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Critique de DianaAuzou


PLUMES FEMININES 2022
Les bonheurs de l'aquarelle – Anne le Maître **

J'ai vu le livre sur un petit étal à l'entrée d'une librairie et en le feuilletant j'ai cru reconnaître et retrouver quelques uns des moments que je vis avec la peinture à l'eau. Je l'ai lu jusqu'à la fin, ai surtout relu la première page, une citation de Jean-Michel Maulpoix dans Une histoire de bleu, que je partage avec vous :
« Le ciel se recolore. Les arbres s'égouttent et le pavé boit. La ville aussi essaie de dire des phrases. Rires mouillés et pluie de pieds nus. On dirait que le paysage est tout éclaboussé de croyance.
On voudrait jardiner ce bleu, puis le recueillir avec des gestes lents dans un tablier de toile ou une corbeille d'osier. Disposer le ciel en bouquets, égrener ses parfums, tenir quelques heures la beauté contre soi et se réconcilier.
On voudrait, on regarde, on sait qu'on ne peut en faire plus et qu'il suffit de rester là, debout dans la lumière, dépourvu de geste et de mots, avec ce désir d'amour un peu bête dont le paysage n'a que faire, mais dont on croit savoir qu'il ne s'enfièvre pas pour rien, puisque l'amour précisément est notre tâche, notre devoir, quand bien même serait-il aussi frêle que ces gouttes d'eau après l'averse tombant dans l'herbe du jardin. » ! le poète s'arrête, regarde s'émerveille et la poésie naît, délicate et lumineuse.

Après cette introduction, le livre de Anne le Maître nous invite à vagabonder avec elle ses pinceaux et ses aquarelles, « la proposition du carnet de voyage. Une façon d'être au monde » p.13. le plaisir de saisir l'instant fuyant, la lumière joueuse, « pour retrouver le plein déploiement du temps qui s'oppose à celui du TGV, des avions, de l'appareil photo, le temps du regard qui découvre. »p.19. Je m'arrête déçue, la photo est-elle exclue de ce temps du regard qui découvre ? C'est vrai aussi que certaines photos, comme d'ailleurs certaines peintures font la course au TGV, mais pourquoi généraliser ? Et pour enfoncer le couteau dans la chair de la photo, Anne le Maître ajoute : « Et que faire d'une photo de pissenlit, d'ailleurs ? »p.22. J'ai envie de lui répondre, rien ! et plein de choses !, un moment fuyant saisi dans sa course, une éternité qu'une émotion lui prête un peu d'éphémère...
Je continue à la suivre dans son voyage de la peinture vagabonde, où Anne le Maître choisit le temps au ralenti avec ses yeux d'aquarelliste «Une question me vient : n'y aurait-il pas le même rapport entre dessiner et prendre une photo qu'entre aller à pied et prendre sa voiture ?  Il s'agit à chaque fois de revenir au plus près de l'humain .»
L'auteure, ne sait-elle pas que la photo peut être un long et patient chemin de recherche et d'attente, passionnant aussi et parcouru à pied  d'un bout à l'autre ?

Anne le Maître fait des réflexions sur le temps « il est essentiel d'en profiter plutôt que de gaspiller le maigre temps qui nous est imparti » p.23, et nous parle de ce que peut invoquer un dessin qui se profile sur la feuille blanche. Mais le temps de déguster un moment de rêverie est coupé court par la suite qui tente de nous rassurer : « invocation… il y a de la magie dans cette pratique-là. Rassurez-vous : pas de surnaturel... » et le fouet inutile me casse le rêve et tue la poésie… Comme si l'auteure était sans cesse en train d'analyser le travail poétique, celui des mots, de l'aquarelle, des émotions, « l'expliquer », comme si elle n'était pas dedans mais dehors pour tout contrôler. Elle s'érige en prof pour un cours de sensibilité  et d'une manière péremptoire elle nous dit « Ce n'est pas l'oeuvre qui importe, c'est le temps qu'elle retient en ses plis. » p.30. D'accord on a compris.
« Examinons un peu les mots qu'on utilise ; on dit par exemple prendre en photo. Il y a de la prédation dans cette expression au sens même où le support technique qu'est l'appareil réduit à presque rien l'interaction entre le sujet et celui qui déclenche la prise de vue. le temps d'un coup d'oeil. On cueillerait d'un geste aussi machinal une herbe sur le bord du chemin. Un peu de révérence, que diable ! »p.40. Et moi lectrice je sens monter la colère !
« Contrairement à une peinture à l'huile ou à un dessin au trait, on ne maîtrise jamais totalement une aquarelle. .. C'est ce côté aléatoire qui est fascinant.»p.45 Pourquoi, diable, n'a-t-elle pas développé ce qu'elle aime dans le travail de la peinture à l'eau ?

Une rêverie voulue appelle quelques phrases poétiques qui ont du mal à vivre avec des affirmations sans recours qu'elle lance depuis sa chaire surélevée qu'elle a du mal à quitter. Et à cela s'ajoutent deux ou trois renseignements pratiques sur les secrets des couleurs. Une référence à Pascal, une autre à Nicolas Bouvier et puis ce mot « zen » qui commence à fatiguer viennent « enrichir » ce patchwork d'amateur.
Mais nom d'un nom, où est le naturel qui revient au galop ?, où est ce sérieux qui ne se prend pas au sérieux ? Où le sel et l'humour ? Où est la poésie toute nue ? Pourquoi l'auteure l'a-t-elle encombrée d'un costard cravate ? « Arrêtons-nous sur un quai… laissons-nous envahir par le froissement des vagues... »p.59 .
Dans le même pot au feu, les émotions intellectualisées se mélangent avec la technique. Comment parler des émotions si on prend du recul, si on les analyse et les enseigne comme un programme d'éducation censé être bien fait ? « D'ailleurs on ne peint pas une chose, on peint une émotion… l'enfant le sait bien qui peint d'immenses soleils orange pour signifier que sa vie est joyeuse .»p.65 Je ne sais pas si l'enfant veut signifier que sa vie est heureuse, je crois qu'il nous dit que le soleil est grand !
Et Anne le Maître revient à la photo : « A la façon de la « mémoire de l'intelligence » de Marcel Proust, les photos ne viennent – ou ne devraient venir – que par surcroît, en guise de mémento . »p.67 pour l'accuser, presque, de tous les maux. Pourquoi ne voit-elle dans la photo la sensibilité qui dit bonjour à l'instant fuyant, l'oeil caressé par une transparence de porcelaine, un seul et unique moment ? La photo peut toucher quelques vérités aussi, dire des mensonges avec un naturel déconcertant. Quand il appuie sur le bouton le photographe peut s'approcher de l'unique trait du pinceau dont l'histoire le précède bien en amont.

« Bonheur de l'aquarelle qui transforme radicalement le rapport au temps du voyage et ouvre sur la réalité de nouvelles fenêtres. Grâce d'un geste qui propose, en faisant l'économie d'un passage par l'intellect, d'en appeler d'abord aux sens, permettant ainsi un rapport renouvelé avec nous-mêmes. » J'aime ce ressenti mais pas dans la façon dont il a été exprimé dans ce petit livre  Les bonheurs de l'aquarelle . Cette façon, l'aurais-je mal comprise ?
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