vivre et aimé du mieux que j'ai pu. Si je n'ai pas eu de chance ou si je l'ai ratée d'un cheveu, si j'ai fauté quelque part sans faire exprès, si j'ai perdu toutes mes batailles, mes défaites ont du mérite - elles sont la preuve que je me suis battu.Algérie, 1914. Yacine Chéraga n'avait jamais quitté son douar lorsqu'il est envoyé en France se battre contre les "Boches". De retour au pays après la guerre, d'autres aventures incroyables l'a... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (198) Voir plus Ajouter une critique
4,18

sur 1300 notes
°°° Rentrée littéraire 2022 #6 °°°

Coup de coeur pour ce grand roman porté par un souffle romanesque qui s'impose comme une évidence, emportant le lecteur dans une épopée où l'amour, l'amitié, la solidarité sont des boussoles vers la lumière dans le monde violent et injuste de l'Algérie coloniale.

On y suit les tribulations initiatiques d'un Candide algérien, Yacine Cheraga, à peine vingt ans, miséreux au coeur pur. Il part faire la Première guerre mondiale sous un autre identité, celle du fils du caïd local, contre une promesse de fortune, lui qui n'avait jamais quitté son douar et sa famille aimante. A son retour en Algérie, rien ne se passera comme prévu et s'ensuivra un parcours de naufragé, une odyssée gigantesquement romanesque qui mettra à l'épreuve la vertu et la moralité de Yacine dans une Algérie rude et âpre rarement décrites ainsi.

La narration à la première personne de Yacine est d'une limpidité superbe. le scénario lisible, classiquement chronologique de 1914 à 1925, fait se croiser et recroiser dans l'après-guerre les personnages qui se rencontrent dans le 7ème RTA ( régiment des tirailleurs algériens, les « turcos »que l'on suit dans les tranchées de Verdun ou de Louvemont ). Les quelques chapitres sur l'enfer des tranchées égalent la puissance évocatrice d'un Dorgelès ou d'un Genevoix, et constituent le coeur du récit à partir duquel l'auteur tisse des ramifications, des retrouvailles, des digressions picaresques qui jalonnent la poursuite du destin tragique de Yacine. C'est en refermant le livre que l'on se rend compte de la virtuosité de la construction et du dispositif romanesque.

Son écriture, élégante et enveloppante, ne semble être là que pour magnifier les émotions qui étreignent le lecteur et l'élan empathique qui s'empare irréversiblement de lui. Ce qui sauve Yacine lâché dans cette arène des fauves, c'est son entêtement à poursuivre les fantômes des absents sans jamais lâcher une ligne de conduite faite de droiture, honnêteté et vaillance, résistant au pessimisme ambiant.

Les personnages secondaires, tous extraordinairement caractérisés, complexes, sont autant de bornes initiatiques, obstacles à dépasser ou guides pour avancer. Difficile d'oublier le meilleur ami Sid, hédoniste consumé voulant rentabiliser le miracle d'avoir survécu aux tranchées; Zorg Er-Rouge, l'ancien Turco plein de colère et ressentiment qui lance la guerre aux pieds-noirs, terriblement complexe; et sa cousine Abla, inoubliable amazone fidèle à sa famille le couteau entre les dents.

Ce sont les figures d'Algériens qui dominent le récit, ce qui offre à Yasmina Khadra la possibilité d'autant mieux explorer la complexité de la nature humaine : comme toutes les sociétés humaines, la société algérienne est fracturée par des lignes de tension très fortes, entre soumis ou profiteurs de la colonisation et rebelles annonçant le FLN et la guerre d'Algérie; entre riches et miséreux. Les Français sont finalement assez absents. Ils sont évidemment présents dans les passages sur la Première guerre mondiale comme officiers encadrant les soldats indigènes, soulignant l'injustice et le mépris avec laquelle ces derniers ont été traités. Même chose lors du passage au bagne de Biribi. Oui, l'histoire ne retient que les héros qui l'arrange. Mais au final, Yasmina Khadra raconte une histoire algérienne, entre Algériens, dans un contexte colonial certes, ce qui lui permet d'éviter la leçon de morale, quelque légitime elle soit, ni de réclamer repentance de façon facile et attendue.

