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« Ma mère est morte hier » nous dit Farida Khelfa dès la première phrase de ce recueil de souvenirs. Elle expliquera ensuite que cette mort a été le déclencheur de l'écriture. L'enfance qu'elle nous raconte dans Une enfance française est particulièrement douloureuse, avec deux parents déficients : le père alcoolique, fragile mentalement, violent et incestueux ; la mère en constante dépression, gavée de médicaments, aveugle voire consentante aux exactions du père et, forcément, démissionnaire. Toute la famille est plongée dans cet engrenage de violence, frères et soeurs inclus, jusqu'à cet oncle maternel qui violera Farida alors qu'elle a sept ou huit ans. Une histoire pathétique dans une HLM de Vénissieux, une banlieue lyonnaise… Les confidences s'égrènent, d'abord à mots couverts, puis plus brutalement. L'autrice nous confie les diverses violences, les coups quand le père est ivre, et c'est fréquent, mais aussi l'inceste sur plusieurs des enfants, et l'indifférence, même parfois l'hostilité de la mère. Elle raconte sans entrer dans les détails et nous livre l'horreur brute, la peur constante qui l'habite et son désir d'en finir : elle fera deux tentatives de suicide avant l'âge de 14 ans. Pour mettre fin à cet enfer, elle fugue et « monte » à Paris. Elle fréquente alors un monde interlope, entre dealers et grands noms de la mode, qu'elle rencontre essentiellement au Palace. On reconnaît au passage certaines célébrités de l'époque et d'autres en devenir : Jean-Paul Goude, Jean-Paul Gauthier, Christian Louboutin et aussi Azzedine Alaia. Elle fréquente alors des politiques et des intellectuels, dont Claude Lanzmann qu'elle qualifie d'ami indéfectible et qui a droit à toute sa reconnaissance pour lui avoir fait découvrir Franz Fanon.
***
On se promène ainsi d'anecdotes douloureuses en découvertes enrichissantes. Farida entre dans un monde qui lui était jusqu'alors inconnu, consciente de ses manques, mais forte de ses expériences passées. Elle porte encore, nous dit-elle, les marques indélébiles des enfants d'immigrés, écartelés entre deux cultures, celle des parents et celle du pays d'accueil, et désespérés de n'appartenir entièrement ni à l'une ni à l'autre. J'ai lu avec intérêt le parcours étonnant de Farida Khelfa. J'ai admiré sa force de caractère, sa capacité à se sortir de l'héroïne et des autres drogues, sa faculté étonnante de rebondir après de terribles expériences, sa remarquable résilience. J'ai regretté certaines incohérences, dues probablement aux longues et fréquentes ellipses ainsi qu'à des sauts dans le passé ou l'avenir pas toujours clairs, qui m'ont laissée sur ma faim. Par exemple, comment une mannequin héroïnomane devient-elle directrice de collection, puis réalisatrice ? Une relation amoureuse avec un grand nom de la mode et un mariage avec un homme d'affaires ne suffisent pas à l'expliquer, me semble-t-il. La narratrice laisse donc de côté les étapes de sa réussite qu'elle évoque comme des évidences sans nous en dire davantage. J'ai été surprise par sa vision du monde artistique des années quatre-vingt : en bref, les yéyés votent à droite et les chanteurs à texte plus âgés, à gauche… J'avoue avoir été agacée par la quantité de lieux communs et de généralités qu'on trouve dans ces souvenirs très personnels. Un ouvrage qui vaut pour la franchise et le réalisme de tout ce qui concerne son enfance maltraitée, je crois, plus que par ce qui raconte, plus superficiellement, la vie professionnelle et l'âge adulte.

[Lu dans le cadre du Grand Prix des lectrices de Elle]
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Rien que la vision de ce singulier visage apposé en bandeau sur la couverture de ce livre confession m'évoque Jean-Paul Gautier, Jean-Paul Goude, Thierry Mugler ou Azzedine Allaïa, ces icônes emblématiques des mega-clinquantes années 80 qui faisaient la pluie et surtout le beau temps sur les milieux de la mode et des arts, toujours en avance d'une décennie sur le reste de la population, une avance culturelle qui mettait le métissage à la une, avec les visages atypiques de Grace Jones ou de Farida Khelfa, souvent explosés par les fantaisies créatrices du lutin de la photo découpée.

