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3,62

sur 388 notes
John le Carré, 88 ans, fait preuve d'une endurance imaginative absolument remarquable avec ce roman dopé à l'esprit du temps, pimenté de références ultra-contemporaines de l'ère post-Brexit.

Nat, quinqua vétéran des services secrets britanniques, se voit proposer une alternative à sa possible fin de carrière : prendre la direction du Refuge, une sous-station du département Russie, à la fois moribonde et bizarre avec ses espions rebuts qui semblent inutiles. Peut-être une dernière chance pour Nat de laisser sa marque sur le MI6 auquel il a consacré une grande partie de sa vie. Sauf que sa rencontre avec Ed, un grand gus dégingandé et déstabilisant avec lequel il joue au badminton tous les lundis, va l'entraîner dans un enchaînement de péripéties surprenantes jusqu'à un complot géopolitique d'ampleur.

Le scénario est excellent, construit en poupées russes qui recèlent toutes des surprises, avec un virage dans le dernier tiers vraiment ingénieux et très inattendu. C'est d'une fluidité parfaite, sur les pas de Nat, sa narration à la première personne créant une proximité et un attachement immédiats avec le lecteur. Tous les personnages sont formidablement campés et leurs interactions, heureuses ou pas, priment presque sur l'action à proprement parler.

Bien sûr, les services secrets britanniques sont toujours chez John le Carré en pleine déchéance, rongé par de petites rivalités entre collègues et services, sur-promouvant les médiocres ou les corruptibles, gaspillant les talents. Bien sûr, les thématiques obsessionnelles de l'auteur sont bien présentes : manigances et secrets d'Etat, trahison et loyauté, idéaux politiques soumis à rudes épreuves face aux fragilités humaines.

Mais ce qui ressort de ce roman, c'est sa truculence et sa mélancolie.
Sa truculence, car John le Carré régale le lecteur d'une plume pleine de verve, très ironique pour dire la crise de foi politique de notre époque, entre désespoir et incrédulité face au Brexit. Cette verve explose dans les dialogues, tous formidables, crépitants d'énergie et de drôlerie. Par exemple cette diatribe sur Trump qui sort de la bouche d'Ed, le personnage exutoire :

« Trump, c'est le balayeur de chiottes de Poutine. Il fait tout ce que le petit Vlad ne peut pas faire lui-même : il pisse sur l'unité européenne, il pisse sur les droits de l'homme, il pisse sur l'OTAN. Il nous assure que la Crimée et l'Ukraine appartiennent au Saint-Empire russe, que le Moyen-Orient appartient aux Juifs et aux Saoudiens, et merde à l'ordre mondial ! Et vous, les Britiches, vous faites quoi ? Vous lui taillez une pipe et vous l'invitez à boire le thé avec votre reine. Vous prenez notre argent et vous le lavez pour nous. Vous nous accueillez uniquement si on a assez d'envergure en tant qu'escrocs. Vous nous vendez la moitié de Londres. Vous vous lamentez quand on empoisonne nos traîtres et vous dites s'il vous plaît, s'il vous plaît, chers amis russes, faites du commerce avec nous. »


Sa mélancolie aussi. Il n'est pas beau, donc le nouveau Monde post-Brexit avec les agissement glaçants du trio Johnson-Trump-Poutine. Tout l'enjeu pour Nat, dans ce monde-là, est de trouver un moyen pour conserver son intégrité morale alors qu'il a perdu toute illusion sur le MI6 qu'il sert. En fait ce roman est profondément désenchanté au-delà de ses saillies satiriques drolatiques. Désenchanté mais qui trace une ligne morale, une droiture, celle de la force du choix individuel, de la liberté dont chacun soit s'emparer pour ne pas laisser le pessimisme le plus sombre gangréner ce monde. Les derniers chapitres sont très intéressants, mettant en scène la force de cette liberté individuelle lorsqu'elle s'allie à une autre ou plusieurs.

Lu dans le cadre du Club VIP Bepolar.com
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Ennuyeux comme une partie de badminton ce roman est passionnant par son analyse sociologique de la Nomenklatura anglaise.

L'intrigue « espionnage » se résume en une ligne : un agent britannique croyant trahir sa patrie au profit de l'Allemagne est tellement intelligent qu'il renseigne la Russie !

Les acteurs de cette tragi-comédie évoluent dans un univers dépourvu de tout souci financier grâce à des bourses de recherche qui financent leurs vacances au Panama ou à des spéculations servant à blanchir les fonds provenant d'opérations opaques.

