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EAN : 9782709664134
250 pages
J.-C. Lattès (06/03/2019)
3.66/5   47 notes
Résumé :
Giulia n’a hérité de sa mère que son prénom, italien comme elle, et son amour pour Malaparte. Elle a grandi seule avec son père et avec les livres du grand écrivain. Elle est devenue mère, elle est devenue professeure d’université, spécialiste de Malaparte. Ses enfants ont grandi, ils ont encore besoin d’elle, mais c’est elle qui a besoin de vivre sans eux maintenant : elle ne fuit pas comme sa mère a fui dès sa naissance, elle fuit pour comprendre ce qu’elle a hé... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (28) Voir plus Ajouter une critique
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En imaginant une femme s'installant dans la villa de Malaparte à Capri pour y écrire un livre sur l'auteur de la Peau, Sylvie le Bihan fait coup double, nous offrant de (re)découvrir une oeuvre et une réflexion sur le statut de la femme.

«Naples, Capri, Malaparte, une histoire de famille. Celle d'une gamine élevée par un homme seul à la tristesse calcifiée après le départ de sa femme, ma mère, disparue un matin d'été et dont le fantôme me frôle encore les nuits d'insomnie. Année après année, j'ai écrit ma propre histoire en enfilant maladroitement les quelques phrases qui s'échappaient de la bouche de mon père, un homme trop discret. Des petites perles, secrets volés d'une enfance sans mère dont je n'avais retrouvé que deux photos jaunies, glissées entre les pages du seul livre qu'elle avait laissé derrière elle, La Peau de Curzio Malaparte, un trésor que je chérissais et que je détestais à la fois.» Aujourd'hui Giulia panse ses plaies. Elle peut se retourner sur son enfance et adolescence «construite auprès d'un fantôme», ce père qui ne s'est jamais vraiment remis du départ de son épouse. Elle peut revenir sur son mariage avec l'homme qui aurait dû la convaincre «qu'on pouvait rester», mais qui avait fini par fuir lui aussi. Elle peut comprendre qu'après le divorce, elle a ressenti cette obligation d'assurer un avenir à sa progéniture. Mais maintenant que les enfants sont grands, elle n'aspire qu'à une chose, un peu de liberté.
Aussi, malgré l'avertissement de son père qui estime que Alex, Thomas et Antoine ont encore besoin d'elle, elle part pour Capri où elle a la chance de découvrir un endroit exceptionnel, la villa Malaparte, l'endroit où a vécu cet écrivain qui l'a accompagné depuis le départ de sa mère et dont elle entend approfondir la vie et l'oeuvre.
Si Gianluca et Nina, le couple de gardiens des lieux, lui réservent un accueil plutôt froid – elle dérange leur quiétude – le charme des lieux opère. Mais il lui faut apprendre à apprivoiser ce grand vaisseau pointé vers l'océan: «Depuis mon arrivée sur l'île je n'avais pas écrit une ligne, je me perdais dans un dédale de recherches en découvrant chaque jour un trésor sur les rayonnages de la bibliothèque de la maison. Un nouvel ouvrage, une photo ou une lettre inédite qui me fascinaient au point que les multiples flèches et ratures sur mes notes transformaient le plan de mon livre en une treille couverte de ramifications désordonnées, semblables au parcours de la vigne sur les murs du village.»
Comme souvent, une rencontre va permettre le déclic. Massimo Luglio, qui a organisé son séjour, lui a transmis les coordonnées de Maria, «une femme proche des propriétaires, en charge des écrits non publiés de Malaparte et de la conservation de la maison.» Avec elle, elle va non seulement parler littérature, mais aussi faire le bilan d'une vie, réfléchir à son rôle. Sans fards, sans tabou.
«Il y a dans la vie un temps pour agir, par instinct, par volonté, par hasard ou par devoir, un temps déterminé pour chaque palier, ensuite arrive celui de réfléchir, de revenir sur ce qu'on a fait, d'analyser froidement ce qu'on a réussi ou raté et, si c'était à refaire et malgré l'amour que je porte à mes enfants, je pense honnêtement que je ferais tout différemment, sans eux.»
Sylvie le Bihan réussit avec beaucoup de finesse à lier les deux quêtes. Quand elle parle de Malaparte, n'est-ce pas aussi de Giulia? Quand, par exemple, elle affirme que c'est «l'insolente sincérité» de l'écrivain qui dérange, ne parle-t-elle pas de cette femme bien décidée à regarder la vérité en face? de même lorsque Maria lui explique qu'il s'efforçait continuellement d'être et non de paraître, on comprend que Giulia aspire aussi à ce droit.
Ce séjour italien, on l'a compris, est bien davantage qu'une parenthèse dans sa vie. Sans en dévoiler l'épilogue, on peut affirmer qu'une femme bien différente repartira de cet endroit qu'elle nous donne envie d'aller découvrir séance tenante.

