Est-il préférable d'être aimé ou d'être craint ?
A l'instar de Machiavel, à cette question Clyde Morton alias « Viper », répond les deux. Une règle qu'il va s'imposer durant toute sa carrière de truand et question qu'il se posera encore ce soir de novembre 61 après avoir commis le troisième meurtre de son existence. Alors que la police lui laisse 3 heures pour fuir, il mettra ces trois heures à réfléchir à 3 voeux qu'il pourrait formuler, trois heures qui seront l'occasion pour lui de revenir sur son parcours depuis son arrivée à New York en 36 à l'âge de 19 ans, jusqu'à ce triste soir.
Ce roman noir c'est la chronique d'une époque plus qu'un roman policier. C'est une plongée dans le Harlem des années 30 au coeur de la communauté afro-américaine à la suite d'un jeune homme qui se rêvait musicien mais qui deviendra un gangster magnifique. Après un premier joint qui lui vaudra son surnom, son business sur 3 décennies ce sera le cannabis : chanvre, foin, kit, ganja, dame verte, marijuana ou Mary Warner, quel que soit le nom qu'on lui donne c'est avec sa loco weed mexicaine qu'il bâtira son empire fournissant notamment tous les artistes de jazz en vogue. Un gangster avec des principes car toujours il refusera de dealer de l'héroïne. Un personnage violent, dur en affaire et sans pitié, mais tellement attachant et finalement sympathique. On le suit dans cette ville qui sort de terre, dans ce Harlem qui peu à peu se transforme, cette enclave noire où les blancs commencent à venir pour écouter cette nouvelle musique. A sa suite, on écume les clubs interlopes, on se délecte des standards du jazz et du be bop, on croise les grands noms de ce courant musical,
Charlie Parker, Dizzie Gillespie ou
Miles Davis, et on découvre que tous sans exception étaient accro à la dope. En suivant Viper, on traverse les évènements qui ont marqué les USA, de la déclaration de guerre aux bombardements d'Hiroshima et Nagasaki et on assiste à la lente transformation de la société américaine qui peu à peu intègre la communauté noire.
J'ai appris en terminant ma lecture que cette histoire était à la base un feuilleton radiophonique, mais on l'imagine aisément transposé à l'écran tant son propos et sa construction sont cinématographiques. Tout y est : les destinées romanesques, la fin inattendue aux accents shakespearien ou les décors tellement inspirants. Quant à la bande son elle coule de source, convoquant à tour de rôle toutes les pointures du jazz.
Enfin, il est à noter que tous les héros de cette histoire sont noirs. Dealers ou musiciens, coiffeurs ou femmes fatales ils ont tous les premiers rôles et les blancs ne sont que des subalternes ou des faire-valoir, inversant les rôles communément endossés dans la littérature du genre. Assez rare pour être souligné.
Une lecture qui vaut le détour pour son contexte et son ambiance.