Citations sur Ce qui est monstrueux est normal (19)
Être professeur, c'est essayer au maximum, avec le peu de moyens que l'on a, la médiocrité du quotidien et l'envie, parfois, de baisser les bras, c'est essayer, donc, de rendre ce que l'on a reçu ... Être professeur, c'est se dire qu'on laisse une trace dans de jeunes âmes, et, on l'espère, la meilleure possible.
Parce que l’enfant réclame de la tendresse et qu’à la place on lui donne du sexe. Alors l’enfant prend ce qu’on lui donne, sans percevoir qu’il s’agit là d’un vortex qui corrompra tout le reste.
Donner au lecteur une peinture vivante de la chair, des larmes et du sang, lui transmettre le goût des murs sales et des assiettes vides, lui faire sentir les coups de pied, les martinets dont les lames ont été renforcées.
Que le lecteur souffre de sa lecture autant que l’auteur souffre de son écriture, pour peu que l’on perçoive que la souffrance transmise par les mots n’est pas un mal, au contraire.
C'est une ville qui ressemble à toutes les autres, en France. Avec ses habitants qui marchent en titubant sur les trottoirs ; ses fumeurs qui crachent leurs tripes ; ses hommes qui partent au travail tôt le matin, sans que les passants se doutent de ce qu'ils ont fait de leurs mains la nuit passée, de ce qu'ils ont fait de leur sexe cette même nuit ; ses femmes qui courbent la tête et qui végètent dans leur robe de chambre une partie de la matinée, le bol de café rempli à ras bord et le cendrier qui déborde de mégots de cigarettes, ces femmes qui ont bien entendu quelques bruits en provenance de la chambre pendant qu'elles étaient encore sur le canapé, à se persuader que cela provenait de la télé ; ses enfants qui partent à l'école en évacuant déjà les brumes de la nuit passée, puisque les adultes ne truvent rien à y redire, puisque le quotidien se construit de ces jours d'école et de ces nuits dont il ne faut rien dire.
Être écrivain, au final , est une affaire autrement plus intéressante. c'est liquider d'un trait ce qu'il y a de plus laid en nous et l’offrir au monde, pur et authentique, offrir ce qu'on possède de plus beau et de plus fragile, intact et fissuré.
Chaque livre qu'on lit, chaque film qu'on regarde, chaque chanson qu'on écoute est un point vers le passé. Celui vers lequel on se retourne volontiers, ou celui qu'on ne veut pas voir.
En littérature, tout se lit, tout se vit, tout se dessine. La laideur d'une famille qui traverse les lieux sales d'un pays qui ne veut pas les voir, c'est aussi ce que nous pouvons en faire, c'est aussi ce qu'elle sait en faire, depuis qu'elle a neuf ans, en les écrivant: la littérature.
Plus tard, elle explorera les forces et les failles de ce silence dans un roman. Ce qui ne se dit pas s'exprime autrement; au moyen d'un
stylo ou d'un clavier d'ordinateur, du chant, de la danse, de la peinture, du théâtre, du cinéma. Mais il n'y rien de plus ridicule, de plus inefficace ou dépassé, que le fait de s'installer en face de quelqu'un pour lui demander de parler ouvertement de ses plaies.
L'enfant aimerait se dire que sa mère a peur. Mais elle a déjà compris, même si les mots forment un magma un peu collant dans ses pensées brouillonnes, que l'instinct maternel est une légende. La peur des parents pour les enfants n'est pas innée, elle n'est pas transmise dans le code génétique. Il y a le conditionnement, les enfants à la chaîne, la pauvreté, le laisser-aller quand les jours ressemblent à tous les jours. La lassitude.