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Citations sur Le Rideau (52)

Qui sommes-nous ? Et quelle est notre terre, la terra nostra ? On ne comprendra que peu de chose si l'on se contente de sonder l'énigme de l'identité à l'aide d'une mémoire purement introspective ; pour comprendre, il faut comparer, disait Broch ; il faut soumettre l'identité à l'épreuve des confrontations ; il faut confronter.

Septième partie : LE ROMAN, LA MÉMOIRE, L'OUBLI, Le roman comme voyage à travers les siècles et les continents.
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Depuis longtemps la révolte d'un Risach rompant avec sa vie de fonctionnaire n'est plus possible. La bureaucratie est devenue omniprésente et on ne lui échappera nulle part ; nulle part on ne trouvera une " maison des roses " pour y vivre en contact intime avec les « choses telles qu'elles sont en elles-mêmes ». Du monde de Stifter, irrévocablement, nous sommes passés au monde de Kafka.
Quand jadis, mes parents allaient en vacances, ils achetaient des billets à la gare dix minutes avant le départ du train ; ils logeaient dans un hôtel de campagne où, le dernier jour, ils réglaient la note en espèce au patron. Ils vivaient dans le monde de Stifter.
Mes vacances se passent dans un autre monde : j'achète les billets deux mois à l'avance en faisant la queue à l'agence de voyages ; là, une bureaucratie s'occupe de moi et téléphone à Air France, où d'autres bureaucrates avec lesquels je ne serai jamais en contact m'affectent une place dans un avion et enregistrent mon nom sous un numéro dans une liste de passagers ; ma chambre, je la retiens aussi à l'avance, en téléphonant à un réceptionniste qui inscrit ma demande sur son ordinateur et en informe sa petite administration à lui ; le jour de mon départ, les bureaucrates d'un syndicat, après des disputes avec les bureaucrates d'Air France, déclenchent une grève. Après de nombreux coups de téléphone de ma part, et sans s'excuser (personne ne s'excusait jamais auprès de K. ; l'administration se trouve par-delà la politesse), Air France me rembourse et j'achète un billet de train ; pendant mes vacances, je paye partout avec une carte bancaire et chacun de mes dîners est enregistré par la banque à Paris et ainsi tenu à la disposition d'autres bureaucrates, par exemple ceux du fisc ou, au cas où je serais soupçonné d'un crime, de la police. Pour mes petites vacances toute une brigade de bureaucrates se met en mouvement et moi-même je me transforme en bureaucrate de ma propre vie (remplissant des questionnaires, envoyant des réclamations, rangeant des documents dans mes propres archives).
La différence entre la vie de mes parents et la mienne est frappante ; la bureaucratie a infiltré tout le tissu de la vie. « Jamais encore K. n'avait vu nulle part l'administration et la vie à ce point imbriquées, si imbriquées qu'on avait parfois le sentiment que l'administration et la vie avaient pris la place l'une de l'autre » (Le Château). D'emblée, tous les concepts de l'existence ont changé de sens :
Le concept de LIBERTÉ : aucune institution n'interdit à l'arpenteur K. de faire ce qu'il veut ; mais, avec toute sa liberté, que peut-il vraiment faire ? Qu'est-ce qu'un citoyen, avec tous ses droits, peut changer à son environnement le plus proche, au parking qu'on lui construit sous sa maison, au haut-parleur hurleur qu'on installe en face de ses fenêtres ? Sa liberté est aussi illimitée qu'elle est impuissante.
Le concept de VIE PRIVÉE : personne n'a l'intention d'empêcher K. de faire l'amour avec Frieda même si elle est la maîtresse de l'omnipotent Klamm ; pourtant, il est suivi partout par les yeux du château, et ses coïts sont parfaitement observés et notés ; les deux aides qu'on lui a affectés sont avec lui pour cela. Quand K. se plaint de leur importunité, Frieda proteste : « Qu'as-tu, chéri, contre les aides ? Nous n'avons rien à leur cacher. » Personne ne contestera notre droit à la vie privée mais celle-ci n'est plus ce qu'elle était : aucun secret ne la protège ; où que nous soyons, nos traces restent dans les ordinateurs ; « nous n'avons rien à leur cacher », dit Frieda ; le secret, nous ne l'exigeons même plus ; la vie privée n'exige plus d'être privée.