La plume de l'auteur et de sa traductrice est entachée de tics datés du style « vestiaires genrés » qui plombent le texte mais colorent la caricature sociale.

Long, lent et soporifique ce texte est une déconcertante déception pour tout amateur de John le Carré ou tout admirateur de l'Intelligence Service.

Mais le romancier conserve un regard vif, malgré son âge, et le portrait de la fonction publique anglo-saxonne qu'il dessine est aussi accablant que pessimiste.

Aveuglée par une idéologie mortifère et vautrée dans un matérialisme confortable, cette technocratie passe plus de temps à aboyer contre les « populistes » qu'à se préoccuper du service public.

De tout temps les querelles byzantines annoncent la chute de l'empire ... le retour de service précède la fin de partie !

Prémonitoire et sombre, ce roman sera mobilisateur s'il contribue à un réel « retour de service » de la fonction publique à sa mission organique.
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Je n'avais pas relu John le Carré depuis des décennies. Dans les années soixante, cet ancien agent des services secrets britanniques avait révolutionné la littérature d'espionnage et connu rapidement une consécration mondiale avec l'un de ses premiers romans, L'Espion qui venait du froid (1964).

John le Carré a puisé son inspiration dans ce que l'on appelait la guerre froide et ses entrelacs de réseaux plus ou moins opaques de renseignement, de noyautage et de manipulation, orchestrés d'un côté du rideau de fer par les démocraties à l'Occidentale, et de l'autre par le bloc soviétique. A l'opposé des agents secrets playboys et cascadeurs ou des espionnes au galbe de séductrices fatales, les personnages de John le Carré principaux sont d'apparence banale. Les fictions mettent en valeur la réflexion et les discussions feutrées, où l'analyse géopolitique, la stratégie d'influence et la manoeuvre psychologique ont la primauté sur l'opération spéciale. Une littérature plus intellectuelle que spectaculaire, ce qui n'a pas empêché certains de ses livres d'être des best-sellers.

À quatre-vingt-huit ans, John le Carré sort un vingt-cinquième roman, dont le titre français Retour de service est particulièrement bien trouvé, puisque le personnage principal et narrateur, prénommé Nat, est à la fois un pratiquant assidu de sport de raquette – en l'occurrence le badminton, où il excelle – et un vétéran des services actions à l'étranger, en attente de reconversion dans un poste de management à la direction centrale, à Londres.

Dans son club londonien, Nat se voit défier au badminton par un jeune homme timide prénommé Ed. En l'espace de quelques mois, Nat jouera avec lui plusieurs parties, suivies d'un verre au bar du club, occasion pour les deux hommes d'échanger des propos qu'ils pensent sans importance. Mais voilà qu'au cours d'une opération complexe de retournement d'un transfuge, avec l'objectif de transformer un agent double en agent triple, l'activité de badiste (*) de Nat va se télescoper avec sa vie d'officier du contre-espionnage. de vraies-fausses révélations en rebondissements inattendus, la situation pourrait devenir compliquée pour lui…

J'ai aimé retrouver le style de narration de John le Carré, un peu désuet, très british, au demeurant très fluide et agréable à lire. L'auteur multiplie les digressions dont on ne sait jamais s'il s'agit de badinages accessoires ou de faits à garder en mémoire en prévision de développements futurs. On se sent quelque peu perdu dans le fil de la narration, et même carrément baladé, les intentions de Nat étant parfois confuses. Mais peu importe, ce n'est jamais ennuyeux.

Les personnages restent conformes à la vision de l'auteur. Les agents et les dirigeants des services de contre-espionnage sont des cadres et des cadres supérieurs, tel qu'on en rencontre dans l'Administration et dans les grandes sociétés privées : en parallèle de leurs missions, ils ont des vies de famille compliquées, un patrimoine personnel à faire fructifier, une santé qui les préoccupe, des états d'âme qui les rongent. Ce ne sont pas des héros.

Sur le fond géopolitique, tout a changé, mais rien n'a changé. La guerre froide appartient à l'Histoire, mais la Russie de Poutine, toute postsoviétique qu'elle soit, n'a pas perdu ses propensions à l'entrisme, ce qui oblige, pour le contrecarrer, à mobiliser la meilleure part des services secrets anglais. Et bien qu'en ces temps de Brexit, le Gouvernement de Sa Majesté cherche à s'adosser aux Américains, entre services opérationnels, ça reste un éternel « je t'aime moi non plus ». L'auteur en profite pour dire, sans mâcher ses mots, ce qu'il pense du Brexit, de Boris Johnson, et de Donald Trump.