Bien plus que ne le dit le titre ‘une jeunesse française', c'est un destin français qui nous est donné à lire ici, un destin né sous les années Giscard, celles où les basses syncopées de la sono survoltée du Palace rythmaient les nuits parisiennes avant que ne les bain-douchent les années sida qui allaient faucher bien des étoiles scintillantes, pour certaines, seulement naissantes.

Années sida parce que l'héroïne dont il sera question ici n'a pas seulement les traits humains de l'autrice dont l'enfance maltraitée saura mettre le feux aux poudres de toutes sortes pour s'extraire du milieu malsain et mortifère où elle a vu le jour.

Transfuge et transclasse en transition à la fois éclair et permanente, elle se livre ici dans une autobiographie sans tabous et sans concessions où ses addictions diverses sont abordées, frontalement, comme en écho aux exactions paternelles dont elle su s'extraire pour se tracer un parcours hors normes depuis les HLM de Vénissieux jusqu'au quartiers chics de la haute bourgeoisie parisienne dont elle fait partie aujourd'hui, parcours avec handicap tant la violence familiale et de l'époque est prégnante et laisse des traces dont l'écriture semble aussi servir de thérapie.

Partir pour survivre.

Échapper à un foyer sans chaleur où on ne partage que les coups pour tordre le cou à une destinée mimétique et se retrouver, par hasard et par chance, dans le chaudron bouillonnant des créateurs révolutionnaires, eux-mêmes en rupture franche avec leurs prédécesseurs, au crépuscule des seventies quand le disco endiablé laissait la place à la froide new-wave.

Enfant de l'immigration, de parents algériens déracinés mais restés prisonniers de rites ancestraux à reproduire, il lui fallait fuir pour échapper à une forme de malédiction qui sévissait, silencieuse, entre les murs pourtant fins de l'appartement familial.

Une autobiographie sincère, pas linéaire, une confession décomposée aux ciseaux comme une création de JP Goude, le récit d'une émancipation douloureuse, le voyage d'une femme à qui la vie a souri mais qui trimballe pourtant de lourdes valises où reste tapi le souvenir d'une enfance écorchée à tout jamais, sans sérénité, sans repos.

