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Critique de Slava


Shakespeare est incontestablement le plus célèbre des dramaturges anglais et surtout le seul que le public connait généralement de la période bien particulière du théâtre élisabéthain, une époque foisonnante question théâtre dans l'Angleterre régit par la reine Elisabeth (d'où le nom donné à ce courant) mais qui se poursuivit aussi sous le règne de son successeur Jacques Ier et du fils de ce dernier Charles Ier. Pourtant, le théâtre élisabéthain fut riche, très riche en auteurs et pièces : plus de mille cinq cent pièces furent ainsi jouées sur scènes ! Rendez-vous compte du bouillonnement artistique dont nous disposons hélas que la moitié du répertoire et des quelques quarantaine de noms de dramaturges... Christophe Marlowe, Ben Johnson, Thomas Middleton, George Chapman, John Webster où encore Thomas Dekker pour n'en citer que ceux-là... et parmi eux, le singulier Thomas Kyd qui n'a composé qu'une pièce, la Tragédie Espagnole. Mais un auteur illustre en son temps, dont l'oeuvre en question eut un succès ravageur sur les tréteaux anglaises et même en Europe (notamment en Allemagne et aux Pays-Bas). Enfin ce serait abuser de dire qu'il a écrit une pièce vu que c'est la seule qu'on ait retrouvé hélas et c'est d'autant plus dommage que parmi les compositions perdues, l'une d'elle serait notable à retrouver puisqu'elle aurait directement inspirée Shakespeare pour créer Hamlet sa plus célèbre tragédie. Thomas Kyd est surtout connu pour son amitié avec Christopher Marlowe et pour avoir subi la torture lorsqu'il fut arrêté en raison des accusations d'impiété et d'espionnage lié à Marlowe.
C'est quoi cette Tragédie Espagnole ? Un must dans le théâtre élisabéthain et qui donne naissance à un genre promis à une certaine vogue dans le théâtre, celui de la tragédie de vengeance et que Marlowe comme Shakespeare reprendront allégrément (il n'y a qu'à avoir pour le premier Tamerlan où le Juif de Malte et pour le second, Titus Andronicus et Hamlet !). Un conte noir sur la revanche qui mène jusqu'à la déraison surtout.
L'intrigue se déroule simultanément dans le royaume d'Espagne qui a écrasé la rébellion du Portugal à son encontre. Horatio, un jeune noble fils d'Hieronimo maréchal de la cour hispanique et son ami Lorenzo, revient de la guerre avec comme prisonnier Balthazar, le fils du roi portugais. Bel-Imperia, soeur de Lorenzo, s'éprend d'Horatio. Sauf que Balthazar le captif s'énamoure à son tour de la belle et s'en confie à Lorenzo, qui se révèle en frère possessif ne supportant pas que son meilleur pote courtise sa soeurette. Ni une ni deux, l'ancien ennemi devient allié avec Lorenzo et tous deux trucident sans pitié le pauvre Horatio qui n'avait rien fait de mal. C'est déjà mal comme ça... mais voilà qu'Hieronimo rentrant du boulot découvre dans le jardin le cadavre de son fils. Et l'engrenage se met en place, le vieillard a juré vengeance et va y plonger jusqu'à y sombrer complétement... une vengeance qui va entraîner tout le monde dans le chaos...
Voilà un synopsis effectivement dramatique et ce n'est rien comparé à sa lecture. Dés le prologue, nous avons un spectre revanchard (que je ne vais pas révéler l'identité pour ne pas spoiler) qui nous promet un bain de sang en compagnie de l'esprit de la... revanche. Ben oui, la Vengeance est là et nous suivra jusqu'à la fin. On sent bien l'influence d'un auteur antique qui transparait dans bien des oeuvres de la Renaissance, Seneque, le stoïcien et ses tragédies pleine de fureur et de désespoir. Un début frappant et qui rappelle bien entendu la venue du fantôme paternel d'Hamlet. Après un premier acte quelque peu mollasson, le second acte voit s'accomplir le meurtre dans toute son ignominie. Mais c'est surtout dans l'acte III que la vengeance va se mettre en marche avec Hieroniemo qui dés qu'il voit le macchabée de fiston va perdre la tête et se fixer en objectif de le venger. Et il est effectivement maboul à ce moment, voyant à chaque instant son fils mort et ne pouvant plus rendre la justice et orchestrant son macabre châtiment, le tout vivant dans la souffrance atroce du deuil et de la perte d'un enfant. Et la dite punition sera bien sanglante . Quelle violence à la fin ! Une brutalité qui rappelle également Hamlet comme toujours qui dans les dernières scènes va en crescendo dans l'horreur. On peut aussi retenir d'autres scènes bien sinistres comme l'exposition du corps d'Horatio où .
Concernant la psychologie des personnages, c'est quand même relativement sommaire. Ainsi Lorenzo est le typique méchant machiavélique, Horatio l'amant simplet, Balthazar l'étranger fourbe et même Bel-Imperia qui par quelques moments montre de force et de caractère notamment dans sa volonté de participer à la vengeance et s'opposer aux plans de son vilain frère, notamment à la toute fin, le reste du temps elle est la potiche de service et victime des hommes. Hieronimo se distingue de tout ce casting par sa complexité, celui d'un père meurtri voulant honorer la mémoire de son fils en le vengeant mais aussi celui d'un vieux fou qui au fur et à mesure qu'il projette ses attaques, tombe dans la démesure totale et succombe à l'insanité totale, y perdant de plus en plus la lucidité. La vengeance détruis aussi bien ses victimes que ses exécuteurs
Quant au style de Thomas Kyd, il est beau, il est musical, il est charmant, la plupart des vers sont vifs et bien sentis... mais par moments inégal, notamment dans les passages plats où l'action est inexistante. Les plus réussis sont bien sûr ceux consacrés à la folie de Hieronimo qui sont magistrales, décrivant avec précision et d'une imagerie spectaculaire la lente érosion de sa santé mentale tout comme l'application implacable de ses peines contre les malfaiteurs.
La Tragedie Espagnole est une pièce très admirable il faut le dire et sans elle, on n'aurait peut-être pas eu Hamlet dont on remarque bien les similitudes, entre la présence d'un fantôme qui influe sur l'intrigue, un vengeur qui tombe dans la folie pour mener dans ses fins (bien que contrairement à Hamlet, Hieronimo ne feint pas, il l'est réellement ce fou !) le tout dans une atmosphère de complot dans une cour royale. Mais elle a ses défauts et ne vaut pas du Shakespeare tout de même, toutefois elle est importante pour le théâtre élisabéthain dans le sens où elle instaure le thème de la vengeance qui sera récurrent dans une bonne partie des tragédies anglaises puis européennes du XVIeme siècle et du début du XVIIeme siècle. Amateurs du théâtre européen de la Renaissance, de passionnés de Shakespeare voulant découvrir les sources et inspirations d'Hamlet où tout simplement lambda cherchant une bonne histoire de vengeance, La Tragédie Espagnole est pour vous !
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