Sur le terrain, chacun fait donc un peu ce qu'il veut, car les cadres ont une conscience propre, des convictions personnelles… et des intérêts particuliers. La plupart sont capables de trouver un compromis quand il faut tenir compte d'opinions contradictoires. Mais leur autonomie se heurte à la raideur de la bureaucratie, où les réactions sont marquées par un mélange de philosophie du soupçon et de principe de précaution, quand ce n'est pas par de simples réflexes comptables de limitation des dépenses. Décidément, le monde des espions est terriblement semblable au nôtre.

(*) Badiste : joueur de badminton.

Lien : http://cavamieuxenlecrivant...
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Une leçon de géopolitique comme on les aime, dans son dernier roman, John le Carré met son talent, sa connaissance des relations internationales au service d'une idée : La Défense des valeurs de la démocratie, de l'Europe et de l'éthique dans les relations entre pays.
Pour cela, il crée des personnages hautement symboliques, Nat, l'agent britannique, Anatoly de son vrai nom, né à Paris d'un père écossais d'une mère fille de Russes blancs.
Prudence, son épouse "avocate associée dans un cabinet londonien établi de longue date, spécialiste des affaires à forte composante humaine et surtout des dossiers pro Bono."
Proche de la cinquantaine, Nat est rappelé par le bureau à Londres et hérite d'un placard qui ne satisfait pas son sens du service et le respect des valeurs qu'il a toujours recherché dans son travail. Il n'est pas un salaud.
Mais voilà, depuis l'époque ou avec Prudence ils étaient en poste à Moscou les choses ont changées.
Trump, Poutine, le Brexit perturbent le jeu des forces en présence et Nat n'y retrouve plus ses petits.
Sa rencontre avec Ed Shannon, un jeune anglais germanophile et europhile va le conduire dans un imbroglio relationnel dont il ne sortira pas indemne.
Il est assez rare que des romans de John le Carré flirte aussi impudiquement avec l'actualité et ça ne peut que réjouir le lecteur (je dis cela pour éviter de dire ça ne peut que me réjouir).
Les propos qu'il met dans la bouche d'Arkady, un ex agent double que Nat a retourné dans le passé, à propos du Brexit sont éloquents :
"Et le grand président Donald Trump qui aime tant la liberté va sauver votre économie, à ce qu'il parait. Tu sais ce que c'est, Trump ?
- Dis-moi ?
- C'est le nettoyeur des chiottes de Poutine. Il fait tout ce que le petit Vald ne peut pas faire lui-même : il pisse sur l'unité européenne, il pisse sur les droits de l'homme, il pisse sur l'OTAN. Il nous assure que la Crimée et l'Ukraine appartiennent au Saint-Empire russe, que le Moyen-Orient appartient aux Juifs et aux Saoudiens, et merde à l'ordre mondial ! Et vous, les Brioches, vous faites quoi ? Vous lui taillez une pipe et vous l'invitez à boire le thé avec votre reine. Vous prenez notre argent et vous le lavez pour nous. Vous nous accueillez uniquement si on a assez d'envergure en tant qu'escrocs. Vous nous vendez la moitié de Londres. Vous vous lamentez quand on empoisonne nos traîtres et vous dites s'il vous plaît, s'il vous plaît, chers amis russes, faites du commerce avec nous."
Nat est partagé entre la vision de son ami Arkady, celle du jeune Ed qui n'en est pas loin et celle du bureau qui en tout temps a toujours adopté le principe "réal politic" qui le conduit à ménager la chèvre et le chou.
A sa manière, et dans le cadre des limites qui lui sont imposées par le bureau, Nat (n'oublions pas qu'il est un joueur de badminton affuté) va jouer de sa connaissance des langues, des cultures européennes pour retourner la situation à son avantage et éviter les dégâts humains dont le bureau se soucie peu.
Du grand, du très grand John le Carré. Un livre noir et pessimiste sur l'état actuel du monde qui laisse filtrer une lueur d'optimisme en démontrant que seule la rébellion des individus pourra éviter de subir l'ordre que les nouveaux dictateurs cherchent à imposer au détriment de la morale et de l'éthique !
A lire...
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+++++++ AGENT COURANT À TRAVERS CHAMP +++++++

Le grand maître a probablement voulu se faire un petit cadeau en publiant son 25e roman 2 jours avant son 88e anniversaire, le 19 octobre dernier.