Dans le parcours très sombre de Yacine, la lumière nait de la solidarité entre hommes, soldats ou pas, indigènes ou pas, français et algériens. Jusqu'à une fin bouleversante qui m'a embué les yeux, résonnant d'une générosité et d'une sagesse à la Camus que j'ai trouvée très belle. La portée du récit est ainsi immédiatement universelle. A l'heure où certains en Algérie lui reproche d'écrire en français et de « collaborer », à l'heure la colère et la rancoeur à l'égard de la France sont encore vives, le message est d'autant plus fort. La haine ne fait définitivement pas partie des fibres sensibles de Yasmina Khadra.

Il y a tout dans ce sublime roman : de la violence, de la douleur, aussi de l'amitié, de l'amour, du pardon et surtout de l'espoir. Une leçon de vie magnifique qui conduit vers la sagesse un Yacine au bout de sa rocambolesque épopée, en paix avec lui-même, ses fantômes et ses absents. On se sent voyager loin, géographiquement et émotionnellement, on se sent humain tout simplement lorsqu'on referme le livre.

Lu dans le cadre du jury Prix du roman FNAC 2022
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Cela fait un moment que bon nombre de les amis lecteurs me conseille de lire Yasmina Khadra. Alors quand j'ai eu l'opportunité de le choisir en masse critique je n'ai pas hésité.

Je me demande juste pourquoi je n'ai pas cet auteur avant. Sa plume est poétique, prenante, et tellement juste.

J'ai adoré ce roman. J'ai vibré en suivant les aventures de Yacine.
J'ai trouvé ce roman plein de justesse, avec quelques longueurs parfois, J'ai trouvé le scénario très prenant. Les sujets multiples, mais l'amour l'amitié et les relations entre frères d'arme très juste une fois encore.

Les personnages sont extrêmement bien travaillés, gentils comme méchants. L'être humain prend toute ses dimensions dans ce roman.

Une première découverte pour moi, mais très agréable,et je vais bien évidemment continuer la découverte de cet auteur très talentueux.

Je remercie Babelio et les éditions Mialet Barrault pour cette incroyable découverte. Je n'étais pas loin du coup de coeur.
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Lorsque Babaï vient le chercher dans son humble gourbi, Yacine n'a d'autre choix que de suivre l'inquiétant homme de main du caïd. S'il imagine de multiples hypothèses pour expliquer cette convocation soudaine, il ne s'attend pas du tout à ce que l'on propose, à ce qu'on lui impose plutôt, car le choix n'est pas vraiment de mise. Yacine se retrouve ainsi tirailleur dans les tranchées de Verdun, pour remplacer le fils du caïd, réformé. Avec à la clé l'espoir du bonheur pour sa famille lors de son retour.

Trois ans plus tard, les promesses ne sont pas tenues. Sa famille a disparu et sa vie est menacée. Commence pour Yacine un périple éperdu à la recherche des siens.

Voyage au coeur de l'Algérie du début du vingtième siècle, juste avant que ne s'amorce une hostilité générale pour les colons, avec une incursion en France alors que la guerre de 14-18 fait rage. le ton évoque la légende ou le conte des mille et une nuit, d'autant que le héros est constant dans sa probité et sa pureté qui confine parfois à la naïveté. On fréquente les humbles, les démunis, avec quelques figures qui tentent de se sortir de leur condition de miséreux. Pour Yacine, après une période un peu plus faste, le destin le conduira au bagne !

C'est aussi l'occasion, mais loin d'être unique en littérature de partager l'horreur de la guerre et la honte pour un pays d'envoyer en première ligne des recrues qui ne sont rien d'autre que de la chair à canon. Malgré tout, c'est dans cet enfer que se lient de profondes amitiés, qui sauront le jour venu inverser les tendances du destin.


Roman assez classique mais très agréable à lire. On ne peut éprouver qu'une empathie sincère pour le personnage de Yacine balloté au gré de pouvoirs qui le dépassent.