Contre le passé, y a rien à faire…
 
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Farida Khelfa, personnalité connue de la mode, a été mannequin, directrice du studio Alaïa, directrice des collections chez Jean Paul Gautier, réalisatrice de documentaires sur la mode, la politique, le monde arabe. Lorsqu'on la voit aujourd'hui rayonnante, sublime, on a du mal à imaginer ce par quoi elle est passée pour en arriver là.
Elle nous raconte son passé dans ce récit autobiographique qu'elle a ressenti le besoin d'écrire à la mort de sa mère. C'est l'histoire d'une enfant d'immigrés algériens arrivés à Lyon dans les années 50, avant-dernière d'une fratrie de 9, née en France. Elle se souvient de son père violent , alcoolique, incestueux, analphabète qui faisait régner la terreur dans la famille, d'une mère dépressive, droguée aux calmants, d'absence totale d'amour sauf entre les frères et soeurs. Elle se souvient d'un oncle, le "dévoreur d'enfants" qui a abusé d'elle alors qu'elle avait 7 ans. Elle se souvient des Minguettes, qu'on n'appelait pas encore banlieue mais ZUP où régnaient trafics divers, violence mais où vivaient ensemble toutes les nationalités et religions.
Elle a dû fuir pour ne pas mourir, pour tenter d'échapper aux crises d'angoisse, aux tentatives de suicide (elle en a fait deux entre 12 et 14 ans). Elle fugue à Paris et se retrouve, par un concours de circonstances comme il y en aura pas mal dans sa vie, au Palace; elle vivra avec Jean-Paul Goude, travaillera pour les plus grands couturiers. Son passé qu'elle essaie d'oublier dans l'héroïne; la hante encore ; consciente de se perdre à nouveau, elle se désintoxique aidée par des séances de psychanalyse qui lui permettent de mettre des mots sur ce qu'elle a vécu.
Ce récit aborde le thème de l'immigration et la difficulté d'être de la deuxième génération, celle qui ne se sent chez elle nulle part, celle qui est rejetée de toute part mais aussi l'impossibilité pour ceux qui ont quitté leur pays, contraints par la misère, de comprendre et d'accepter la culture du pays qui les accueillait, se réfugiant dans la violence, l'alcool, la dépendance aux médicaments, enfermés chez eux par peur de l'extérieur.
Ce qui surprend dans ce témoignage, c'est la quête perpétuelle de liberté qui est passée par la fuite loin de ses parents toxiques, cette sorte de libération à leur mort (après la mort de son père, Farida a pu devenir mère, à la mort de sa mère, elle a pu raconter son passé). C'est aussi le message de volonté et d'optimisme qu'elle délivre: malgré une enfance ravagée, on peut avancer, se libérer et surtout ne pas être vue ou se voir comme victime, se servir de ses blessures pour en faire une force.
J'ai trouvé dommage que l'écriture soit désordonnée; on passe d'un souvenir à un autre, d'une période à une autre, sans lien apparent ce qui rend la lecture hachée. Des personnes apparaissent sur un court chapitre puis disparaissent. Des répétitions auraient peut-être pu également être évitées.
Il n'en reste pas moins qu'on ne peut être qu'admiratif face au courage et à la volonté de Farida Khelfa qui nous livre, sans tabou, un bel exemple de résilience.
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Il est bien difficile de chroniquer un texte comme celui-ci, qui rend compte d'un vécu si fort dans une forme imparfaite.
Alors oui, le style est maladroit, les clichés sont légion (le Japon est « le pays du Soleil Levant »), les phrases sont courtes, comme si elles avaient peur de se déployer et de tomber. Elles sont lâchées avec effort.
Pourtant ces défauts disent dans le même temps des choses touchantes, comme si la petite fille empêchée de parler dans son enfance rudoyée s'y mettait enfin, gagnant le droit de devenir enfin libre. Farida Khelfa ne s'autorise à écrire qu'une fois sa mère morte, comme elle ne s'est autorisée à avoir des enfants que lorsque son père a été enterré. Écrire, c'est laisser la vie reprendre le dessus : cet aspect du livre est émouvant.
D'autres défauts, le côté décousu qui rend certains passages difficiles à comprendre, ou la sécheresse apparente des émotions exprimées, se retournent de la même manière au bout d'un certain temps de lecture. L'émiettement dit la folie "contagieuse" qui guette, conséquence d'années d'abus et d'un atavisme bien enraciné. Il dit aussi le manque de confiance de cette femme jamais sûre de rien, surtout pas d'elle-même.
Cette structure morcelée est la conséquence du travail d'anamnèse procédant par boucles, typique des confessions difficiles. Petit à petit, l'autrice apprivoise son sujet, en tournant et en navigant dans le passé sans boussole, jusqu'à prendre dans ses bras la petite Algérienne misérable qu'elle fut. Il faut lire à cet égard le récit de son rêve d'un bébé en smoking, puis l'analyse qu'elle en fait grâce à son psy. Ce passage, très simplement exprimé, fait partie de ces boucles vertueuses qui émaillent le récit : elles la remettent dans le flux de la vie, lui permettant la réappropriation d'une identité confisquée. En cela, Farida Khelfa est bien une autrice. Autrice de son destin.

Si l'on considère que ce récit est un témoignage qui ne se veut pas une oeuvre littéraire, il devient vraiment intéressant. On y comprend mieux la pauvreté extrême, le problème des Algériens venus en France avec la haine des Français, tous victimes des violences de l'Histoire. On y observe une famille gravement dysfonctionnelle, où l'inceste, la domination masculine, la violence, la folie, l'alcool et l'absence d'amour font des ravages sur les enfants. Cela fait froid dans le dos. Et on se prend d'admiration pour cette femme qui a si bien su survivre alors que tout la condamnait. Sa force de résilience est incroyable. Elle la doit à elle-même, aux amis dont elle s'est entourée, à la psychanalyse, à ses enfants et son mari. La puissance de sa liberté est admirable. Elle coûte cher aussi, l'oblige à s'enfuir, à se couper de ses racines : "il faut parfois risquer sa vie à se couper des siens".

