Citations sur L'été grec (20)
Partout à l'infini, des oliviers massifs, énormes, ventrus ou creusés de fissures profondes, bosselés, tordus, craquelés, éventrés, évoquant de façon saisissante des gnomes monstrueux, la face ricanante et figée d'esprits des bois englués en ces arbres, comme des héros transformés en plantes et immobilisés à mi-chemin de leur métamorphose.
J'ai lu très peu de récits de voyage en Grèce. J'ai lu la Prière sur l'Acropole de Renan, lu aussi l'Itinéraire de Paris à Jérusalem de Chateaubriand, les deux merveilleuses nouvelles du comte de Gobineau, Le mouchoir rouge qui se passe à Céphalonie et Akrivie Frangopoulo qui se passe à Naxos. Ajoutons quelques pages de Lamartine et le Voyage en Orient de Gérard de Nerval. J'ignore ce que Barrès a pu dire de la Grèce et ne m'en soucie nullement. J'oubliais aussi quelques pages de la correspondance de Flaubert où il parle de ses excursions dans le Péloponèse et de son séjour à Patras. Rien d'autre. Dans ce domaine, je n'ai ni modèle ni référence. Les livres sur la Grèce moderne se sont multipliés ces dernières années mais à part Le colosse de Maroussi d'Henry Miller, les merveilleux ouvrages, inconnus en France, de Patrick Lee Farmor sur la Roumélie et le Magne, et ceux de mon ami Lawrence Durrell sur Rhodes et le Dodécanèse, aucun ne m'a vraiment touché et ne semble être entré dans le cœur des êtres et des choses. Si: quelques très belles et justes pages de Michel Déon dans Le rendez-vous de Patmos. C'est peu pour un helléniste. Mais je n'ai jamais ressenti à propos de la Grèce le besoin de lire à tout prix ce qui fut écrit sur ce pays, du moins sur le pays moderne. Ne me sentant pas la mentalité ni les goûts d'un explorateur j'ai vite fui l'exotisme et le pittoresque pour rechercher ce familier différent qui est la seule approche possible d'un pays. Rien d'ethnologique donc dans ma façon de voir et de vivre. Je dirais même (et je m'en rends compte justement en écrivant ce livre) que je n'ai jamais observé la Grèce ni les Grecs d'une façon systématique ou approfondie.
Tous ceux qui ont traversé la Grèce et le Proche-Orient par ces moyens locaux savent qu'il existe aussi des méridiens pour les moteurs et pour les mécaniques. Je veux dire que la façon d'utiliser, de manoeuvrer, de réparer automobiles, autocars et camions est foncièrement différente à partir d'un certain degré de longitude. Bien sûr, vis, écrous, soupapes sont les mêmes mais on dirait qu'une fois passés entre les mains d'un Grec, d'un Turc, d'un habitant des hauts-plateaux ou des déserts, les moteurs fonctionnent selon d'autres principes, les carrosseries ignorent la limite d'âge, les véhicules deviennent brusquement investis d'une sorte d'immortalité.
Athos est une survivance, une parcelle de Byzance enclose en notre époque. Et le monde des vivants y reproduit avec tant de rigueur celui des morts et des ancêtres que les moines donnent parfois l'impression d'être des icônes animées, des silhouettes d'autrefois égarées dans notre présent. Oui, c'est bien une sorte de miroir invisible qu'on franchit en traversant le golfe de Longos au bout duquel tremblent ce mont et ce monde des ombres. Cette fixité, cette pérennité du temps d'Athos n'est pas une impression romantique ou forcée.
Ce café où la vie s'écoule uniforme au rythme lent des verres d'eau -clepsydres de l'ennui-.
C'est elle, cette prière constante, ce flux orant qui permet à la longue de parvenir à l'hésychia, à la paix intérieure, à la sereine coïncidence de l'homme de chair et de l'homme psychique, de l'homme d'aujourd'hui et de l'homme de demain, cette hésychia qui est sérénité instante et sentiente, plénitude accomplie, ce qu'un solitaire égyptien appelait le silence du cœur et des pensées, silence qui n'est pas indifférence au monde, retrait des turbulences de la vie mais au contraire identification, genèse et possession d'un monde désormais partagé, maîtrisé, excorié de ses phantasmes illusoires.
Décomposez la Grèce et vous verrez qu’il ne restera pour finir, qu’un olivier, une vigne et un bateau". Elytis Odysséas cité par Lacarrière
Les cultures sont à la nature de l'homme ce que le vent est à la mer, une force extérieure qui la meut et l'émeut en surface sans modifier ses profondeurs ni son essence.
Il ne faut pas confondre les livres qu'on lit en voyage et ceux qui font voyager. (Jacques Lacarrière citant André Breton)
Delphes était vide abandonné, livré à tous les fantômes de l’histoire