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Giulia, la narratrice, arrive à un moment de sa vie qu'elle attend avec impatience. Divorcée, elle a élevé seule ses trois enfants et lorsqu'elle pense enfin pouvoir penser à elle, les deux plus jeunes, Thomas et Antoine décident de prendre une année « sabbatique » après le bac pour réfléchir à leur orientation de vie.

C'est la goutte qui fait déborder le vase déjà trop plein. Elle décide de partir pour Capri, seule, dans la ville qui abrite la maison de Curzio Malaparte, et se lance dans des recherches à la fois sur cet auteur qui la lie à sa mère mais aussi sur elle-même, son rôle de mère et sur sa vie.

Dès que j'ai su quel était le thème du roman de Sylvie le Bihan, le rôle de mère, l'amour maternel, j'ai été intéressée car ce sont des sujets qui me posent question, très peu traités et j'ai donc rencontré l'auteure lors du Printemps du livre à Montaigu début Avril.

(…)et ma liberté était mon plus cher trésor. Je l'ai déposée, en offrande, au pied du berceau de mes enfants, j'ai donné ma solitude, ma vie, pour me fondre dans cette idée que la maternité était le plus grand bonheur pour le plus grand nombre de femmes. (p111) (…) Mais, j'ai eu des enfants et je le regrette. (p114).

Définition d'Amour propre : Sentiment vif qu'un être a de sa dignité et de sa valeur personnelle.

Tout est là, dans ce titre. Toute mère s'est posée un jour ou l'autre, pour des raisons diverses, la question : qui aurai-je été si je n'avais pas eu d'enfants, que suis-je devenue depuis leur naissance, qu'ai-je fait de mes rêves, est-ce cela être mère ? le plus souvent ce questionnement se fait entre elle et sa conscience car il n'est pas bon de douter, de s'interroger, même s'il n'est pas question de remettre en cause l'amour que l'on porte à ses enfants.

Même si ça ne se fait pas, une maman ne dit pas qu'elle voudrait un peu de temps pour elle, ne serait-ce que pour se reposer. Si une mère a le malheur de s'épancher, elle passe pour un monstre d'égoïsme, surtout quand elle est la sorcière responsable de l'éclatement d'une famille. (p65)

Une partie du roman de Sylvie le Bihan tient dans cette définition : quel regard porte-t-on sur le rôle de mère, celui-ci est-il choisi, imposé, a-t-on eu le choix, une femme peut-elle être ou non épanouie dans cette fonction.C'est une introspection du sentiment maternel, voulu, accepté ou normalisé et c'est un sujet bien difficile à évoquer, disséquer car il peut être mal interprété et comme me l'a dit Sylvie le Bihan : C'est un sujet « casse-gueule »….

Entre le regard porté par la société sur la mère et celui, plus intime, porté par la mère elle-même, il peut y avoir des variantes, plus ou moins grandes mais le problème c'est que ces variantes sont le plus souvent tues car les avouer amènerait un jugement de « mère indigne » alors qu'il n'est pas du tout question de cela.

Giulia, que sa mère a abandonnée alors qu'elle n'avait que 8 mois, laissant à son père le soin de l'élever, n'a pas de référence, d'image maternelle. Elle s'est elle-même retrouvée mère, un peu par hasard et non par accident, simplement parce que c'était dans l'ordre des choses : mariage, enfants etc…. Mais naît-on mère, le devient-on, est-il normal d'envisager sa vie sans enfants, une vie qui peut sembler égoïste pour d'autres alors qu'il ne s'agit que d'être soi-même ?

