Le fou de l'île

- La tolérance. À mon âge, je ne savais pas trop ce que c'était.
- C'est quoi? Je l'ignore aussi.
- Accepter l'autre, les idées de l'autre, ne pas le vouer aux enfers parce qu'il pense autrement que toi. Comprendre le voleur, la fille de vie, l'adultère, le dernier de classe, tu vois?
- Je vois. Être large.
- Sais-tu comme qui?
- Non.
- Comme le Christ.
- Oh!

- [...] Un homme qui ne cherche rien c'est pas bon. Pour vivre, il faut chercher. Quand on cesse, on meurt, hein?

Mourir à une tâche irréalisable est préférable à vivre sans heurt comme un incliné.

A un pauvre il lui faut peu de chose pour que ce lui soit de l'extraordinaire.

Il n'y a pas de bouche qui parle mieux que les lèvres du silence.
Je suis chez moi dans la pauvreté des bruits... Comme je méprise tout ce que je possède ! Comme est pauvre ce qui est humain ! Le bonheur que je cherche me fait mourir. Je m'en irai par le sentier inconnu, je gravirai la montagne chauve et sur un caillou élevé où l'on voit la terre à ses pieds, je chanterai la richesse de celui qui n'a rien.

Et le garçon blond, carquois sur l'épaule, descend les marches du phare et retourne chez lui, seul, laissant sa petite soeur entre ciel et terre. Depuis plusieurs matins qu'il revient, seul, Yose s'attarde en haut de la tour avec le vent qui gonfle ses jupes et mêle ses cheveux jusqu'à ce qu'elle soit ivre de vent. Et cette manie qu'elle a de tenir son coeur à deux mains depuis quelques temps. Elle chancelle, elle est lourde et penchée comme un brin d'avoine un matin de grosse rosée.

Henriot lit à a lueur du feu...
- «Solitude, chère solitude
Le passereau qui gémit dans son lit solitaire.
La paresseuse source caressant la prairie,
Le petit pont de bois sous le soleil.
L'avoine qui germe au bord de la forêt.
Le silence est le couloir qui mène à la vérité.
Il n'y a pas de bouche qui parle mieux que les lèvres du silence.
Je suis chez moi dans la pauvreté des bruits... Comme je méprise tout ce que je possède ! Comme est pauvre ce qui est humain ! Le bonheur que je cherche me fait mourir. Je m'en irai par le sentier inconnu, je gravirai la montagne chauve et sur un caillou élevé où l'on voit la terre à ses pieds, je chanterai la richesse de celui qui n'a rien.»

La bagnole roule longtemps puis s'arrête dans la brume qui a mouillé les herbes. Le fou descend.
- Fais-moi arrêter comme agitateur.
Le fou a plongé dans le noir vers les fonds. Il y a du silence par là, plein les abîmes, des coulées de silence, des précipices de silence, des puits de silence, où le fou se sent comme dans les jardins d'un homme puissant et doux, mais il est seul. Et ce silence qui aura le dernier mot, lui fait peur.
Jubiau regarde la lune qui est sur le pignon de la maison. Il a envie de décrocher la lune, de demander pardon au fou, mais un bouillon lui monte en surface :
- J'ai autre chose à essayer.
Et il s'en va seul dans sa bagnole, dents serrées, avec la guitare qui saute sur le siège arrière et se plaint.

Sous la véranda bouge une forme...
Le fou aperçoit une lourde chevelure plus brune que la nuit dans laquelle une fleur blanche est piquée. Deux yeux, grands et verts comme ceux des fauves. C'est la femme à peau blanche comme lait...
Elle a servi le vin en se déplaçant, onduleuse comme une fleur des pics...
Elle est disparue dans la maison, nonchalante comme une louve. Les deux hommes s'en vont. Et quand la bagnole a démarré, la silhouette de la femme était dans la fenêtre buvant son verre et ses cheveux étaient roulés autour du verre comme si elle embrassait quelqu'un.

- J'aime les choses insensées, j'attendais les choses insensées. Je te souhaite les choses insensées.
- Te voilà bien insensé, et pourquoi ?
- Parce que les choses sensées, les choses qui sont admises et acceptées sont souvent bêtes.
- Comme quoi par exemple ?
- Condamner au cachot le père de famille qui a volé cinquante piastres à la banque et médailler le célibataire qui a ramassé son million chez les pauvres... Forcer l'homme à tuer l'homme qui ne lui a rien fait ... Le tigre ne tue pas le tigre qui ne lui a rien fait. Moi, je suis fatigué de la laideur acceptée.
- Il t'arrivera malheur, Salisse.
- Qu'il vienne. L'homme heureux est hypocrite.