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EAN : 9782070305919
384 pages
Gallimard (14/04/2005)
4.4/5   10 notes
Résumé :

" La Reine d'Irlande... La Grande Reine qui portait une armure d'or, celle qui enfantait debout... Le Royaume était indivisible. À sa mort, la terre est revenue à Fern le brutal, tandis que l'autre roi partait, Luin Gor, le roi des eaux, des vents, des rivages et des îles... " Aux temps immémoriaux, quelqu'un a eu la folie d'inventer cette histoire, une reine qui enfantait debout, une reine qui eut deux fils. A mon tour, j'ai c&#x... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (1) Ajouter une critique
POUR UNE GÉOGRAPHIE DES SONGES.

Il est souvent très délicat, ou prétentieux, ou imprudent, lorsque ce n'est pas tout cela à la fois, de vouloir reprendre à son compte l'un ou l'autre des grands mythes constitutifs de notre culture commune, de les revoir, les réinterpréter, les renouveler avec ce qu'il faut de continuité, avec ce qui est indispensable de modernité. C'est inévitablement le cas avec ce que l'on a parfois appelé "la matière de Bretagne", à savoir toutes ces incroyables et mirifiques histoires de chevaliers, d'enchanteurs - Merlin en étant le plus fameux -, de rois - on songe avant tout à Arthur -, de forêts magiques - l'incroyable Brocéliande - et de cités mythiques - Camelot. Tout cela est fait et refait, avec plus ou moins de bonheur, plus ou moins d'énergie, plus ou moins d'inventivité et de talent depuis des siècles. Depuis le milieu du XIXème, ce sont les anglais puis les américains qui auront porté - pour le meilleurs, parfois, comme pour le pire, souvent - haut la légende. Or, bien souvent, ces textes récents ne sont finalement, avec parfois un talent incontestable et un vrai bonheur à le faire et à le lire, que des "resucées" mises au goût du jour par leurs auteurs respectifs. On songe ainsi à l'incroyable succès des Dames du Lac de Marion Zimmer Bradley, à l'inspiration plutôt libre du cycle de Pendragon de Stephen R. Lawhead, à l'approche plus adolescente de Terence Hanbury White, à l'étonnant Mordred de la jeune Justine Niogret, sans omettre l'impressionnante bibliographie (aux influences et aux interprétations souvent contestables) de Jean Markale, sans oublier le réjouissant L'Enchanteur de cet éternel jeune homme que fut le regretté René Barjavel. Ces oeuvres, et tant d'autres, ont leur place dans cette galaxie arthurienne, souvent fantasque quand ce n'est de pure fantaisie. Impossible de tous les citer, il y faudrait des heures. Tout cela est bel et bon, pour singer l'expression consacrée - encore que pas toujours mais nous nous en sortirons avec cette pirouette qu'il en faut pour tous les goûts - mais demeure presque exclusivement dans la poursuite du rêve d'Arthur, de ses chevaliers de la table ronde, des prophéties de Merlin et des amours impossibles de Lancelot et de Guenièvre.

Or, le projet un peu fou, pour bonne part démesuré et titanesque de Philippe le Guillou dans ces "Livres des guerriers d'or", est à la fois empreint de, se situe dans, toute cette géographie arthurienne "classique" en même temps qu'il est tout autre et, dans une large mesure, plus profond car loin de se contenter d'une énième écriture romanesque de la légende, il en fait à la fois un immense poème en prose ainsi qu'une intense et très dense rêverie métaphysique.

Mais avant d'en arriver là, reprenons rapidement le cours tumultueux de ce roman hétérodoxe, polyphonique et polymorphe. Nous croisons tout d'abord, au cours d'un bref et énigmatique prologue, un vieil érudit d'origine belge, le professeur Herbert von Gerhaf, dont on comprend qu'il vient de vivre une sorte d'extase violente et définitive tandis que, dans la superbe cathédrale de Wells (somerset) qu'il découvrait, il semble avoir vu ou reconnu une figure archétypale surgit brutalement du passé - de ses rêves ? -. La voici, qui va accompagner le lecteur tout au long de ces "Livres" puisqu'il faut bien ainsi les nommer et qu'ils ne sont en rien ni à proprement parler les chapitres classiques d'un roman de même tonneau. C'est mots, très explicites, sont tirés du «Carnet secret du Professeur von Gerhaf» que l'on découvre à la fin de l'ouvrage : «XXII; C'est une figure que je ne connaissais pas. Une présence étrange qui se manifeste aux frontières du monde arthurien. Guerrier, roi, errant, prêtre, les fonctions varies selon les textes. Il migre sans cesse, disparaît sous terre, revient. Certaines enluminures le montrent cuirassé d'or. Il semble plus ancien que tous les autres, Tristant, Lancelot, Perceval. Il aimante désormais toute ma recherche.»