Sylvie le Bihan a le courage, à travers ce roman, d'évoquer ces questions, sujet qui peut heurter, diviser, tellement dans l'esprit de tous, une femme est une mère potentielle. C'est un sujet qui m'intéresse car on tente parfois d'imaginer ce qu'aurait été sa vie si nous avions fait le choix de ne pas avoir d'enfants. S'effacer totalement dans le rôle de mère, ne plus que penser à ses enfants, surtout quand on les élève seule, espérer un jour pouvoir faire et être celle que l'on est vraiment, imaginée, rêvée entre couches, biberons, études.

La maternité apparaît souvent comme une normalité, un devoir, une suite logique de la vie d'une femme.

Je n'aime pas qu'on m'impose un sentiment, qu'il aille de soi, croire aveuglément qu'il vas se passer quelque chose de bien après, attendre avec angoisse la récompense, et s'il ne devait rien se passer ?Et si notre jugement instinctif était fondé ? L'obligation d'aimer les membres de sa famille m'est insupportable, cet amour érigé comme une évidence, cette croyance aveugle choque mon côté agnostique. (…) Aimer est un sentiment profondément égoïste, car ce n'est que lorsqu'on se retrouve dans l'autre, en terrain connu, en osmose avec nos valeurs, que l'on peut aimer et cela nécessite une forte dose d'intégrité, même avec ses enfants. (p57)

Dans son récit l'auteure mêle à ce questionnement une enquête sur les pas de Curzio Malaparte, auteur que je connais uniquement de nom, en se rendant à Capri où l'écrivain possédait sa maison rendue célèbre par le tournage du Mépris de Jean-Luc Godard.

Giulia se sent en osmose avec cet écrivain, dans les lieux fréquentés par lui, dans sa maison . Elle rencontre Maria, la gardienne du « temple » Malaparte, une femme qui l'intrigue, l'attire, mystérieuse, à la fois distante et attentionnée.

Curzio était un personnage énigmatique, un homme insaisissable et un solitaire résigné. Il disait lui-même que ce qui lui attirait les foudres de ses contemporains était qu'il s'efforçait continuellement d'être, et non pas de paraître un Italien comme les autres et qu'il n'y arrivait pas.

Cette phrase me fit penser à mon combat dans mon rôle de mère, une solitude et un silence imposés… (p154)

Même si j'ai été un peu gênée par les parties sur Malaparte parfois un peu trop présentes, le voyage dans cette île baignée de soleil, les rencontres que Giulia y fera, son regard sur sa vie et ses questionnements m'ont plu. Cet intermède solitaire, cette retraite volontaire loin des siens va lui permette de faire le point sur sa vie et sur le sens qu'elle va désormais lui donner.

Je pense que l'auteure a une passion pour cet écrivain car on ressent sa fougue dès qu'elle l'évoque mais peut-être faut-il mieux connaître Curzio Malaparte, pour l'apprécier. Pour ma part je me suis un peu perdue par moment entre les deux quêtes de l'héroïne.

On se retrouve dans l'écriture de Sylvie le Bihan, elle décrit parfaitement les sentiments pensés (mais non dits car « sujet tabou »), les petits événements entre mère et enfants mais aussi la relation qui unit Giulia à son père, un père nourricier, taiseux, pétrifié dans l'amour qu'il portait à sa femme mais présent et observateur.

La fin, idéaliste, est à mon goût un peu « tirée » par les cheveux et n'était, pour moi, finalement pas nécessaire. Toute la partie sur le questionnement maternel est très fouillé et réaliste, parfois emprunt d'humour et a trouvé écho en moi.

J'ai pensé à Hurler sans bruit de Valérie van Oost lu précédemment ainsi qu'à Sorcières de Mona Chollet. Finalement même au 21ème siècle les femmes ne peuvent toujours pas évoquer certains sentiments sans être jugées alors qu'il s'agit uniquement non pas de remettre en cause la mère mais la femme qui disparaît souvent derrière cette fonction.

