Au commencement du septième jour

Elle aussi doit attendre le sommeil comme on guette le miracle d'une délivrance, mais la tête où courent dans une roue sans fin les pensées et les mots l'encage dans l'insomnie, il se dit que la folie doit ressembler à ces ruminations ininterrompues, sinon qu'on est debout, dans la lumière du jour.

un bruit strident, aigu, qui ronge jusqu'à la pulpe des dents

Il songe qu'un nouvel ordre mathématique étalonne sa vie, que les mesures sont à reprendre, qu'il a vecu dans une obscurité insouciante qui aurait pu durer jusqu'à ses derniers jours peut-être' si Camille...puis Jean....la clairvoyance qui vient trop tard.

Pourquoi tu nous dis de prier Dieu que maman guérisse? Tu penses qu'elle va pas y arriver toute seule?

Ils jouent tous les trois, se lancent le ballon qui hoquette en rebonds désordonnés sur la plage caillouteuse où les pierres exhalent une blancheur d'ossements secs sous la lumière ardente d'un désert aride. Ils shootent, frappent, lancent le ballon, ils sautent, courent, emportés dans une espèce de frénésie ricanante, de danse éruptive, désarticulée, leurs cris perdus dans la brise d'ouest, Thomas en éprouve le souffle tiède d'une joie furtive qui le soulève, il joue et contemple la course éperdue des enfants que rien ne semble distraire, ils jouent oublieux, abandonnés au paysage qui les dilue et les éparpille.

Nous vivons comme nous rêvons, seuls.


Joseph Conrad

Ils pénètrent dans la nef immense, éclairée par les percées latérales et celle du triforium, le sol est éclaboussé de flaques de couleurs, Elsa avance un pied puis l'autre dans l'immatérialité liquide des bleus, des orangés, des rouges, constate la radiation colorée sur sa peau brune, entame une litanie :
- Le bleu sur mon pied, le jaune sur ma jambe, le rouge sur ma cuisse, l'or dans ma main. T'as vu, papa, je suis en couleurs. ..?

Thomas lui évoque ce trouble qu'il éprouve depuis qu'il la connaît, cette mère blanche et elle métisse. ..Cette impossibilité de se représenter son père, un Noir américain, jamais entrevu, c'est comme s'il manquait une pièce au puzzle, que cette couleur noire dissoute dans l'air s'était mal imprimée sur sa peau, la mère et la fille ensemble, on n'arrive pas à faire le lien, à part les yeux. Myriam lui confirme, lorsqu'ils étaient jeunes, Camille donnait cette impression de surgir de nulle part, une métisse tombée du ciel, avec cette mère à la peau presque livide, on soupçonnait une orpheline adoptée.

Anton exhibe les fleurs droit devant lui comme un bouclier qui le protégerait de ces yeux qui dévorent le visage osseux de sa mère, à l'exception de la joue gauche, des lèvres et de cette moitié du crâne toujours enflées, un bouclier de tulipes qui le protégerait de ce regard et de ce sourire trop appuyés et vides à la fois, qui l'absorbent, le digèrent sans retour, comme s'ils ouvraient sur la béance d'une conscience animale qui le considère sans l'identifier.

Il sort dans le soleil de mai, des infirmières discutent, elles rient, elles allument des cigarettes, il s'éloigne vers le parking, serrant le col de sa veste, toujours courbé vers l'avant comme s'il affrontait la pensée d'un vent contraire qui pourrait le creuser, l'éroder en poussière de sable volatil.