Cet homme que l'on rencontre dans le premier livre intitulé "Le livre des druides", c'est l'un des deux fils de la reine Mève, celle surnommée "la Grande Reine" et qui, pour d'obscures raisons, pourri sur pied agonisante, en attendant de pouvoir décider qui, de ses fils, Fern, le préféré, un robuste et brutal gaillard ou de Luin Gorn, plus gracieux, plus intelligent, sans doute un peu moins mâle hériterait du Royaume d'Irlande. C'est l'ultime Samain de la Haute-Reine, dont il est par ailleurs question dans l'un des plus merveilleux textes de la tradition celte irlandaise, La Razzia des vaches de Cooley (ainsi le Guillou situe-t-il d'emblée son texte dans les prémices de notre culture commune européenne). Sa décision aura une importance capitale pour l'avenir de sa nation. Nous sommes au moment du monde primordial, dans un monde rugueux et magique, un monde d'ombres et de lumières fortes, un monde alternativement violent et mystique lorsqu'il ne l'est pas tout ensemble. La décision ne se fait pas attendre : à Fern, le nouveau roi, la terre des ancêtres, les pierres, les forêts, les tourbières. Quant à Luin Gorn, c'est de la mer et du vent, des rivages et des îles éparpillées qui formeraient son domaine. La Reine le condamnait ainsi à un royaume d'errance, un royaume à conquérir lui confierait son précepteur druidique. C'est en quelque sorte cet immense et impalpable royaume qui va défiler, pages après pages, sous les yeux émerveillés tout autant qu'interloqués du lecteur. Car Luin Gorn, dont le nom va d'abord lui être interdit à prononcer, va nous embarquer du côté des terres et des rêves glacés des vaillants vikings (Le livre de glace). de là, il va découvrir l'île de Bretagne, rencontrer de bien étranges compagnons de route, croiser un fascinant cavalier à la cuirasse verte dont on devine qu'il est au commencement de cette chevalerie des romans courtois et, bien évidemment, de la geste arthurienne (le livre des Haute-Terres). On va penser le perdre un instant, puisqu'il laissera la place à l'un de ces anonymes constructeurs de cathédrales du bas moyen-âge, intellectuellement et spirituellement opposé en presque tout à l'évêque qui l'a engagé afin de parachever son chef-d'oeuvre (Le livre de la Cathédrale), au cours du passage le plus profond mais peut-être aussi le plus complexe de ce texte parfois énigmatique. On va enfin retrouver notre cavalier errant à la cour du Roi Arthur, dont on devine très vite qu'elle vit ses ultimes soubresauts, ses derniers feux puisqu'il assistera au «carnage, au combat final», à la confession de Girflet qui se refusa par trois fois aux injonctions de son Roi de rendre Excalibur à la Dame du Lac... Luin Gor va s'échapper en Armorique où il va croiser Dahut et son Ys orgueilleuse. On va le retrouver, perdu au plus profond de lui-même, en Brocéliande, auprès des Seigneurs de Comper et de Trécesson.