Je dois admettre que j'ai la même fascination pour ce bonhomme que le légendaire Bernard Pivot qui l'avait invité à une de ses émissions "Apostrophes". Émission pour laquelle l'auteur avait demandé un petit délai, question de se rafraîchir son Français ! Voire mon billet du livre de Pivot "La mémoire n'en fait qu'à sa tête" (du 13-4-2017) et des mémoires de John le Carré "Le tunnel aux pigeons" (du 18-4-2017).

Je ne vais donc pas résumer un curriculum, qui je crois est de toute façon généralement fort connu et passer tout de suite à l'action.

Tout au début du récit le personnage principal se présente : Nat, 47 ans, marié à "Prue" (de Prudence) et champion local de badminton. En fait, la réalité est un brin plus compliqué. Il est né à Paris, où son père travaillait pour l'OTAN à Fontainebleau, comme Anatoly, plus tard anglicisé en Nathaniel. Sa mère, une Biélorusse de petite nobilité y fréquentait le cercle des Russes blancs exilés jusqu'à son affaire avec un riche Belge, trafiquant d'armes. Môme, il avait une gouvernante russe, Galina qui lui a apprenait les langues en lui racontant pendant quelques soirs le même conte de fées mais chaque fois dans une langue différente. À la mort de son père d'un cancer, lorsqu'il avait 12 ans, il fut expédié par sa mère en Écosse, où il fit des études de philologie slave. Depuis un quart de siècle maintenant, Nat a travaillé pour le "Secret Intelligence Service", SIS, surnommé par ses employés le Bureau ("The Office").

Pendant toutes ces années, il a été l'agent du Bureau à Moscou, Prague, Bucarest, Budapest, Tbilissi, Trieste, Helsinki et Tallinn à recruter et diriger des agents secrets de tout acabit sous couverture diplomatique ou consulaire. Et maintenant que sera sa vie ? Qui voudra d'un diplomate demeuré dans les grades subalternes ?

Un job lui est finalement offert comme responsable d'un sous-service de l'agence de Londres du Bureau, où l'on case les agents avec qui l'on ne sait pas très bien quoi faire et qu'en haut lieu l'on souhaite "dynamiser". "Haven" - refuge ou sanctuaire - comme cette unité, non sans ironie, s'appelle, permet à Nat de vivre avec sa femme Prue et sa fille de 19 ans, Stephanie, (Steff pour les amis), à Londres, tout en recevant un salaire et, sans enthousiasme, notre homme accepte le poste.

Dans ce dépôt des cas paumés, la jeune, brillante et dynamique Florence tranche avec ses collègues et elle a le dénommé Orson dans le collimateur. Ce soi-disant oligarque ukrainien, qui s'est acheté dans les quartiers chics de Londres un duplex de 75 millions de livres sterling (88 millions d'euros ), a ses entrées au Kremlin et fait partie du gang ukrainien à Kiev favorable à Poutine. Apparemment cette riche demeure dans l'exclusive Park Lane constitue la plaque tournante d'éléments non désirables appartenant au FSB - le successeur du KGB - ou à des groupes de businessmen mafieux, qui bénéficient de la confiance de l'entourage immédiat du Président russe. Quoi qu'il en soit, ce serait intéressant de savoir ce qui s'y trame au juste et l'opération Rosebud (bouton de rose), soit l'installation d'un système ultrasophistiqué électronique de surveillance, est décidée.

Peu d'écrivains savent aussi bien ce que ce genre d'opération de grande envergure et délicate dans une démocratie implique que John le Carré. La préparation de Rosebud se lit presque comme un article du journal le Monde mais en plus littéraire et avec beaucoup plus d'ironie britannique, bien entendu.

Puis, il y a l'apparition d'un jeune homme étrange, Ed Shannon, à peu près 25 ans et mesurant presque 2 mètres, qui défie Nat de jouer un match de badminton. Comme Ed est un excellent joueur, plusieurs matches ont lieu, suivis de discussions à bâtons rompus à la cafétéria, où le jeune homme vilipende les folies de Trump et du Brexit. Nat est impressionné par ses connaissances, mais se montre réservé. Ed, qui a une soeur handicapée mentale et physique, Laura, pour lui faire plaisir, demande à Nat de faire une partie de badminton à 4. Nat se déclare d'accord et mobilise Florence.