Sixième partie : LE RIDEAU DÉCHIRÉ, Le sens existentiel du monde bureaucratisé.
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La prose: ce mot ne signifie pas seulement un langage non versifié; il signifie aussi le caractère concret, quotidien, corporel de la vie. Dire que le roman est l'art de la prose n'est donc pas une lapalissade, ce mot définit le sens profond de cet art. (p.21).
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Sans cesse, les concepts esthétiques se transforment en questions ; je me demande : l’Histoire est-elle tragique ? Disons-le différemment : la notion de tragique a-t-elle un sens hors du destin personnel ? Quand l’Histoire met en branle les masses, les armées, les souffrances et les vengeances, on ne peut plus distinguer les volontés individuelles ; la tragédie est entièrement engloutie par les débordements d’égouts qui submergent le monde.

À la rigueur, on peut chercher le tragique enseveli sous les décombres des horreurs, dans la première impulsion de ceux qui ont eu le courage de risquer leur vie pour leur vérité.

Mais il y a des horreurs sous lesquelles aucune fouille archéologique ne trouvera le moindre vestige de tragique ; des tueries pour l’argent ; pis : pour une illusion ; encore pis : pour une stupidité.

L’enfer (l’enfer sur terre) n’est pas tragique ; l’enfer, c’est l’horreur sans aucune trace de tragique.
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Peu à peu j’ai compris que je venais d’un « far away country of which we know little ». Les gens qui m’entouraient prêtaient une grande importance à la politique, mais connaissaient piètrement la géographie : ils nous voyaient « communisés », pas « annexés ». D’ailleurs, les Tchèques n’appartiennent-ils pas depuis toujours au même « monde slave » que les Russes ? J’expliquais que, s’il existe une unité linguistique des nations slaves, il n’y a aucune culture slave, aucun monde slave : l’histoire des Tchèques, de même que celle des Polonais, des Slovaques, des Croates ou des Slovènes (et, bien sûr, des Hongrois qui ne sont pas slaves du tout), est purement occidentale : Gothique ; Renaissance ; Baroque ; contact étroit avec le monde germanique ; lutte du catholicisme contre la Réforme. Rien à voir avec la Russie qui était loin, tel un autre monde. Seuls les Polonais vivaient avec elle dans un voisinage direct, mais qui ressemblait à un combat à mort.
Peine perdue : l’idée d’un « monde slave » demeure un lieu commun, indéracinable, de l’historiographie mondiale. J’ouvre l’Histoire universelle dans la prestigieuse édition de la Pléiade : dans le chapitre Le monde slave, Jan Hus, le grand théologien tchèque, irrémédiablement séparé de l’Anglais Wyclif (dont il était le disciple), ainsi que de l’Allemand Luther (qui voit en lui son précurseur et maître), est obligé de subir, après sa mort sur le bûcher à Constance, une sinistre immortalité en compagnie d’Ivan le Terrible avec qui il n’a pas envie d’échanger le moindre propos.
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La vie humaine en tant que telle est une défaite. La seule chose qui nous reste face à cette inéluctable défaite qu'on appelle la vie est d'essayer de la comprendre.

Première partie : CONSCIENCE DE LA CONTINUITÉ, Pauvre Alonso Quijada.
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Dans le monde moderne, abandonné par la philosophie, fractionné par des centaines de spécialisations scientifiques, le roman nous reste comme le dernier observatoire d'où l'on puisse embrasser la vie humaine comme un tout. (p.101).
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Ce qui restera un jour de l'Europe ce n'est pas son histoire répétitive qui, en elle-même, ne représente aucune valeur. La seule chose qui a des chances de rester, c'est l'histoire de ses arts. (p.42).
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Inséparable de la nature humaine, la bêtise est avec l’homme constamment et partout ; dans la pénombre des chambres à coucher comme sur les estrades illuminées de l’Histoire
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Quand Flaubert a raconté le projet de Bouvard et Pécuchet à Tourgueniev, celui-ci lui a vivement recommandé de le traiter très brièvement. Parfait avis d’un vieux maître.
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