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Critique de Arimbo



Un beau documentaire récent d'Arte, intelligent et nuancé, consacré à Milan Kundera, montre la complexité de ce grand auteur, la puissance de son analyse du monde et de l'être humain, mais aussi ses aspirations et ses contradictions.
Kundera est un de mes auteurs préférés, si ce n'est le préféré, et ce documentaire m'a conduit à terminer la nouvelle relecture de ses romans, en relisant une nouvelle fois La vie est ailleurs.

Un roman publié en 1973 que j'aborde chaque fois avec appréhension, tant c'est pour moi le plus cruel, le plus plus grinçant, le plus subversif, le plus désabusé, le plus nihiliste de tous ses romans.
C'est sans doute aussi celui où, en partie, Kundera règle une dernière fois ses comptes avec la période communiste de la Tchécoslovaquie, en réalité sa propre période communiste, de la fin des années 40 au milieu des années 50, qu'il a dit plus tard regarder avec un profond dégoût du jeune homme qu'il était alors.
Et de régler ses comptes avec cette illusion lyrique qui l'a saisi, qui lui a fait écrire dans les années 50 plusieurs recueils de poèmes, reniés depuis lors, et qu'il a refusé d'inclure dans l'anthologie de la Pléiade parue en 2011 qui contient toute son oeuvre.

Que cette histoire est grinçante! Quel héros inconscient, grotesque, pitoyable et effroyable, ce Jaromil, cet être immature, enfant surprotégé, vampirisé par son horrible mère, adolescent puis jeune homme complexé, inadapté à la vie sociale, qui va d'abord compenser son problème avec la réalité de tous les jours par une évasion dans l'écriture poétique, puis qui va trouver dans l'action révolutionnaire qui accompagne les débuts de l'ère communiste en Tchécoslovaquie une façon inhumaine, sadique, de s'affirmer, aux dépends même de la jeune fille avec laquelle il vit.
Même sa mort surviendra de façon totalement incongrue, stupide.

Mais aussi cette oeuvre démonte complètement, de façon totalement radicale, tout ce à quoi l'être humain croit, tout ce à quoi l'humain est attaché, y compris la beauté poétique prise par Kundera pour une illusion, au même titre pourrait-on dire que la religion.
Evidemment, si l'on prend la chose au premier degré, ça fait mal, c'est difficile à admettre pour ceux qui, comme moi, aiment Baudelaire, Rimbaud, Verlaine, Mallarmé, Apollinaire, Char, Desnos, Césaire, et tant, tant d'autres poètes.
En définitive, Kundera semble nous dire, en quelque sorte « La poésie est l'opium du peuple », ne vous fiez pas à l'illusion lyrique qu'elle vous apporte. Et aussi, la vie n'est qu'une supercherie, tout y est relatif, rien n'a de sens.
Et je crois que c'est ce refus apparent de tout, richesse et notoriété bien sûr, mais aussi religion, politique, poésie, qui fait que Kundera est clivant, rejeté, voire détesté, par un certain lectorat.

Mais, il faut voir au-delà. Et la réponse aussi est dans ce roman, dans l'émouvant chapitre intitulé le quadragénaire. Cet homme qui a connu la « jeune fille rousse », la petite amie de Jaromil, celle dont le témoignage insensé de ce dernier contre son frère a conduite en prison, ce quadragénaire, l'accueillera à sa sortie de prison avec humanité, avec une compassion désintéressée.
Cette partie du roman nous invite à penser que, dans un monde désenchanté, où rien ne mérite notre adhésion, où rien, y compris la poésie, n'est à sacraliser, seules ont valeur humaine, la compassion, l'attention désintéressée, la « main secourable ».

Pour conclure, et ne pas être trop long, un petit mot pour dire, que comme toujours, la construction du récit est parfaite, et que l'écriture a toujours cette petite musique spéciale, en apparence si simple, comme du Mozart.
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