Regretter ce n'est pas rejeter, c'est simplement penser au « si », c'est envisager tous ces possibles qui s'envolent avec les premiers cris du nourrisson, et ce ne sont ni Alex, ni Thomas ou Antoine que je regrette, mais toutes ces années que j'ai dédiés à un dessein qui m'était étranger, à cet oubli de soi. (p115)
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Giulia, divorcée, a élevé seule ses trois enfants.
Sa mère étant partie lorsqu'elle avait huit mois, elle a été élevée par son père.
Ses enfants, elle ne les a pas désirés, mais elle les aime et a fait tout ce qu'elle a pu pour eux.
Maintenant qu'ils sont grands, elle va enfin pouvoir vivre sa vraie vie.
Écrivant un livre sur Malaparte, elle se rend à Capri dans la villa de l'auteur,
Un séjour qui lui permettra d'entrer dans l'intimité de l'écrivain, mais surtout de faire le point sur elle-même, sur son rôle de mère.
Voilà les deux grands sujets de ce livre :
La maternité dans notre société.
La vie et l'oeuvre de Malaparte.
L'écriture est plutôt agréable, bien que parfois alambiquée.
J'ai aimé cette histoire, Capri, mieux connaître Malaparte, certains personnages.
Pourtant, il m'a manqué quelque chose.
Une émotion peut-être.
Émotion que je n'ai pas ressenti pour Giulia, même si j'ai compris et apprécié sa personnalité
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Voilà un livre sur lequel je ne me serais pas forcément retournée en librairie et pourtant, il m'a facilement transportée à Capri et fait voyager en Italie. On pourrait le considérer comme court vu son nombre de pages et pourtant, je l'ai trouvé complet, sans qu'il n'ait fallu que l'auteure n'en rajoute inutilement.

Giulia est professeur de littérature italienne à la Sorbonne et voue une admiration sans borne pour l'auteur italien, Malaparte, seul héritage, en plus de son prénom italien comme elle. Divorcée, elle a trois enfants et pourtant, ne trouve pas sa place dans sa famille. A l'occasion d'un séjour à Capri, sur les pas de l'écrivain Malaparte, elle fait un voyage intérieur par lequel elle va s'interroger sur certaines grandes étapes de sa vie de femme.

Je tiens à saluer le fait que l'auteure a le courage de prendre cette voie à propos de à la maternité. Ce n'est pas là un chemin facile de choisir de modeler son héroïne, que certains nommeraient facilement « mère indigne », et qui, malgré une certaine actualité, reste finalement assez tabou. J'avoue que par certains égards, j'ai trouvé parfois Giulia agaçante dans sa façon d'aborder sa maternité. Elle regrette d'avoir mis au monde ses trois enfants et se demande si, finalement, elle n'a pas « rater » sa vie de femme. Alors que certains pans de sa vie m'ont fait me raccrocher à la mienne, une certaine dose de son égoïsme a pu m'irriter. Je pense que c'est le genre d'héroïne à laquelle on s'attache beaucoup ou pas du tout.

Sylvie le Bihan m'a fait aussi découvrir cet écrivain italien qu'était Curzio Malaparte et que je ne connaissais pas du tout, en alliant à la fois des éléments de son histoire personnelle et des extraits de ses oeuvres.

Un point précis que j'ai particulièrement aimé est ce final, tout en douceur en fin de compte et pour lequel, je ne m'attendais vraiment pas.

