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Critique de davidomi


Arsène Lupin. Une histoire qui commence en livre pour enfants et finit en ouvre littéraire.

Les éditions Omnibus ont eu la très bonne idée de rééditer l'intégral des Arsène Lupin, soit 3 gros volumes de près de 1200 pages chacun (romans, pièces de théâtre, nouvelles...)
Finalement, après avoir gloutonné la vingtaine de romans à la suite, et malgré tout ce qui peut m'agacer dans la saga, ce qu'il y a de plus attachant ici ce sont les évolutions du personnage, à l'image sans doute du romancier et des époques traversées, la "couleur" des romans qui se transforment, de l'insouciance des années folles (insouciance enfantine) en passant par la noirceur des prémices de la première guerre mondiale (obligation d'être patriotique et haineux...) le retour à plus d'insouciance plus tard (en même temps qu'une certaine réconciliation entre l'auteur et sa créature)
Ce sont ces évolutions du personnage qui me font mettre un 4 étoiles, quand les premiers romans méritent tout au mieux une ou deux étoiles si ils sont pensés seuls... ce sont les fêlures qui apparaissent, les faiblesses chez celui qui se présentait comme un surhomme sans faille, les épreuves qui le transforment... et parmi ces faiblesses, la première de toute : sa propension maladive à tomber amoureux :
Quand on pense Arsène Lupin, on pense cambriolages, audace, aventures, mystère... mais le trait reliant tous les Arsène Lupin, ce sont ces sempiternelles histoires d'amour ridiculo-romantiques. C'est pour moi le côté le moins intéressant de l'oeuvre, à l'exception du face à face avec la Cagliostro, censé être les débuts d'Arsène Lupin, même si ce n'est pas le premier roman (et dans ce face à face, j'englobe le début des aventures mais aussi le point final, le dernier roman ou Lupin arrive enfin à faire preuve de recul même sur ce trait qui l'a si souvent rendu salement humain...)
L'ordre chronologique des écrits ne suit pas l'autre chronologique de la vie du héros ; d'ailleurs sa vie d'aventure commence avec sa encontre avec la Cagliostro après bien d'autres romans.
Côté écrits, tout commence façon roman de jeunesse, insouciance, grand guignol, d'un niveau de réalisme proche des blockbusters façon superhéros Marvel, sous la forme de nouvelles d'abord, éditées dans des journaux puis réunies en romans. Les aventures filent à toute vitesse (d'un fiacre au galop) et l'identification à ce super héros sans presque une faille est facile aux enfants et adultes régressifs... J'y vois un même public, que ces jeunes du tout début du vingtième siècle que ceux qui aujourd'hui se ruent au cinéma pour, le temps d'un film, imaginer qu'ils sont invulnérables, intrépides et téméraires en toutes circonstances, loin du monde réels où ils sont si fragiles , si paumés...
Arsène Lupin est déjà Arsène Lupin, voleur célébrissime d'une époque folle :
une époque où les femmes s'évanouissent à "tour de bras", pour un oui ou pour un non, où l'on pourchasse les méchants en calèche, où l'on s'éclaire à la torche dans des cavités secrètes, ces années folles pleines de chapeau hauts, d'anarchistes, de spectacles à plumes... une époque totalement désuète... et totalement jouissif à parcourir, comme un voyageur voyeur qui aurait trouvé par hasard dans un vieux grenier la machine de H G Wells... à travers cette époque qui crée toutes sortes d'anti héros, des "méchants attachants", (Chéri bibi, Zorro, Fantomas, héros et anti héros insaisissables, tout puissants... dont on aime à se penser partageant leur force inhumaine, leur absence de peur, mais dans lesquels on reconnait aussi en parallèle ses propres failles, noirceurs, ambivalences...) en cela plus complexes que les héros qui ont précédés dans la littérature populaire.
Si l'on s'arrête à ces débuts du gentleman cambrioleur (Arsène Lupin gentleman cambrioleur" et "Arsène Lupin contre Herlock SHolmes" (Leblanc qui dans un premier temps avait utilisé le personnage de Conan Doyle, pour des questions de droit aura recours à ce petit stratagème linguistique qui ne trompe personne et on comprend que Conan Doyle n'est pas apprécié ce que Leblanc fait de sa créature !!), en dehors de l'écriture qui elle est de qualité, et si l'on fait fi de ce côté "archéologique", tout cela ne semble présenter que peut d'intérêt pour un lecteur plus adulte en recherche de complexité.