Maintenant, que faire du fait que cette femme n'est pas n'importe qui, qu'elle fait désormais partie du monde des riches et des célèbres ? On ne peut pas s'empêcher de chercher des anecdotes croustillantes sur le monde de la mode, des potins sur Louboutin, des scènes de genre chez Alaïa, le tout un peu mondain... Pourtant elle ne balance pas, elle a appris cela à la cité.
On se demande aussi avant d'ouvrir le livre si ça n'est pas un peu facile, quand on est femme de Seydoux, de revenir sur une enfance de Cendrillon, d'écrire quand le danger est écarté et alors que la parole des femmes s'est libérée, donnant lieu à des thèmes « à la mode » (transfuge de classe, enfance abusée, vie de sans-papiers, femme dominée…). Si ça ne va pas faire un peu conte de fées, un peu vain. Une énième star confessant ses traumas passés ? En refermant le livre, j'ai oublié ces préventions. L'approche simple, sincère, pudique a permis d'éviter ces écueils de manière élégante et touchante. La classe.
La force de Farida Khelfa, c'est de ne jamais prétendre être une autre.
Cette force irrigue puissamment le récit et le nimbe d'une dignité qui en impose.

Lu dans le cadre du Grand Prix des lectrices Elle 2024
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« À ces souvenirs, des larmes ruissellent, la joie va de pair avec le malheur. le bonheur n'existe pas s'il n'est pas précédé d'un grand désespoir, c'est le glissement de l'un à l'autre qui crée la mélancolie. »

Farida Khelfa est née en France, de parents algériens qui ont quitté le pays après un épisode sismique. Un père incestueux, une mère lucide. Entre passé et présent, Farida nous livre les années derrière elle, celles qui ont pris racine dans une pauvreté, celles rythmées par une question existentielle qu'elle se posait « comment vivent les autres? ».

Depuis sa tour 106 lyonnaise, malgré la peur qui hante ses nuits, Farida Khelfa a fait de sa vie une résilience admirable. Elle a pris la route vers Paris, a multiplié des rencontres salvatrices et méritées, de Jean-Paul Gautier à Christian Louboutin. L'héritage algérien demeure, le courage lui a permis de se défaire du regard des hommes, d'un potentiel mariage arrangé. Mais le « sale Arabe » à l'école primaire laisse des traces, permet d'être immergé dans l'âpreté de la vie trop tôt.

Les frontières de Farida Khelfa s'ouvrent sur les podiums, l'affranchissement parental est alors marqué. Elle raconte la vie des « déplacés », de ceux dont l'esprit est encore là-bas, ceux qui doivent vivre entre deux cultures, se battre pour exister et s'aimer malgré les nuisances et les anxiétés.
Un récit rude et inspirant où la poésie trouve sa place avec force.
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Évidemment, cette lecture est touchante à la fois par le destin singulier de Farida Khelfa, mais aussi sur ce que cela dit d'une époque, ou plus largement de la vie de celles et ceux de l'immigration qui n'ont rien hormis la violence la plus grande sous toutes ces formes.

Farida Khelfa, que j'avoue avoir découverte avec ce roman, se raconte avec des détails les plus cruels, les plus sombres et qui sont pour autant, tout autant de choses qui vont la pousser de l'avant, lui donner une force pour affronter la vie. Elle raconte la violence de ce père qui sombre dans l'alcool, la folie et se livre comme tant d'autres à l'inceste avec la complicité de cette mère qui ferme allègrement les yeux. Une fratrie qui vole en éclat, une fratrie qui fuit ce domicile dès qu'elle le peut pour survivre. Ailleurs et dans la pauvreté qui est toujours mieux que cette ambiance glauque, pauvre et ou tout est fait pour sombrer encore plus que la génération précédente. C'est le destin d'une jeune fille qui, avec courage, mais aussi naïveté, force et sensibilité va peu à peu se droguer, mais aussi intégrer la mode avec les grands noms des maisons.

C'est une femme qui se raconte sans tabous, avec une franchise cruelle, qui ne cache rien pour mieux saisir qui elle est, mais aussi met en lumière sa famille, son vécu qui parlera sûrement (et malheureusement) à d'autres. On sent toutes ses blessures, toute cette prison avec ses parents qui n'ont pas été protecteur, ni des exemples. Des figures qui ont du quitter sa vie, la vie, pour qu'elle puisse enfin respirer.