541 pages Mialet Barreau 24 Août 2022
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Désigné par le tout-puissant caïd de son douar algérien pour partir à la guerre en France en se faisant passer pour son fils, le jeune berger Yacine se retrouve dans l'enfer des tranchées de la première guerre mondiale avec, en échange, la promesse d'une ferme qui tirerait ses parents de la misère. Lorsqu'après quatre ans à côtoyer l'horreur et la mort, il rentre enfin, irrémédiablement hanté mais persuadé d'être accueilli en héros, rien ne se passe pourtant comme il l'escomptait. Car, pour le despote pressé d'effacer toute trace de la supercherie qui a valorisé son fils à bon compte, Yacine doit disparaître…


Lui qui espérait sortir de l'asservissement féodal au prix de quelques années à servir de chair à canon, réalise alors qu'on ne trompe pas si facilement son destin. Dépouillé de sa vie d'antan, volé de son passé de soldat, il n'a plus guère que l'indéfectible solidarité de ses anciens compagnons d'armes, et surtout, son immarcescible droiture d'âme, pour s'empêcher de sombrer et pour trouver la force d'aller de l'avant, alors que les épreuves et les injustices sont bien loin d'en avoir fini avec lui. Un souffle épique emporte le récit dans une cascade de péripéties toutes plus terribles les unes que les autres, la vie de Yacine ne semblant jamais devoir cesser de rebondir de Charybde en Scylla, emportée comme un fétu de paille dans les redoutables remous d'un irrépressible torrent.


Pourtant, si désespérant et si violent le monde, Yacine ne perd pas pied, fondant sa résilience sur cette sagesse instinctive qui le fait se plier aux caprices du mektoub, tout en restant droit dans ses bottes, fidèle à lui-même, à ses valeurs humaines et à ses attaches affectives. « La vie est une traversée et tu es un simple pèlerin. le passé est ton bagage. le futur, ta destination. le présent, c'est toi. Si ton bagage t'encombre, dépose-le à la consigne. Si ta destination est hasardeuse, sache qu'elle l'est pour tout le monde. Vis à fond l'instant présent, car rien n'est aussi concrètement acquis que cette réalité manifeste que tu portes en toi. » Au soir de sa vie, loin de se perdre en regrets, aigreurs ou lamentations, il sera de ceux qui se seront attachés à cultiver l'amour et le bonheur jusqu'au plus creux de l'adversité, faisant avec l'inéluctable pour mieux profiter des moindres éclaircies concédées par la vie.


Il aura fallu trois ans à Yasmina Khadra pour peaufiner cette apothéose de son oeuvre : une fresque puissante et tumultueuse, aux nombreuses scènes d'anthologie, pour célébrer ces âmes droites, capables, quelles que soient leurs infortunes et la barbarie du monde, de garder leur foi en elles-mêmes et en l'humanité, de défendre l'amour et le droit au bonheur même quand tout semble perdu. « Nous ne sommes que des mortels, mon garçon, des récits anonymes gravés sur du sable que le temps dispersera au gré du vent. Alors pourquoi tant de souffrance puisque tout passe, et nous avec ? » Coup de coeur.