Lu dans le cadre du Grand Prix des Lecteurs 2019 de l'Actu Littéraire.
Lien : https://www.musemaniasbooks...
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Amour propre Sylvie le Bihan J.C. Lattès mars 2019 #AmourPropre #NetGalleyFrance
Giulia estime avoir rempli sa mission. Depuis plus de vingt ans tel un bon petit soldat elle s'est occupée de ses 3 enfants, seule puisque le père s'en est allé. Mission terminée estime t'elle. Enfin elle va pouvoir vivre comme elle le souhaite, enfin pouvoir se consacrer à ses travaux d'écriture et lorsque l'occasion se présente de partir à Capri et de s'installer dans la Villa Malaparte elle voit tous ses rêves se réaliser. Malaparte et elle c'est une longue histoire ou plutôt entre sa mère et elle, une mère qui l'a abandonnée alors qu'elle n'avait que 8 mois ne lui laissant comme seul héritage qu'un livre de Malaparte..
Sylvie le Bihan nous dresse le portrait d'une femme qui "s'est sacrifiée". Certes elle aime ses enfants mais ils lui ont gâchés sa vie. Que de choses elle aurait pu faire si, si et encore si....Pour Giulia ce séjour doit lui apporter une sérénité disparue, les réponses à toutes les questions qu'elle n'a jamais osé formuler . Son séjour consacré à cette figure mythique de la littérature italienne va t'il lui être salutaire, les personnes dont elle croise le chemin sauront elles l'aider à y voir plus clair?
Que dire de ce roman, Je ne sais pas vraiment. Tout d'abord c'est un écrit dans l'air du temps qui a le mérite d'aborder un sujet tabou , une femme a t'elle le droit de ne pas avoir envie de devenir mère sans être vouée à l'opprobre collective? le propos de Sylvie le Bihan est louable mais à force de vouloir bien faire elle en fait trop, noyant dans des périphrases à rallonge la pertinence de son sujet. Par contre dès qu'elle nous parle de Curzio Malaparte son écriture devient fluide , louangeuse et vivante, un pur plaisir.Je vous laisse le soin de découvrir par vous-même ce roman et je remercie vivement les éditions J.C Lattès pour leur confiance.
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critiques presse (1)
Lexpress
25 mars 2019
Avec Amour propre, Sylvie Le Bihan traite sans tabou de l'abandon maternel et de la douloureuse reconstruction.
Lire la critique sur le site : Lexpress
Citations et extraits (26) Voir plus Ajouter une citation
Avant d’ouvrir le portail de fer qui résiste fièrement depuis tant d’années à la puissance des vents et de la pluie, je me retournai vers la mer l’esprit un peu plus léger, pour savourer ma chance d’être là et pris une longue inspiration.
Face à moi, la pointe du Capo Massulo sur laquelle la silhouette d’un rectangle rouge orangé se détachait du bleu transparent de la mer Tyrrhénienne. Un vaisseau sans ornement, construit proue au vent, pierre insolente amarrée sur un pic rocheux, et c’est cette demeure minérale, chef-d’œuvre du rationalisme italien, qui symbolisait le mieux mon rêve enfin accompli, car j’étais là pour elle et pour lui.
En fermant les yeux et en tendant l’oreille, je crus entendre, portés par les embruns, les cris d’effroi, suivis de ceux de joie d’un après-midi d’été de 1951, alors que devant ses invités affolés, Curzio faisait des tours de bicyclette sur la terrasse, un toit plat, sans balustrade, qui surplombe la mer. « Nul lieu en Italie n’offre une telle ampleur d’horizon, une telle profondeur de sentiment. C’est un lieu propre seulement aux êtres forts, aux libres esprits », c’est ainsi que Curzio parlait de La casa come me.
J’avais devant moi la vision d’un rêve, l’expression d’une joie exigeante, une floraison spontanée, le point orange d’une figue de barbarie entre les pointes d’un cactus, une maison poussée sur la pierre qui donnait du sens non seulement à ce rocher mais aussi à tout ce qui l’entourait et je me dis que sans cette maison, le paysage aurait forcément été moins beau car on sentait là la force et la pensée, comme la douce violence d’une évidence. Une maison-manifeste allongée sur la mer, un fol autoportrait architectural d’un misanthrope curieux, la mémoire ancrée dans la roche d’un homme obsédé par ce seul projet. Il l’avait laissée en cadeau à ceux qui lui survivraient, comme l’unique témoignage concret de sa sensibilité, une trace qui s’efface en fendant l’horizon, une ligne de petits pointillés, souvenirs fugaces de sa nostalgie, qui brûlent chaque soir au soleil couchant.