Un témoignage honnête, franc et qui met en lumière les blessures d'une catégorie de la population, d'une époque, de la difficulté d'une jeunesse qui n'a pas sa place, quelqu'elle soit et qui se bat encore et encore.
Lien : https://www.mamzellepotter.fr
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Purement excellent. L'enfance d'une jeune fille d'immigrés algériens dans les années 80 la vie familiale les parents la fratrie l'école les fugues Lyon Paris et une incroyable résilience pour cette mannequin venue de loin. Une écriture limpide pleine en humour et de passion. Oui en voulant soumettre on impulse la révolte. Je l'ai lu d'une traite. Bravo farida
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Aujourd'hui, Farida Kehlfa évolue aux côtés de l'élite de notre pays. Egérie de la mode française, elle a travaillé avec Jean-Paul Gauthier et Azzedine Alaïa, s'est liée d'amitié avec Christian Louboutin et Carla Bruni-Sarkozy. Rien, pourtant, ne la prédestinait à embrasser un tel destin : c'est ce qu'elle nous raconte, assez crûment et de manière plutôt décousue, dans ce récit de son enfance dans une famille algérienne marquée par la violence et l'alcoolisme du père, la dépression médicamenteuse de la mère, le manque de tout et les fous rires de rien.

Révélateur d'une époque et d'un monde à part, « un monde qui se nommerait pour toujours immigration« , le livre de Farida Khelfa nous ouvre les portes des HLMs de banlieue où se sont entassées dans les années soixante-dix toutes les familles nombreuses éligibles au logement social, toutes ces familles d'étrangers sans le sou qui pensaient faire fortune en arrivant en France. Superposant le passé et le présent, creusant par ses mots le fossé entre sa vie d'alors et celle de maintenant, elle illustre la fracture béante au sein même de la société française, persistant depuis lors : entre les français de souche et les immigrés ou enfants d'émigrés. Pourtant, au milieu de la violence et de l'injustice, le Paris des années quatre-vingt fait figure d'Eldorado où tout est possible. Après sa fugue à l'âge de seize ans, c'est grâce à sa fréquentation assidue du Palace qu'elle rencontre les étoiles montantes de la mode et fait son entrée sur les podiums. La petite fille battue prend son envol, s'extrait de la condition de paria à laquelle elle se pensait condamnée pour devenir une étoile montante du style à la française. Une belle revanche sur cette vie qui ne l'avait pas tellement gâtée jusque là.

Si j'ai trouvé la plongée dans l'intimité de cette famille algérienne immigrée en France passionnante, et le style de Farida Khelfa poignant de franchise, j'ai été légèrement perdue dans la narration décousue, où j'ai peiné à faire sens de son histoire, à remettre les étapes de sa vie dans le bon ordre, à voir les corrélations et les conséquences. Comment s'en est-elle sortie finalement ? Une suite de coïncidences, de rencontres fortuites, de choix plus ou moins conscients ou seulement cet élan soudain de prendre ses jambes à son cou sans regarder en arrière ? Un peu des deux probablement. La narration donne l'impression que l'autrice-narratrice ouvre progressivement les boîtes bien scellées de ses souvenirs d'enfance, une seule à la fois pour être en mesure de les regarder en face.
Lien : https://theunamedbookshelf.c..
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Pour celles et ceux qui, comme moi, ne connaissaient pas Farida Khelfa avant d'ouvrir ce livre, rappelons que cette femme est une grande figure de la mode française, qui a débuté sa carrière dans les années 80, avant de devenir réalisatrice et productrice de films documentaires, et que l'on a pu voir également dans de petits rôles au cinéma : Les Keufs de Josiane Balasko (1987) ou plus récemment dans les deux volets du sympathique Neuilly, sa mère sortis en 2009 et 2018.

A la toute fin du livre, Farida Khelfa, déclare « J'ai une dette envers mes parents. Je leur dois la vie mais pas le pardon. Pardonner m'est impossible ». Une phrase qui en dit long sur la teneur de ce récit racontant la vie d'une fille née en 1960, à Lyon, de parents immigrés algériens, qui grandit dans le quartier des Minguettes en compagnie de ses neuf frères et soeurs. Une enfance pleine de douleurs et de violence, avec, d'un côté, un père alcoolique et incestueux qui abusa pendant des années de sa soeur aînée, et de l'autre, une mère soumise, dans le déni et peu aimante vis à vis de ses enfants.

Comme beaucoup de ses frères et soeurs, Farida tentera plusieurs fois de s'échapper de ce milieu familial, presque carcéral, jusqu'au jour où elle finira par partir définitivement pour aller rejoindre sa soeur Houria, à Paris, alors qu'elle n'est encore qu'une adolescente. Sa beauté sauvage et son caractère bien trempé lui ouvriront les portes du Palace, lieu incontournable de la mode et de la culture dans les années 80, à Paris. C'est là qu'elle fera la connaissance que quelques personnalités qui deviendront ses amis, parmi lesquelles Jean-Paul Goude, dont elle deviendra la compagne durant quelques années avant de se marier, plus tard, avec l'homme d ‘affaire Henri Seydoux.

