Elles se relayèrent sans faiblir, enchaînant une histoire après l’autre… Les frasques des concubins, l’impertinence des matelotes*, les soucis des enfants. Celles des jardins, où elles s’esquintaient à faire pousser légumes, petit mil et maïs. Celles du jardin le plus précieux, qu’elles, les femmes, gardaient là, lové entre leurs hanches, et qui n’appartenait qu’à elles. Et des hommes qui y avaient fait une halte pour raviver des sources et allumer des feux. P 51
Vivre et souffrir sont une même chose.
Certains évoquèrent la présence d'une chévre postée au bord du chemin et parlait distinctement en laissant apparaître deux dents en or.
Une lignée naîtra de cet après-midi brûlant. D'un seigneur que le désir obligeait à plier les genoux et d'une paysanne qui s'ouvrait à un homme pour la première fois.
Envie de me noyer dans le sommeil. Juste quelques minutes. Genoux contre le menton. Yeux fermés. Close dans le sommeil comme dans un œuf.
Laisser la nuit glisser sur ma peau. Avec le souvenir du froid de la lune. De l’eau ridée qui étincelle en paillettes. P 40
Je suis Cétoute Olmène Thérèse, la benjamine de Philomène Florival et Dieudonné Dorival.
Olmène parce que Dieudonné, mon père, voulait que sa mère revive en moi....
Thérèse parce que ma mère, Philomène, n'avait jamais oublié l'histoire de la vie de Thérèse d'Avila, folle de Dieu, qu'on lui avait lue au catéchisme. Elle ne me voulait pas folle mais traversée des lueurs vives qu'elle avait éteintes en échouant à Anse Bleue.
Cétoute parce que ma mère Philomène voulait aussi par-dessus tout que je sois la toute dernière. Pour ne plus tenir la promesse des dix ou quinze enfants qui se niche au fond du ventre des femmes d'ici.
Les mots puissants, magiques, firent fondre notre épaisse carapace de doutes. Quand ils nous annoncèrent que des événements étaient en marche et que bientôt la douleur ne disparaîtrait pas seulement, mais ferait place au levain de l'espoir, nous y avons cru. Quelques secondes. Des semaines, voire des mois. Nous y avons cru. Allez savoir pourquoi, mais nous y avons cru. Surtout que, pendant des jours, des semaines et des mois, Fanol et Ezéchiel nous avaient répété, répété, qu'avec le parti des Démunis nous pouvions enfin choisir notre destin. Emportés comme eux sur une route dont nous croyions prévoir les virages et les détours, nous n'avons pourtant avancé qu'à reculons. Le tracé ne nous apparaîtrait qu'après. Une fois les dés jetés. Bien après.
Comme pour nous rappeler qu'entre la naissance et la mort tout passe vite. Très vite. Les plaisirs plus vite que les malheurs mais tout passe. Et qu'il nous faut tout prendre, la jouissance et l'effroi, la souffrance et le plaisir, les joies et les peines. Tout. parce que la vie et la mort se donnent la main. Parce que la mort et la jouissance sont sœurs.
La mort saigna aux portes et le crépitement de la mitraille fit de grands yeux dans les murs.
Devant la case d'Orvil et d'Ermancia, chacun y alla de son histoire pour raconter ces quinze ans en quelques minutes. les naissances, les morts et les départs. La terre vidée de son sang, de sa chair, montrant ses "zo genoux", la mer avare, l'éradication des porcs, la mort des petits métiers, la maladie du café, celle des palmistes et des citronniers, les vêtements venus d'ailleurs, les robes de chambre élimées des femmes du Minnesota qui réchauffaient les vieux os dans les campagnes, les bottes usagées des cow-boys du Texas pour travailler dans les jardins...