Pour être honnête, s'astreindre à un tel travail de résumé de cet ouvrage baroque, atypique, original n'a qu'une portée très limitée. Il y a tout d'abord l'indicible, l'inexplicable de cette langue employée par Philippe le Guillou. Un phrasé inhabituel, infiniment poétique - ce qui rendra la lecture un peu malaisée à qui ne se laisserait prendre par ce rythme incroyable, quelque fois retors -, se déliant comme une suite infinie de vagues, de flots subitement endiablés, connaissant plus loin une trompeuse accalmie ; un style fait de courants telluriques et de brusques mouvements de surface, de clapots incessants que suit une mer d'huile après tel moment de tempête. D'ailleurs, cette image marine n'est en rien innocente car bien qu'il s'agisse ici, pour une part essentielle, d'une longue errance temporelle et principalement terrestre, c'est à une navigation au long cours que nous sommes conviés, sans répit, sans facilité putassière, sans faiblesse importune. Et sur cet océan d'éternité - à notre pitoyable échelle humaine - il nous faut sans cesse ramer, voguer, larguer amarres et certitudes, confort et raison.
Mais que serait un style s'il n'était au service d'un projet ? Et celui de Philippe le Guillou est de vaste ampleur. En effet, non content de ceindre sous une même couronne les grands mythes de l'Europe celtique et nordique, l'arrivée de la religion nouvelle (le christianisme des premiers temps, l'érémitisme, les cathédrales, etc) et les prémices de notre grande littérature romanesque, l'auteur s'emploie à dresser une cartographie complète de ce monde enchanté, de ces imaginaires anciens mais jamais oubliés, tant ils portent d'archétypal, de fondateur et de novations en eux, que, peu ou prou, une large part de nos fantasmagories, de nos rêves, de notre socle culturel commun , de nos mémoires éclatées, parfois souffrantes mais jamais mortes, en sont les fils et les filles prodigues. Cette géographie des songes de l'homme occidental, il la traduit par un souffle épique, élégiaque, héroïque dans lequel nous pouvons tous nous retrouver, à défaut de toujours parvenir à nous y reconnaître - tant nous avons perdu les traces, les alphabets nécessaires à ces lectures qui vont au plus profond mais résistent à la parole souvent légère, vaine, futile de notre contemporanéité faite de trop d'immédiateté et de raison raisonneuse -, nous pouvons nous y laisser submerger sans y sombrer tout à fait puisque c'est une autre part de nous-même que ces Livres des guerriers d'or nous content. Surgit peu à peu une lecture dense, sans concession, qui pourra parfois sembler complexe - pour ne pas dire impossible - mais que cette langue d'une beauté lustrale, que cette respiration démesurée aux images roboratives, emplies d'une énergie vitale, immémoriale, frayant avec le divin, s'accouplant, s'abouchant dans le merveilleux avec cet humain, trop humain d'un Nietzsche résurgent, que toutes ces qualités qu'il serait vain de vouloir exprimer en quelques lignes embrasent, illuminent, attisent et rependent dans un tourbillon véritablement magique dont on sort - et nos rêves abrutis de culture marchandisé et de pensées obligatoires - à la fois exsangue et fortifié !

Laissons, pour conclure, le dernier mot à Philippe le Guillou qui, dans une postface particulièrement éclairante, donne un peu plus de sens encore à cette oeuvre hautement inclassable : «Elle [la transmission] est dans L Histoire, dans les paysages, dans les connexions et les passerelles du "monde d'image", dans la continuité des diseurs et des récitants, l'essence de la tradition et de la chaîne arthurienne. Elle invite à se mettre en marche, à briser les amarres de la facticité, et d'un rationalisme frileux. Dans la plus pure obédience surréaliste, elle veille, guet, attention portée au signes, profération de la seule formule qui vaille : «Qui vive ?» Elle est vigilance, irrédentisme foncier. Elle est exploration inlassable de cette part de la géographie et de l'âme humaine qui a pour nom "source des songes". Elle est silence, dormition, androgynie, éternité. Elle est dérive au fil de ce continent de brume et d'or qui va du cairn de Mève aux sanctuaires crépusculaires de Ludwig. Et si, dans la création ou dans la veille, nous voulons rester fidèle à Celui que les Bretons attendent, il nous revient en tout premier lieu d'être ses rêveurs et ses servants.»
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Citations et extraits (16) Voir plus Ajouter une citation
J'ai avoué, Monseigneur, m'appeler Fern, mais je n'ai pas de nom. Je suis l'homme sans nom, l'orphelin qui a parcouru la mer ; un soir d'orage, à la limite de mon île, là où les forts, les sentinelles et les oiseaux regardent vers le nord,
je suis descendu sur des pas,
des pas comme de larges pétales qui constellaient la mer,
des pas de dieux ou de géants ou de divinités fulgurantes, des pas qui m'appelaient,
jusqu'alors j'avais un nom, un nom que m'avait donné ma mère, car je crois que je n'eus jamais de père,
on m'a raconté que j'étais fils de reine, ou alors peut-être me le suis-je dit dans mes songes, dans mes jeux d'enfant, jusqu'à ce que, des remparts où j'avais été élevé, je tombe dans la mer, l'eau était violente, peuplée de monstres, de dards, de glaives froids, de furies, d'armées pétrifiées, mon corps était un vaisseau broyé par les lames, dans la tempête dans la roue des courants, mes os craquaient.
Regardez : le sel, le vent, le froid m'ont vieilli,
l'enfant et le nom que j'étais sont restés sur l'autre rive, je m'offre à vous, orphelin, dépossédé, vos terres glacées,
vos splendeurs m'éblouissent,
le luxe de vos rites,
la magie et le manteau sacré du Vieux Conseiller.
Je vous ai dit ce nom que j'avais entendu dans le temps du passage,
je reconnais et j'admire votre royauté, Monseigneur,
je vous rends le manteau et l'épée,
pour vous servir.
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[C'est Merlin qui parle]