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Le sommeil est ce qu’il y a de plus intime, c’est le seul moment où le visage prend sa forme la plus vraie, c’est dans cet abandon, dans ce relâchement, qu’on prend le plus de risques de se dévoiler.
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INCIPIT
10 novembre 2017, Capri.
Avant de quitter la maison pour me rendre au village, je fis quelques pas vers Gianluca qui m’observait, immobile, les yeux mi-clos et le dos légèrement appuyé sur le chambranle de la porte d’entrée. Sans un mot, il sortit de sa poche une lanière de cuir torsadé à laquelle étaient accrochées trois clés, le trousseau des invités. Je m’en emparai et fis un signe de la main à Nina afin d’attirer son attention et de lui demander si elle voulait que je rapporte quelque chose pour le dîner. Assise au soleil sur le banc en pierre de la terrasse du rez-de-chaussée, elle fumait une de ses cigarettes jaunes roulées à la main et me fit non de la tête, le regard fixé sur les rochers de Faraglioni. Le chat de la maison s’arrêta devant moi pour me dévisager, puis disparut dans l’ombre des bosquets.
Seuls six jours étaient passés depuis mon arrivée sur l’île et nous nous étions déjà tous habitués au mutisme hostile qui régissait nos rapports.
Après avoir lancé un «au revoir», resté sans réponse, je gravis les marches de brique rouge qui séparent la maison du chemin privé. À peine dépassé le premier portail et comme à chacune de mes sorties, je m’arrêtai devant la tombe de Febo, simple pierre blanche posée sur un rocher et, la tête baissée, je me mis à aboyer tout bas afin que ni Nina ni Gianluca ne m’entende.
Outre mon inimitié pour ce couple employé à l’entretien et à la garde des lieux, j’avais aussi l’intime conviction que ni Nina ni Gianluca ne saisissaient l’importance de leur mission. Ils mettaient de l’ardeur à la tâche, mais la douceur méritée était absente. J’aurais voulu leur raconter l’histoire de cette maison et celle de l’homme qui l’avait imaginée, bâtie et aimée. Sur la terrasse, alors que la fumée de nos cigarettes se mêlait dans la brise d’automne, je tentais vainement d’aborder le sujet, leur indifférence me peinait. Mes deux compagnons me semblaient si loin de mon histoire et de celle de ce lieu unique que je me taisais avant d’écraser mon mégot et de rentrer.
Plus les jours passaient, plus j’étais convaincue qu’il était essentiel d’aimer cette maison d’un amour sincère avant d’en franchir le seuil, qu’il fallait avoir l’âme et le cœur propres pour recevoir ce qu’elle était prête à donner.
En l’absence des propriétaires, Febo et moi étions donc les seuls à même de protéger le souvenir de Curzio, son maître bien-aimé. Aux aguets, posés tels deux Shïsa, ces couples de statuettes, demi-lion, demi-chien, sentinelles des temples d’Okinawa, nous nous tenions, lui la gueule ouverte dans la mort pour chasser les mauvais esprits et moi, vivante, la bouche fermée pour retenir le peu de bonnes âmes qu’il restait.
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(…)et ma liberté était mon plus cher trésor. Je l’ai déposée, en offrande, au pied du berceau de mes enfants, j’ai donné ma solitude, ma vie, pour me fondre dans cette idée que la maternité était le plus grand bonheur pour le plus grand nombre de femmes. (p111) (…) Mais, j’ai eu des enfants et je le regrette. (p114).
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Je n’aime pas qu’on m’impose un sentiment, qu’il aille de soi, croire aveuglément qu’il vas se passer quelque chose de bien après, attendre avec angoisse la récompense, et s’il ne devait rien se passer ? Et si notre jugement instinctif était fondé ? L’obligation d’aimer les membres de sa famille m’est insupportable, cet amour érigé comme une évidence, cette croyance aveugle choque mon côté agnostique. (…) Aimer est un sentiment profondément égoïste, car ce n’est que lorsqu’on se retrouve dans l’autre, en terrain connu, en osmose avec nos valeurs, que l’on peut aimer et cela nécessite une forte dose d’intégrité, même avec ses enfants. (p57)
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Vidéo de Sylvie Le Bihan
17 nov. 2022 Rencontre en ligne Un endroit où aller du 14/11/2022 avec Sylvie Le Bihan pour son roman "Les sacrifiés", paru aux Éditions Denoël.
Elle est interviewée par Françoise Gaucher de la Librairie "Le Coin Des Livres" à Davézieux. Accueil par notre chevalier libraire d'Un endroit où aller, Nathalie Couderc.
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