C'est le lendemain de ce 2 x 2 que la bombe éclate : Opération Rosebud a été annulé en haut lieu, pour des raisons de "risques" disproportionnés et Nat apprend que Florence à été renvoyée du service. Les chefs estiment qu'elle est trop émotionnelle pour ce travail.

L'histoire ne s'arrête pas là bien sûr, car à Moscou on n'a pas du tout abandonné les intrigues contre l'Occident et nos héros, Florence, Ed, Prue et Nat ne sont pas au bout de leurs aventures.

Ce roman est une histoire à suspense digne du grand spécialiste qu'est John le Carré depuis 1964 et son inoubliable "L'espion qui venait du froid" . le maître incontesté des intrigues, du double jeu et des fluctuations de loyauté.

Le contexte est très contemporain, puisqu'a un moment donné, un haut placé du Bureau, regrette que les alliés et voisins ne prennent plus l'Angleterre au sérieux, qui est gouverné par une poignée de nostalgiques de feu l'empire, mais incapables de même gérer une simple stalle de fruit. Mais que voulez-vous "nous sommes spéciaux. Nous sommes British. Nous n'avons pas besoin de l'Europe...Nous sommes des supermen".
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Nat, le narrateur, est un sympathique espion britannique, qui est supposé prendre une retraite bien méritée. Mais une dernière mission s'offre à lui : prendre le management du « Refuge », un repère d'espions décatis censé observer les mouvements des services secrets russes.
Nat vit avec la pétulante Prue, avocate de gauche qui combat les lobbys pharmaceutiques, et ils ont une fille, Steph, dont le moins qu'on puisse dire est qu'elle ne suit pas le chemin que ses parents rêveraient de la voir suivre.
Nat est sympathique. Donc quand, dans son club de badminton préféré, dont il est le Président, un jeune homme vient le défier et lui demander de remettre en jeu son titre de champion du club, il accepte.
Commence alors une relation sportive entre un espion vieillissant et un jeune homme aux idées très arrêtées sur l'actualité : le Brexit est une très grosse bêtise, et Donald Trump une catastrophe pour les États-Unis.
Alors quand sa collaboratrice Florence veut monter une opération très spéciale d'espionnage radical, Nat la soutient activement, jusqu'à ce qu'elle quitte mystérieusement le service, du jour au lendemain, et que, tandis que l'opération va se dérouler, un coup de théâtre saisisse Nat qui n'est pourtant pas né de la dernière pluie …

Comme toujours chez John le Carré les rebondissements ne cessent de happer le lecteur et font de « Retour de service » un véritable « page turner ». Mais derrière les histoires d'espion très documentées, l'auteur nous livre aussi une réflexion politique sur le monde d'aujourd'hui, dans un contexte de Brexit, de puissance souterraine de la Russie en Angleterre, et d'abandon par les États-Unis de leur rôle de gendarme du monde, livrant ainsi une belle leçon de géopolitique.
Quant Nat, interrogé par ses collègues, diagnostique que Trump est une catastrophe ambulante, on imagine que son auteur n'est pas loin d'épouser les propos de son personnage principal.
Mené tambour battant, « Retour de service » est ma fois plus agréable à lire qu'un exemplaire du Monde Diplomatique, tout en dénonçant finalement la même dérive de nos démocraties occidentales, bien naïves devant toutes les forces qui cherchent à leur nuire.
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Je tiens à remercier les éditions du Seuil pour l'envoi de ce roman.

Talentueux auteur de romans d'espionnage, John le Carré revient à l'âge de 88 ans avec » Retour de service « publié en ce mois de mai 2020 aux éditions du Seuil. Né en 1931, David John Moore Cornwell, dit John le Carré, est un romancier britannique. Durant les années 1950 et 1960, Cornwell a travaillé pour le MI5 et le MI6 pendant la guerre froide et a commencé à écrire des romans sous le pseudonyme de « John le Carré ». Dans son nouveau roman, l'auteur nous plonge au coeur des services du renseignement de Sa Majesté, à l'heure du Brexit, au moment où la Grande-Bretagne cherche de nouveaux alliés entre les manipulations de Trump d'un côté et les agissements souterrains de Poutine de l'autre.