- Cette nuit, dès que je t'aurai quitté, je m’enfermerais dans mon esplumoir. On désigne de ce nom la cage où l'on enferme les oiseaux pendant la mue. Sous ma robe verte, je vais me parer des robes du phénix. Je vais retisser la geste des rois d'or. Il n'y aura ni sang ni flamme. Seulement des mots dont je serais le maître. Des mots de douleur, de nostalgie, des mots de prophétie aussi, car qui écrit fait oeuvre d'incarnation. Sous ces mots rouleront des flux de vent et de lumière. C'est un autre or que je vais quêter. Je n'aurai plus besoin de sanctuaire, ni de rites. Je t'ai donné ta mission. Veille sur Excalibur et le Graal. Quant à moi, je vais transporter mon esplumoir au bord des lochs et des tourbières de mon origine. Et j'attendrai l'envoyé lumineux, à qui je dicterai la geste de la quête. Mon entombement, ce sera l'écriture. J'ai prophétisé. Je veux écrire. Je veux connaître ce lieu d'épreuve et de passage, d'origine et de secret...
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Alors les terres sont entrées dans la nuit. Les hautes terres du Nord que battent les vents, le rythme fou des lames, les terres bordées de rivages noirs aux longs festons d'écume. Les grands plateaux de l'île du Saumon et du Cerf. Des forts des temps anciens, arc-boutés sur les falaises, défiaient encore les bourrasques de l'hiver. Ils descendaient en dégradés de lames courbes et usées par la mer. À les regarder longtemps, dans la perspective de la lande que rasaient les vents, on se disait que les habitaient peut-être des guerriers minéraux, tassés sous l'aplat des murailles, des guerriers aux javelots corrodés par le sel.
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- Frère Jean, me dit-elle, d'où vous vient cette passion des côtes ? Vous ne tenez pas en place. Vous marchez sans cesse. Ma servante me rapporte que même la nuit, vous allez sous les remparts.
Je savais bien que j'étais épié depuis mon arrivée. Je répondis :
- J'ai passé trop de temps dans la cellule de mon monastère. Dieu, c'est un infini de pas, de mers qui roulent, de passes dans les forêts, de clairières, de châteaux, de douves et de cités marines. Je voudrais cartographier Dieu, inscrire son corps sous un fouillis d'enluminures.
Le moine bougonnais. Je poursuivis :
- Princesse, je suis un errant. J'errais déjà avant de rencontrer le Dieu des Évangiles. Je chemine depuis. Mais je suis condamné au mouvement...
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Ainsi enfermé, je n'entends pas mon sang, le bruissement de ma vie, mais les mouvements, les murmures, le langage secret de tout ce qui m'entoure. J'entends courir les rivières, les fougères crépitent, avec leurs ongles, leurs aigrettes, leurs ombelles, et cette épaisseur de racines, de filets aquatiques, de sédiment de tourbe, de forêts souterraines aussi - car la forêt n'est jamais qu'un empilement de forêts qui descendent au creux des terres - s'inscrit sur mon armure, je suis, dans la cuirasse, une rumeur d'eaux, de sèves de feuilles et de racines qui percent, et, à l'extérieur, pour le regard des rares vivants que je rencontre, un entrelacs, une illusion, une écriture...
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https://www.laprocure.com/product/1495062/le-guillou-philippe-brest-de-brume-et-de-feu
Brest, de brume et feu Philippe le Guillou Éditions Gallimard
©Philippe le Guillou pour la librairie La Procure Animation par Mathilde, libraire à La Procure de Paris
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