Lien : https://leslecturesdecanneti..
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Le dernier roman de Yasmina Khadra est une belle réussite. Il nous propose une véritable épopée, celle de Yacine Chéraga, qui démarre en 1914 en Algérie. le chef de guerre, qui dirige le territoire sur lequel vit misérablement la famille de Yacine, décide que celui-ci partira faire la guerre en France, contre les « Boches », à la place de son cher fils qui souffre d'une maladie du coeur. Afin de s'assurer de la docilité de Yacine et de l'ardeur qu'il mettra au combat, il lui promet des terres, une vierge pour s'occuper de lui à son retour, et la sécurité pour sa famille.
Si Yacine part bien pour la France, le caïd, à son retour, non seulement ne tiendra pas parole, mais en plus tentera de l'assassiner. Yacine n'a alors pas d'autre alternative qu'une fuite éperdue, après avoir compris que sa famille avait été obligée de disparaitre elle aussi.
Une incroyable odyssée attend Yacine, qui, malgré quelques moments de répit, va connaître une vie terriblement difficile, fuyant la misère en prenant sans cesse les jambes à son cou, dans une course folle, pour tenter d'échapper à son destin.
L'auteur nous emmène au coeur de cette époque avec un grand réalisme, la guerre, les portraits des compagnons de Yacine à l'armée, et de tous ceux qu'il va rencontrer lors de sa cavale sont extrêmement bien brossés, touchants, révoltants, criants de vérité.
Les pages se dévorent, le lecteur est emporté par un tourbillon de sentiments, dépaysé et ensorcelé par les personnages, étouffant dans les tranchées des campagnes françaises, les paysages algériens arides et désertiques, ou les taudis oranais, et ne peut s'empêcher de verser quelques larmes face aux tourments de Yacine …
Le seul bémol qui m'a retenue pour mettre 5 étoiles, c'est l'utilisation d'expressions actuelles dissonantes dans des dialogues dont l'action est censée se dérouler dans les années 1910-1920.
Un livre magnifique, sur une page de l'Histoire de l'Algérie et ses liens complexes avec la France.
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critiques presse (3)
Culturebox
24 octobre 2022
Avec une langue généreuse, imagée, Yasmina Khadra nous emmène dans un voyage lumineux qui voit Yacine, et nous avec lui, apprendre à pardonner.
Lire la critique sur le site : Culturebox
Marianne_
12 septembre 2022
Plus qu’une saga sur la mémoire écorchée, « les Vertueux » de Yasmina Khadra, nom de plume de Mohammed Moulessehoul, est un livre sur le pardon, celui que son héros, Yacine, devra accorder et s’accorder pour vivre en paix.
Lire la critique sur le site : Marianne_
LaCroix
29 août 2022
Une fresque magnifique qui relate presque un siècle d’histoire de l’Algérie
Lire la critique sur le site : LaCroix
Citations et extraits (309) Voir plus Ajouter une citation
Lorsqu'on essayera de tourner la page écrite avec le sang des martyrs, on s'apercevra que le sang l'a traversée et a atteint toutes les pages qui suivent.
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Un garçon si beau et si jeune, qui aurait mérité de vivre cent ans si l'horreur ne s'était pas substituée à jamais au bleu de ses yeux.
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Des décennies ont passé. Je n'ai pas réussi à oublier ce jour-là. Ce ne fut pas seulement mon baptême de sang, ce fut ma vraie naissance au monde moderne – le monde vrai, cruel, fauve et impitoyable où la barbarie disposait de sa propre industrie de la mort et de la souffrance. C'était donc cela le monde civilisé, le monde du progrès, des laboratoires savants et des grandes découvertes. Je ne soupçonnais pas le progrès d'être aussi destructeur. Avant, j'existais et c'était tout. Une herbe folle parmi les ronces. J'avais une famille, un chien, une jument, un gourbi, et mon territoire s'arrêtait là où portait ma fronde. Très jeune, on m'avait certifié que chacun naissait doté d'un parchemin dûment établi, avec des gîtes d'étape précis, des raccourcis et un point de chute dont on ne se relèverait pas. Nous étions persuadés, dans notre douar, que lorsqu'on éclôt sous la mauvaise étoile, on s'évertue à apprivoiser le pire. Hélas, nous étions loin de la vérité. Le pire ne s'apprivoise pas. Et il n'y a rien de pire que la guerre. Rien n'est tout à fait fini avec la guerre, rien n'est vaincu, rien n'est conjuré ou vengé, rien n'est vraiment sauvé. Lorsque les canons se tairont et que sur les charniers repousseront les prés, la guerre sera toujours là, dans la tête, dans la chair, dans l'air du temps faussement apaisé, collée à la peau, meurtrissant les mémoires, noyautant chacune de nos pensées, entière, pleine, totale, aussi indécrottable qu'une seconde nature. Pour moi, elle aura l'écho du tout premier obus tombé sur nos lignes de front et l'hébétude de mon tout premier mort empalé sur ma baionnette – un garçon si beau et si jeune, qui aurait mérité de vivre cent ans si l'horreur ne s'était pas substituée à jamais au bleu de ses yeux.
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LE JOURNAL DU DIMANCHE du 28 Aout 2022