p. 67 : » – […] pour la Grande-Bretagne comme pour l'Europe et la démocratie libérale dans le monde entier, le Brexit pendant l'ère Trump et la dépendance totale que la Grande-Bretagne va avoir envers les Etats-Unis , qui sont entrain de plonger dans le racisme institutionnel et le néofascisme, c'est un méga boxon à tous points de vue. «

À 47 ans, Nat est un ancien membre des services de renseignement britanniques et champion de badminton à l'Athletic Club de Battersea. Marié à Prudence, une ancienne spécialiste de la contre-surveillance, elle s'est reconvertie et traque désormais les agissements des grandes multinationales pharmaceutiques dans un cabinet d'avocats à Londres.

p. 23 : » Pendant plus de deux décennies, d'abord avec Prue puis sans elle, j'ai servi ma souveraine sans couverture diplomatique ou consulaire à Moscou, Prague, Bucarest, Budapest, Tbilissi, Trieste, Helsinki et dernièrement Tallinn, pour recruter et gérer toutes sortes d'agents secrets. «

Comme tous les lundis soir depuis son retour à Londres, Nat se bat pour conserver son titre de champion de badminton, pendant que Prue consacre cette soirée au bénévolat. Mais lorsqu'un certain Ed lui propose de se confronter à lui, Nat pourtant formé à l'analyse et la détection de comportements suspects, ne sait quoi penser de lui.

p. 12 : » Je vous ai regardé jouer, ok ? Et j'ai battu un ou deux types que vous avez battus et aussi un ou deux qui vous ont battu. Je crois bien que je pourrais vous donner du fil à retordre. Sérieusement. Très sérieusement, voilà. «

Dans le même temps, Dom – son ancien chef de station à Budapest et nouveau directeur du Central de Londres lui propose une nouvelle mission.

p. 32 : » – Tu as bien dit » station externe russe basée sur notre sol et restée trop longtemps dans l'ombre » ? La seule que je connaisse, c'est le Refuge, et ce n'est pas une station externe, c'est une station annexe moribonde sous l'égide du Central Londres qui sert de dépotoir pour les transfuges sans valeur qu'on a réinsérés et les informateurs de cinquième zone qui partent en vrille. Aux dernières nouvelles, le Trésor était sur le point de le fermer, mais ils ont dû oublier. C'est vraiment ça que tu es en train de me proposer ? «

Mais aucune rencontre n'est hasardeuse ni les faits un simple concours de circonstance. Tous ont une couverture qu'ils prennent tant à coeur qu'elle se confond avec leur réelle identité ; le mensonge est omniprésent. Les espions sont à la merci des services de surveillance du contre-espionnage. Tout est lié. Personne n'est à l'abri. Personne n'est innocent. C'est une bataille intérieure incessante entre la conscience et le devoir.

John le Carré exploite les failles d'un Brexit à venir, profitant de cette instabilité politique et économique pour y construire son intrigue. L'auteur s'amuse avec son lecteur en usant de nombreux indices trompeurs, de personnages obscurs et tout cela sur fond d'espionnage. Sans contexte, la mayonnaise prend, ses astuces narratives sont efficaces et l'intrigue soignée. L'utilisation du badminton comme métaphore est très astucieuse ! Tout au long du roman, John le Carré s'en sert pour comparer les qualités nécessaires à la pratique de ce sport tout comme elles sont nécessaires à un bon espion : réflexe, patience, stratégie, feinte et réactivité. » Retour de service « s'est révélée une lecture passionnante !
Lien : https://missbook85.wordpress..
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L'intrigue débute en 2018, juste avant le référendum sur le Brexit et la visite de Trump, sous un gouvernement conservateur, dont le ministre des Affaires étrangères (Boris Johnson) est, selon Nat, aussi ignorant qu'un âne. Nat et Ed, après chaque match de badminton, discutent politique, enfin, c'est surtout Ed qui parle en ardent défenseur de l'Europe. Il donne libre cours, à sa haine de Trump, de Poutine, et « des profiteurs bourrés de fric se faisant passer pour des hommes du peuple qui mènent le pays vers le précipice« . Ils, veulent saboter l'Union européenne, tandis que la Grande-Bretagne, s'est définitivement résolue à n'être plus que le « toutou » d'un président américain fasciste, lié aux fondamentalistes religieux. Voilà, on est rapidement dans le bain et dans la tonalité de cette lecture.

