Les graves paysans de la belle vallée
Vinrent tous, recueillis, se ranger dans l'allée,
Et lorsque le cercueil sortit, leurs grands chapeaux
Flottèrent comme un vol brusque et noir de corbeaux.
Dans la maison, on entendait pleurer Suzanne...
Une feuille tomba, sèche, du vieux platane.
Jacques et le meunier parurent, le front nu.
A travers les chemins dont chaque arbre est connu,
Longeant les prés fauchés, les champs des patrimoines,
Entre les pailles d'or, les dernières avoines,
L'enterrement gagna le coteau plein de croix,
Et gravit lentement les sentiers plus étroits.
Quand Jacques se leva du clavecin grondant,
Il vit sa mère assise à l'ombre et l'attendant
Devant les plats à fleurs, la nappe et la carafe,
Sous la treille qui, verte, au flanc du mur s'agrafe.
Il posa son chapeau sur le banc près de lui.
O tièdes oeufs, muscats, verre de vin qui luit,
Miel en rayons, raisins qui parfumez la bouche,
O petits serviteurs, l'homme souvent vous touche
Et vous prend sans plaisir, en se hâtant, sans voir
Combien vous êtes bons et beaux, matin et soir!
Mais lorsque notre coeur renaît à l'espérance,
Après de tristes jours, dans un enclos de France,
Sous la vigne, il est doux encor d'être attablé,
Abrité du soleil qui mûrit notre blé.
La prime aube d clé met sa barre sanglante
Sur les monts chevelus, sur la ligne tremblante
Des bois vagues et noirs à l'Orient vermeil,
El le ciel aux pressoirs empourprés est pareil.
Le calme souvenir d'une nuit argentée
Demeure sur la pente obscure et veloutée
Des coteaux, et l'on sent comme un tremblement bleu
D'ombre surprise au creux des venelles, el Dieu
A l'air d'être attendu par les blés immobiles.
Des fruits pendent au long des branchages tranquilles:
Les pèches, les raisins, les abricots dorés
Semblent des globes blonds, vaguement éclairés
Homme de lettres, Léo Larguier (1878-1950) fut aussi l'ami des artistes. Proche de Paul Cézanne et biographe de plusieurs peintres paysagistes (Georges Michel, Camille Corot), il développa un goût pour l'art et la collection qui l'entraîna à fréquenter salles de ventes, antiquaires et autres brocantes.
Dans cet intrigant manuscrit, entré en 2021 dans les collections de la bibliothèque de l'Institut national d'histoire de l'art, Léo Larguier nous invite à le suivre dans sa traque, dans sa chasse, à l'objet rare et curieux. Au hasard du texte, il nous livre le fruit de ses trouvailles chinées chez les brocanteurs (dessins, aquarelles, peintures à l'huile), adroitement insérées entre les pages écrites et les illustrations originales du graveur Chas Laborde réalisées pour l'édition de 1922.
Par Isabelle Vazelle, INHA, chargée des autographes, manuscrits, dessins au service du patrimoine du Département de la bibliothèque et de la documentation, et Evanghelia Stead, universités UVSQ Paris-Saclay, professeur de littérature comparée et culture de l'imprimé
Cycle organisé par la BnF, l'INHA et l'École nationale des chartes.
En savoir plus : https://www.bnf.fr/fr/agenda/leo-larguier-lapres-midi-chez-lantiquaire-ou-le-manuel-de-lamateur-pauvre
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