Mais avant de devenir mannequin pour les défilés de Jean-Paul Gaultier, puis de connaître, bien plus tard, le bonheur d'une vie confortable et les beaux quartiers, celle qu'on peut considérer comme une transfuge de classe, une vraie, connut le tumulte d'une vie pleine de coups durs et de dangers qui auraient pu la faire basculer définitivement du mauvais côté.

Pour Farida Khelfa, il n'est pas question de refaire « Les Misérables version banlieue » dans cette autobiographie, mais plutôt de raconter les mauvais comme les bons souvenirs, d'évoquer la violence du père bien sûr, mais aussi les gens qui ont marqué son enfance, comme ces femmes du quartier qui lui ont servi (en un sens) de modèle, les copines de l'école avec lesquelles elle a rêvé d'une vie meilleure, ses frères et soeurs aux destins divers, les personnes qui lui ont permis de s'élever socialement… mais aussi la lecture. Farida nous dit aussi comment la drogue est rapidement devenue sa meilleure amie lorsqu'elle est arrivée à Paris, se rappelant aussi du début des années sida, une maladie que l'on appelait à l'époque « le cancer des homosexuels ».

C'est un récit sans tabou et d'une franchise remarquable que nous livre là Farida Khelfa, expliquant combien toutes ces blessures d'enfance résonnent encore aujourd'hui dans son être, en se manifestant parfois, sans prévenir, comme des plaies qui ne se refermeront jamais.

Un livre qui revêt presque une dimension universelle tant l'histoire de cette femme peut ressembler à beaucoup d'autres, celle de ces enfants de l'immigration et des cités HLM qui poussaient un peu partout dans la France des années 60. Des hommes et de femmes, dont beaucoup ne sont jamais parvenu à s'extraire de leur milieu pour pouvoir connaître une vie meilleure.

Un livre captivant et bouleversant qui dit que, sans cette rage de vivre et cet esprit rebelle, Farida Khelfa ne serait sans doute pas devenue la femme qu'elle est aujourd'hui.

Une belle leçon de vie.


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Farida Khelfa est une icône de la mode. Figure du Palace, elle a été la muse des plus grands couturiers, avec son port de tête altier et ce regard sombre. Ce regard sombre que rien n'a épargné. Cette jeune femme a vu l'enfer, a vécu l'enfer. Inceste, viols, violence physique et psychologique, c'est dans une famille de cris et de silences qu'elle a grandi. Une famille venue d'Algérie qui s'installe dans la banlieue lyonnaise et qui va se disloquer sous les coups.

Ça cogne dès le début. le problème de ce texte étant qu'il cogne tout du long. Ce n'est pas tant que j'aime les choses bien structurées mais là, j'aurais bien aimé un récit chronologique. On revient continuellement aux violences subies dans l'enfance, à une soeur qui aurait été oubliée au début du texte, à un autre fait d'armes du père, Farida est ado, de nouveau enfant, puis ado, puis à Paris. Ce serait exagéré de dire que je me suis perdue. Mais j'ai trouvé que ça desservait le propos même du livre.

Et puis, on finit par croire que c'est un fait social. Que c'est comme ça dans toutes les familles d'immigrés algériens. Ça manque de nuances. Cette violence sociale, que je ne nie pas, n'est pas propre aux immigrés, d'Algérie ou d'ailleurs. Elle est ce qui immerge de la misère. Et c'est là que j'aurais aimé, en plus du récit chronologique, une mise en perspective plus sociologique.

Et puis, quitte à faire la liste de ce qui m'a manqué dans ce texte, j'ajoute que la midinette qui sommeille en moi aurait aimé en savoir plus sur la mode, le Palace, les coulisses de ces soirées mythiques. Oui, parce qu'on peut être une lectrice de Paris Match et aimer la littérature.

Mais malgré tout, et c'est l'ambivalence de cet avis, après un démarrage diesel, j'ai lu ce texte d'une traite lors d'une journée parisienne. Installée en terrasse, impossible de le lâcher. C'est qu'il y a une telle urgence dans le style...
Et je serai curieuse de lire un texte de fiction de la part de l'autrice. Comme l'intuition que sans le poids familial sur ses épaules, elle s'en sortirait mieux.
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