Je connaissais John le Carré de réputation, et j'étais donc très heureuse de pouvoir découvrir son 25ème livre. Il a une carrière prolifique et sa renommée n'est plus à faire dans le domaine du roman d'espionnage. À l'heure de la consommation « fast-food » et de la digestion rapide, lire un John le Carré, conduit nécessairement à prendre son temps ! Ce n'est pas une lecture qu'on ingurgite à la va-vite. Non pas par l'intrigue, première couche qui ne dévoile pas grand-chose, mais bien par la construction et la profondeur du propos.

John le Carré, sait de quoi il parle, il prend le temps de poser les jalons avant de divulguer ses cartes. Comme il a certainement dû le faire du temps de la guerre froide, puisqu'il a lui-même été espion au service de sa majesté. À l'image des espions du bureau des légendes, John le Carré, dresse un portrait, bien réel de l'espionnage, loin des scènes explosives, que l'on peut retrouver dans certaines lectures.

Ici point de surenchère, il prend le temps de poser les bases, mais surtout de les coller à la réalité. Ce qui pourrait être un handicap pour le lecteur actuel, plus habitué à l'action, a été pour moi une plongée dans ce flegme tout britannique, qui prend le temps d'analyser les situations, d'observer avant d'agir.

Sous couvert de roman d'espionnage, John le Carré nous plonge en plein Brexit, avec des ramifications géopolitiques insoupçonnables, à l'actualité déroutante des relations internationales biaisées par la « folie » de Trump et la paranoïa de Poutine.

Europhile convaincu, il ne prend pas de pincettes, à travers son personnage principal, pour dire ce qu'il pense du Brexit et de ces hommes politiques qui dirigent le monde, notamment à travers des dialogues d'une grande vivacité et à l'humour qui m'a vraiment séduite.

John le Carré tire habilement les ficelles pour diriger le lecteur dans un imbroglio d'intrigues, l'obligeant ainsi à ne pas baisser la garde, notamment grâce aux pistes trompeuses, et aux personnages obscurs. C'est du bon polar d'espionnage, c'est jouissif et jubilatoire.
Lien : https://julitlesmots.com/202..
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A 88 ans, John le Carré reste le maître incontesté du roman d'espionnage, et il livre avec Retour de service un roman en phase avec l'actualité puisqu'il y est question de Poutine, de Trump, du Brexit et de l'Europe.
Si je n'ai pas été totalement captivée par l'histoire, j'ai apprécié le style de narration et le personnage de Nat.
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Eminent spécialiste en la matière, John le Carré a travaillé pour les services de renseignement anglais durant la Guerre Froide. Depuis plus de 50 ans, il se consacre à l'écriture. Mieux vaut tard que jamais pour que je me plonge dans l'un de ses bouquins. C'est donc chose faite et cette lecture m'a beaucoup plue.

« Retour de service » est le parfait roman d'espionnage. Certains lecteurs n'adhèreront pas à ce domaine si particulier et à ce style d'écriture tout à fait singulier. Pour ma part, j'ai adoré. Je m'y suis retrouvée très vite en plein dans cette atmosphère secrète à peine quelques pages lues. Même si l'action se déroule à notre époque, c'est entouré d'une aura très révélatrice des films et livres d'espionnages qu'on a pu voir ou lire se déroulant du temps de la Guerre Froide.

C'est une plongée dans les arcanes de la géopolitique mondiale. Ce sont des couloirs cachés aux communs des mortels où très peu de gens y ont accès, tant la culture du secret doit y être maintenue. Doté d'un humour très british, le héros principal Nat est un dandy sur le retour, élégant par son style mais n'ayant pas sa langue dans la poche. Chacun des personnages trouve sa place.

Ce que j'ai trouvé très appréciable dans ce livre, ce sont les questions si actuelles que traite l'auteur puisque l'on est en plein Brexit où les deux camps (pro et anti) se font encore face. Trump et Poutine se partagent l'échiquier mondial. Autre sujet présent qui n'est pas laissé pour compte : les lanceurs d'alerte. Et tout cela est finement analysé.

Agréable à lire par sa justesse et sa crédibilité, ce thriller d'espionnage m'a projetée au coeur de la City, en compagnie de Nat, Prue, Ed et Florence. Habilement écrit et décrit, ce milieu si particulier vous électrisera même si vous n'êtes pas un féru, voire un adepte de la politique. le final est peut-être un peu commode à mon goût mais il n'a en rien entaché mon plaisir de lecture.

Je remercie les éditions Seuil et BePolar.fr pour l'envoi de ce livre.
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