Par Yasmina Khadra, romancier
« Les Vertueux », Mialet-Barrault, 544 pages, 21 euros (en librairies depuis le 24 aout)


TÉMOIGNAGE L’écrivain algérien raconte ce qu’il a vu et entendu dans son pays ces derniers mois avant qu’Emmanuel Macron n’y revienne en visite officielle

J’ai passé cinq mois en Algérie, cette année. Tout au long de l’hiver, je me suis ennuyé comme un témoin de Jéhovah dans une rave party. Aucun événement culturel à l’horizon, sévèrement flouté par les incertitudes et les préoccupations quotidiennes. Dans les cafés, on n’arrêtait pas de se plaindre et de s’indigner. L’inflation dépasse l’entendement, les pénuries donnent le tournis, l’insécurité dans certains quartiers impose le couvrefeu citoyen dès la tombée de la nuit.
Et pourtant, paradoxalement, animé par on ne sait quelle foi, le peuple continue de rôdailler autour de ses rares repères, refusant de céder aux vicissitudes dans une patrie où il a le sentiment d’évoluer en territoire ennemi, livré à lui-même et à la boulimie d’une corruption galopante que ni l’emprisonnement des anciens tsars de la République ni la menace qui pèse encore sur la mafia politicofinancière ne semblent en mesure de freiner. C’était pénible à vivre.
J’ai donc quitté l’Algérie, chagriné et révolté en même temps, mais pour y retourner en juin avec l’intention de faire quelque chose. Avec mon éditeur algérois, nous avons arrêté le programme d’une petite tournée à Oran, Alger et Tizi Ouzou. L’été, en Algérie, réconcilierait le feu et la glace. Au diable les aigreurs et les déconvenues. L’été, Oran grouille de monde et ne dort plus. Toute l’Algérie y débarque. Les plages sont prises d’assaut, les hôtels sont pleins à craquer, les restaurants sont bondés et les nuits fauves se découvrent du talent. J’en ai profité pour aller à la rencontre de mon lectorat. Et quelles rencontres !
« Je n’ai jamais vu l’enceinte aussi pleine », m’a confié le directeur du Théâtre régional d’Oran. À Alger, presque un millier de personnes avaient fait le déplacement. Quant à Tizi Ouzou, c’était l’apothéose. Du jamais-vu pour un événement littéraire. Il y avait surtout énormément de lycéens et d’étudiants dont beaucoup rêvaient de devenir, non pas chefs d’entreprise ou ministres, mais écrivains ! C’était bouleversant. Je pensais avoir apporté un peu de joie dans les cœurs…
Je n’ai pas tardé à déchanter. Ma tournée a fait jaillir toutes les frustrations d’une élite en mal de visibilité. Islamistes, arabisants, séparatistes, anti-Français, intellectuels arabophones, tous déchaînés contre « le plumitif mégalomane », « l’écrivaillon plagiaire », « le bougnoule de service », « le harki », me reprochant d’écrire dans la langue du général
Bugeaud, grand bourreau de nos tribus. Il y avait une haine telle que, par endroits, cela frisait l’appel au meurtre. J’avais l’habitude de ce genre de réaction, mais rarement à un degré pareil. C’est dire combien le mal est profond en Algérie, ce que soixante années d’exclusion, de chosification, d’intox et de mensonges, de népotisme et de médiocrité, d’abus et d’encanaillement ont fait d’un peuple qui avait cru dans les discours officiels avec dévotion et qui paie très cher aujourd’hui d’avoir été d’une candeur angélique.
Mais, détrompez-vous, il ne s’agit que d’une minorité aigrie qui tente de maintenir le pays dans le désarroi. Si certains louent l’« abolition » de la langue française en Algérie, il n’y a pas d’animosité anti-Français. J’ai reçu quelques Français, cet été, et dans tous les cafés où je les ai invités, pas une fois je n’ai eu à payer l’addition — des clients anonymes s’en chargeaient en signe de bienvenue.
De tous les étrangers, les Français sont les mieux accueillis par le peuple qui se fiche éperdument de ce qu’on lui raconte sur les réseaux sociaux. En fait, nous sommes viscéralement xénophiles. Les jeunes étaient même ravis de les croiser sur leur chemin. Ils attendaient beaucoup de la visite de Macron, en dépit d’un doute grandissant, tant les promesses des précédentes visites présidentielles sont restées lettre morte.
