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Critique de enjie77


Gabriel s'en est allé juste au moment où Philippe se trouvait à l'étranger, à Saint-Pétersbourg. le dernier de ses grands-parents est parti pour des contrées inconnues alors qu'il était absent.

Il est des instants de la vie qui nous font prendre conscience de l'importance, de l'impact de l'amour de nos grands-parents sur notre construction d'homme ou de femme. La maturité aidant, nous percevons la vie avec plus de discernement et d'acuité. Si nous avons eu la chance de connaître ce bonheur, c'est un flot de souvenirs, de récits, d'images, nichés au plus profond de notre intimité qui se rappellent à nous instantanément venant tous nous bousculer. Ils apportent avec eux la tendresse, la chaleur, la lumière, des saveurs, des joies simples, que chacun de nos mémé, pépé, papy, mamy ont su nous apporter.

Philippe, à partir de ce moment, éprouve la nécessité d'écrire sur Gabriel, Anne, Jean et Marie. C'est un besoin impérieux pour se rapprocher d'eux, leur rendre « un hommage fervent, la reconnaissance publique d'une dette que l'on ne finirait pas de payer », et coucher sur le papier tous ces merveilleux instants d'une époque révolue mais qui parlent d'eux, de leur histoire, de leur culture et de cette ensorceleuse Bretagne éternelle.

Philippe raconte le brun mordoré des flancs du Menez Hom, l'épaisse, la ténébreuse forêt du Cranou, la légendaire Ville d'Ys, les bords de l'Aulne et la maison du passeur, les récits familiaux parlant de landes, de brumes, de mauvaises rencontres, de croque-mitaine, de voyageurs dévalisés, disparus dans cette mystérieuse auberge rouge, de grenier interdit où il est plaisant de se cacher afin de pouvoir feuilleter les vieux Paris-Match, les Chasseurs Français, du chien Sultan, de l'égrégore de certaines messes et des disparus que la mer a emportés. IL n'en faudra pas plus à un enfant hyper sensible, romanesque, rêveur, pour alimenter son imaginaire et faire de lui un écrivain.

Sous sa plume, les « Pardon » s'animent, les femmes portent la coiffe, les bannières flottent au vent, que ce soit celui de Rumengol ou de Sainte-Anne-la-Palud, tout un monde d'un autre temps prend vie sous nos yeux.

Il y a de drôles d'anecdotes comme celle des prénoms. Elle était née un 26 mars, jour de l'Annonciation faite à Marie et ses parents avaient jugé bon, selon les préceptes de l'Eglise catholique, de la nommer « Annonciat ». – Ne riez pas, mon compagnon a eu un patient qui se prénommait « FêtNat » et il n'était pas breton. –

A la lecture de ce récit, la mémoire fait ressurgir ces matins de pêche imprégnés de l'odeur du goémon, où selon l'horaire de la marée, équipé de bottes, de paniers, de vieilles cuillers à palourdes, le regard s'arrête sur le courant que vient strier l'eau de petites rides chatoyantes et où les pieds s'enfoncent dans le sable mouillé parsemé d'algues échouées.

Philippe le Guillou possède une écriture élégante, classique, que j'ai savourée en cette période de confinement, je me suis échappée. C'est un homme qui aime les mots ! Au cours de ma lecture, j'ai eu, en un éclair, l'impression vive de lire Marcel Proust.

Il y a de merveilleux instantanés d'une Bretagne légendaire, d'autres instantanés d'une Bretagne pauvre, laborieuse et rude, d'autres instantanés d'une Bretagne catholique et c'est une belle promenade dans les brumes celtiques et une remontée dans le temps.

Je continuerai ma découverte de Philippe le Guillou mais je voudrais découvrir plutôt ses récits de légende comme « Livres des guerriers d'or », je trouve que la tonalité de son écriture s'y prête parfaitement.

« D'autres fois encore, si la marée était haute vers cinq ou six heures, il (Gabriel) allait s'asseoir près de l'église, sur la terrasse circulaire qui surplombait les flots et qu'il appelait, lui, toujours le « cimetière » parce que, comme à Landévennec ou en Irlande, les tombes avaient longtemps entouré la nef jusqu'à ce que l'on estime, essentiellement pour des raisons d'hygiène, qu'il était préférable d'inhumer les morts un peu plus loin du village. IL s'installait sur un banc, il regardait le large, seul ou en compagnie de quelques anciens de la Marine qu'il trouvait là, cette petite société parlait peu, elle contemplait, jusqu'à l'hébétude, les rouleaux d'écume et les courants qui ridaient le flot ».
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