Et pourtant, dans cet Arsène Lupin contre herlock Sholmes, le caractère plus complexe de Lupin s'ébauche doucement, (et c'et peu de dire qu'il a un côté pas attachant : arrogant, blessant, totalement autocentré...) Son plus grand plaisir semble être de ridiculiser le fameux enquêteur anglais (comme tous les autres protagonistes, ce qui amènera ceux-ci à commettre des actes violents)... le drame surgit de l'insouciance de Lupin vis à vis de tout autre que lui-même. Lupin se moque de tout ce qui n'est pas Lui.
Pour le lecteur du début (l'enfant) c'est juste le plaisir du "c'est pour de faux", du jeu d'enfant sans consistance ni gravité, et sans doute que son état d'esprit est proche de celui de Lupin, sans empathie pour les autres qui n'existent que pour éclairer sa petite personne.
Il est tellement facile de se reconnaître dans cet esprit chevaleresque qui fait succomber toutes les femmes (où une femme ne peut exister que parce qu'elle est une gourde à protéger) et en même temps d'une arrogance sans bornes, qui n'imagine pas devoir rendre des comptes pour ses actions ; n'importe quel petit garçon peut facilement reconnaître son point de vue sur le monde, la Fille et sur l'Autre qui n'est pas Lui.

Puis, au fil et à mesure que les romans se succèdent, Arsène Lupin devient de plus en plus mentalement instable, commence à nous présenter une personnalité plus complexe.
Dans "813" et "l'aiguille creuse" au début, pour la population, Lupin reste un amuseur, un magnifique mégalomane, Elle lui garde sa sympathie puisqu'elle suit les aventures en direct sans avoir lu le roman encore ; l'auteur parlant ici à la fois à la population du roman au moment des faits mais aussi au lecteur futur (au présent de ce lecteur). Ce voleur (qui dans la mémoire collective rappelle à la population d'autres malandrins célèbres) qui nargue les autorités et les puissants.... mais en même temps, dont le lecteur apprend peu à peu à voir le côté sombre de cet anti héros, pervers narcissique pour reprendre un terme à la mode. Un psychopathe. Comme un mari parfait qui en société saurait "donné le change", admiré et envié, et qui dans le huis clos de sa famille serait un tyran sadique pour sa femme et ses enfants.
Sauf que là, en tant que lecteur, on a un avantage sur la population du livre : on lit tout de ce que Lupin a dans le crâne, on se situe après les aventures (racontées par ce biographe officiel que serait Leblanc et qui aurait rencontré Lupin à plusieurs reprises)
On découvre en fait qu'Arsène est carrément fou... lui qui se pense comme le maître du monde, l'égal d'un César ou d'un Napoléon ; Lupin s'imagine un avenir politique gigantesque, étrangle la femme qu'il aime, manipule les gens jusqu'à susciter leur mort... comme si l'auteur voulait s'en prendre à sa créature, la faire détester du lecteur. Ou comme pour voir jusqu'où il peut aller et voir jusqu'où ces lecteurs sont encore en empathie avec ce héros qui se permet tout comme le ferait un enfant sans limites.
L'aiguille creuse
Peut être le plus connu des épisodes (mais pas le meilleur pour moi)
Ici, les maladies mentales du "héros" sont à leur paroxysme, Leblanc semble prendre bien du plaisir à déconstruire l'idée du héros sans peur et sans reproche (sans peur oui, mais côté reproche, là Lupin est très loin d'être tout blanc)
C'et un narcissique manipulateur qui n'hésite pas à massacrer la vie de ceux qui se retrouvent sur sa route et pas juste le renard roublard De La Fontaine.
D'ailleurs, tous les personnages ici sont des monstres d'orgueil, de vanité, tous plus détestables les uns que les autres, et Lupin est bien leur Maître. Lupin se retrouve face à un ado encore au lycée presque aussi vaniteux que lui (ce qui est peu dire !)
Ce roman a sans doute donné naissance à tout un pan de la littérature, du "Da vinci code" en tête : des enquêtes qui plongent leurs racines dans un passé historique (que les auteurs n'hésitent pas à tordre à leur sauce, leurs lecteurs n'étant pas très regardant sur la véracité et la crédibilité de ce qu'ils lisent)
Si la légèreté est encore présente dans l"aiguille creuse" il y a un tournant de gravité, au fur et à mesure que Lupin s'assombrit. Les fanfaronnades de Lupin font place au drame, à la méchanceté gratuite, à la haine et à plus de profondeur romanesque.
C'est la fin d'un cheminement, un Lupin meurt pour qu'un autre renaisse...

