Ils portaient dans leur sang le courage et la mort. L'organique oxymore gravant dans les chairs un destin funeste alors même qu'ils luttaient pour la vie ; qui les condamnaient pour avoir combattu pour la démocratie, la liberté, l'art. En eux coulait le sang brûlant d'un amour impossible, bouillonnant de la douloureuse quête d'un idéal qui se dérobe. D'eux coulera un sang, gouttelettes en pointillés les reliant à leur sort tragique ; suintant, exsudant, ruisselant ; abandonnant leurs corps que le courage abandonne, que la mort rattrape. Ils sont
les Sacrifiés, déchirés par les crocs d'une réalité violente, broyés par les morsures des humiliations et des affronts. Par une mise à mort dans l'arène, ils sont tués par des couteaux. Dans une mise en scène, ils seront ressuscités par les mots. Par le pouvoir suprême de la dramaturgie quand elle est marquée du sceau de la tragédie dans ce qu'elle a de plus classique ; une oeuvre dramatique figurant d'illustres personnes réelles transcendant par leurs personnages de fiction leurs tourments, leurs conflits intérieurs et leurs destins malheureux.
Ils sont
Ignacio Sanchez Mejias, La Argentinita, Federico Garcia Loca. Ils sont torero, danseuse, poète. Ils sont l'essence de la « drama », d'une action par l'expression, quand les drames les menaçaient. Qui par les mots renaissent à nous, quand les vers, la poésie, les chants les portaient, les élevaient. Les soustrayaient à la gravité d'un monde lourd des menaces d'une guerre, du spectre de la dictature, des présages d'exil. La possibilité d'une mort unie à la beauté des arts, oxymore psychique marquant les âmes de son pouvoir mystérieux : le « duende ». Ces moments de grâce nés de la souffrance, cet envoûtement issu du danger, cet enchantement causé par le drame. Un état hors du monde, hors du temps ; suspendu. Entre un passé sacrifié et un avenir qui va les sacrifier.
Il est Juan Ortega. Il est cuisinier, qui quitta sa famille menacée par la famille pour entrer au service d'Ignacio. Qui par les mots nait à nous, personnage de fiction au service d'un réel qu'il nous donne à comprendre à mesure qu'il le découvre. Qui par son histoire nous relie à l'Histoire. Héros malheureux d'un roman d'apprentissage, protagoniste déçu d'une histoire d'amour tourmentée, interprète fiévreux du roman de l'initiation aux drames. Qui trouvera dans une destinée exceptionnelle construite par les épreuves, son propre « duende ».
En ce sens, «
Les Sacrifiés » est une tragédie au sens propre du terme, portée par des personnages, réels ou fictifs, riches et complexes, qui font d'une figure de style, l'oxymore, l'objet d'une quête éternelle pour la paix universelle. Par son texte richement documenté, détaillé et foisonnant,
Sylvie le Bihan s'impose comme l'héritière du « duende », quand les lettres permettent de comprendre et sublimer les drames d'une époque ; l'interprète de ce concept complexe quand la légèreté de sa plume, imagée, poétique et lyrique permet d'appréhender la gravité de la situation politique espagnole du début du vingtième siècle.
« On raconte rarement les individus » nous dit Juan. Sylvie le Bihan le fait pourtant avec brio.
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