S’il arrive à l’Algérie de bouder la France, c’est à cause de ses maladresses. La France, jusqu’à présent, n’a pas joué franc jeu. Elle défend, certes, ses intérêts – ce qui est légitime –, mais sans s’investir entièrement. Elle exige beaucoup et donne le moins possible, ce qui n’aide pas à consolider un partenariat efficace et durable. Les Algériens sont fatigués de tout, de leurs gouvernants et d’eux-mêmes. Ils veulent que les choses soient claires une fois pour toutes. Macron aura-t-il convaincu, cette fois ? Nous espérons tous que le pragmatisme l’emporte sur l’émotion, que notre destinée commune guérisse notre mémoire blessée et que les lendemains soient assainis afin que les prochaines générations puissent s’épanouir dans la quiétude et la prospérité. Rien n’empêche le vœu pieux de croire en des jours meilleurs…
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La traversée fut terrible.
Nous pataugions dans nos vomis.
Le navire qui nous emmenait en France menaçait de se disloquer au milieu d'une mer déchaînée qui ne décolérait pas depuis deux jours et deux nuits. De monstrueuses trombes d'eau giclaient par-dessus bord, effervescentes d'écume, s'abattaient avec fracas sur le bastingage. On n'arrivait pas à mettre un pied devant l'autre sans qu'une violente secousse nous catapulte à travers les coursives. Nous avions des bleus sur le corps et les boyaux enchevêtrés. Ce qu'on ne rendait pas par le haut, on l'évacuait par le bas – les chiottes en débordaient. C'était l'enfer à huis clos. Beaucoup d'entre nous ne mangeaient plus ; recroquevillés en chien de fusil, la lie de leurs entrailles sur le fourbi, ils râlaient en psalmodiant, persuadés qu'ils étaient en train de vivre leurs dernières heures. Personne, autour de moi, n'avait vu le ciel si bas et autant de foudres fulminer en même temps dans le grondement assourdissant du tonnerre. Lorsque l'éclair illuminait nos abris, nous nous révélions à nous-mêmes avec horreur : nous ressemblions à des revenants, avec nos faces exsangues et nos yeux pâles d'effroi.
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Yasmina Khadra est l'écrivain algérien le plus lu au monde.
Il a passé 36 ans dans l'armée, et a notamment lutté contre les groupes islamistes pendant les années 1990. Parallèlement, son premier livre est paru dès le début des années 1980, sous son vrai nom. Mais pour échapper à la censure militaire, il a finalement décidé d'écrire dans la clandestinité, sous pseudonyme, dès 1997. C'est ainsi que Yasmina Khadra est né, en empruntant deux des prénoms de son épouse. Il est l'auteur de nombreux romans, qui ont conquis des millions de lecteurs dans le monde entier. Portés par son talent de conteur, plaçant le sujet humain au premier plan, ils racontent aussi notre monde, ses dérives et ses espoirs. Parmi ceux-ci, "Ce que le jour doit à la nuit", "L'Attentat" ou encore "Les Hirondelles de Kaboul". Plusieurs de ses livres ont aussi été adaptés au théâtre, au cinéma, en bande dessinée.
Au cours de cette rencontre, Yasmina Khadra nous parle de son nouveau roman qui vient de paraître en poche aux éditions Pocket, "Les Vertueux", un livre au souffle narratif puissant, qui nous fait aussi découvrir tout un pan de l'histoire algérienne oublié et pourtant fondateur.
Pour retrouver son livre, c'est ici : https://www.librairiedialogues.fr/livre/22541521-les-vertueux-yasmina-khadra-pocket
Et pour nous suivre, c'est là : INSTA : https://www.instagram.com/librairie.dialogues FACEBOOK : https://www.facebook.com/librairie.dialogues/?locale=fr_FR TWITTER : https://twitter.com/Dialogues
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