Dans "les confidences d'Arsène Lupin", on retrouve le ton badin des débuts, d'ailleurs ces nouvelles racontent le Lupin d'avant l'aiguille creuse et donc d'avant 813. le retour d'une histoire basée sur le mystère, une enquête pleine d'aventures... à laquelle on a enlevé certains scories déplaisant du début, moins enfantin, moins centré sur les bravades ridicules et puériles du voleur gentleman.
Même l'histoire d'amour finit mal, puisque il épouse sa bien aimée, mais celle-ci le fuit dans un couvent.
Dans "le bouchon de cristal", là aussi c'est un Lupin d'avant la noirceur. Un opus qui a pour une fois peu d'intérêt du côté de l'énigme. Reste un méchant encore une fois parfaitement construit, l'un des meilleurs de la saga, parce que lui aussi plein de failles, victime au final...

L'éclat d'obus
L'époque dans laquelle vit l'auteur s'invite avec fracas dans la saga : il n'est plus temps de glorifier un voleur plein de panache, aujourd'hui il convient de se montrer patriote et honnir l'envahisseur Allemand durant cette première guerre mondiale. le temps est à l'aventure guerrière
A la première publication de cet opus, Arsène Lupin n'apparaissait pas (puisque mort à ce stade de la saga) . Ce n'est que plus tard que Leblanc a ajouté des courts passages où survient l'aventurier (d''où la construction du roman) :
Quand Paul et Bernard sont de retour au château, Bernard s'étonne de l'incroyable "clairvoyance" de son beau frère ; il lui demande "As-tu fréquenté Arène Lupin" ?
A quoi Paul répond qu'effectivement, pendant son séjour à l'hôpital, un drôle d'individu était venu lui livrer un ou deux secrets, et que le personnage s'était présenté comme Arsène Lupin. Bernard répond alors : "Mais Arsène Lupin est mort"
- Avec ce bonhomme, on sait jamais" répond Paul.
Voilà qui suffit à en faire lors un épisode de la série des Lupin.
Il ne faut pas plus chercher la véracité dans ce récit de guerre durant la première guerre mondiale (les aventures d'un soldat qui veut retrouver sa femme) que dans les premiers Arsène Lupin.
On a ici définitivement quitté le ton enjoué et insouciant (presque enfantin) des débuts, ! (et en même temps c'est un certain retour en arrière, on s'adresse à nouveau aux enfants et adultes immatures, non plus en jouant et rigolant, mais en glorifiant le soldat héroïque)
Reste quelques marqueurs des romans de Leblanc : des super méchants, des tunnels secrets, des énigmes abracadabrantes et des complots, des trésors, des châteaux mystérieux... et une vraie écriture.
Bref de la littérature populaire bien faite.

l'île aux 30 cercueils
Des couches de mystère en veux-tu en voilà !
Cette fois Leblanc fait carrément dans le fantastique, voir l'horrifique (et très tard le roman devient parodie avec la survenue du druide et part totalement en vrille)
Leblanc fait "monter la mayonnaise" pour finalement aboutir à du grand guignol, par moquerie d'un genre à la mode (pas une grande réussite d'ailleurs, l'humour étant sans doute l'une des denrées les plus périssables qui soient)
C'est toujours aussi abracadabrant, mais bien moins tourné vers les enfants et ados des premiers épisodes.
Le roman fonctionne sur une architecture établie : on suit l'histoire de personnages en proie à un terrible ennemi sans pitié, et à la fin du livre débarque Arsène Lupin pour leur sauver la peau (au passage, Leblanc ne lésine pas côté massacres sanglants)
A la moitié du roman, on entend parler de Patrice Belval, le soldat héros du précédent Leblac : l'éclat d'obus) qui lui même nous dit qu'il a un ami extraordinaire pour dénouer les pires énigmes. C'est encore du Lupin sans Lupin. Il y "apparaît" via une lettre (et le personnage du vieux druide totalement barjot)
Quel méchant opposé à cet Arsène Lupin qui se prend à la fois pour Napoléon et Jules César ? le problème semblerait irrésoluble, mis en fait c'est très facile : un autre cinglé qui se prend lui pour Attlila, "le fléau de Dieu".

le triangle d'or
Encore un livre faisant partie des aventures extraordinaires d'Arsène Lupin alors que le cambrioleur y est encore moins présent. A peine est-il évoqué au début quand les protagonistes passent devant une maison où le cambrioleur a officié par le passé.
On retrouve le ton léger et "humoristique" des premiers temps, notamment dans les rapports du héros avec son acolyte noir (scènes oh ! combien ! racistes, comme on savait le faire au début du vingtième siècle en Europe, le bon nègre étant, selon les moments, un enfant immature, un attardé ou un chien)
Cela se passe toujours pendant la seconde guerre mondiale et cette fois c'est de l'or de la France dont il est question (plus évidemment l'obligatoire histoire d'amour, pour la première fois ici ennuyeuse et vraiment trop ridicule. le héros a beaucoup de traits similaires à Arsène Lupin, notamment cette arrogance et ce pouvoir de séduction sur les autres, qui lui permet d'être obéit de tous, incapables de résister...
Le retour d'Arsène mais aussi sans doute le moins réussi de la saga.

Les dents du tigre
L'ex anarchiste est devenu un bon patriote, un bon citoyen.
Le plus mauvais des épisodes.
Encore une fois Arsène Lupin tombe amoureux de la femme de sa vie (à ce stade j'ai perdu le décompte des femmes de sa vie)

Les 8 coups de l'horloge

Encore une histoire d'amour totalement nunuche.
On retrouve ici le format recueil de nouvelles des premiers épisodes. Dans l'une d'elles, Lupin est confronté à une tueuse en série digne d'une série TV d'aujourd'hui.

La contesse de Cagliostro
Peut être le plus adulte des Arsène Lupin, certainement la plus belle des histoires d'amour pour Lupin. le triangle amoureux est un petit chef d'oeuvre et les sentiments des personnages n'ont plus rien à voir avec les facilités des débuts.

La demoiselle aux yeux verts
Comme presque à chaque fois, une histoire d'amour grotesque. Arsène rencontre ce qui doit être sa vingtième femme de sa vie qui va forcément succomber au charme impitoyable du héros. Opus qui ne mérite pas le détour.

Le bouchon creux
L'un des intérêts des Lupin, c'est le mystère et les solutions que nous apporte Leblanc. Quand le mystère fait "pchitt" difficile de faire alors un bon épisode.

La maison mystérieuse
Et là au contraire, un des bons opus, parce que le mystère et sa résolution sont à la hauteur des attentes des Lupinophiles.

La barre-y-vas
Cette fois, l'obligatoire et horripilante histoire d'amour étant cantonnée aux premières et dernières pages, l'opus se lit plutôt avec plaisir. de l'aventure, des décors étonnants, des énigmes qui reposent sur des "vérités"... tout ce que demande le peuple !

Victor de la brigade mondaine
Un autre bon épisode de la série, même si finalement Lupin y est plutôt absent (et toujours présent en même temps puisqu'il est le fameux Victor, ce que l'on sait pratiquement qu'à la dernière page et que le Lupin de cet épisode est en fait un usurpateur)
Ici, pas de château mystérieux, d'énigmes historiques... On suit les pérégrinations et le point de vue de ce Victor à la poursuite d'une belle et mystérieuse inconnue.

La Cagliostro se venge
La fin de Lupin...
Avec une préface du voleur qui vient, comme un testament, atténuer tous les côtés qui m'énervaient dans la série (comme les histoires d'amour ridicule) en accusant son biographe MauriceLeblanc d'en avoir "trop fait", comme pour le côté flamboyant et narcissique du héros. Faisant de ce "super mâle" un super ridicule".
La sage se finit dans l'apaisement, le héros est posé, sans plus de morgue, de condescendance. Il arrive enfin à se mettre à la place des autres...
Ce n'est pas l'épisode le plus palpitant, le plus énigmatique, le plus "remuant", mais bien le plus attachant.
En étant sans doute en paix avec lui-même, Maurice Leblanc a un regard enfin bienveillant sur Arsène. il offre aux lecteurs qui l'ont accompagné pendant des décennies une fin sans colère, sans éclats et sans morgue. Une belle fin en somme...





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