Suite de "
Pieds nus dans l'aube" (publié en 1946), dont l'action se situe à La Tuque, village natal de Félix Leclerc, "
Moi, mes souliers" (publié en 1955) raconte principalement les débuts de sa vie d'artiste.
Malheureusement Félix a choisi d'écrire ce roman autobiographique en utilisant une espèce d'allégorie qui met fort maladroitement en scène des "personnages/lièvres". Et à la longue, ce douteux procédé littéraire devient tout simplement insupportable et prive le lecteur du plaisir du récit de la vie de Félix. Je cite au passage, une critique que faisait du livre
Gilles Marcotte en 1955. "On se dit que la fable durera juste ce qu'il faut, le temps d'une enfance campagnarde. Mais allez, l'auteur n'abandonnera un procédé si commode, si pittoresque et si « naturel »: ce sont des lièvres-hommes-de-théâtre, des lièvres-chefs-d'orchestres, des lièvres tunisiens, français, des lièvres-curés, des lièvres partout (une bonne note pourtant: on ne parle pas du lièvre-pape!... ). Bien avant la fin, moi aussi je me sentais lièvre: j'avais une furieuse envie de détaler."
L'écriture n'est pas pas aussi coulante que dans "
Pieds nus dans l'aube" et elle est souvent un peu boiteuse. Il y a malgré tout plusieurs détails savoureux, comme lorsque Félix va s'acheter de nouveaux souliers et qu'on lui vend plutôt un chapeau, lui dont la tignasse s'accommodait bien mal d'un pareil couvre-chef. Et encore, cette visite d'une station de radio de Québec qui se termine par une offre d'embauche de Félix comme annonceur parce que celui-ci était trop gêné pour dire qu'il ne désirait que visiter la station et non y travailler.
Il y a aussi ce touchant passage où Félix, en tournée dans les régions de France, raconte qu'au sortir de l'autobus un tout jeune enfant l'aborde en lui demandant s'il est bien
Félix Leclerc. Il lui dit "Comment tu me connais ?" Et l'enfant de répondre: ".. et je connais toutes vos chansons". "Et laquelle préfères-tu", reprend Félix. "Bozo" répond l'enfant.. "Tu veux qu'on la chante ensemble" de répondre Félix. "Je fais un saut dehors, je tire la guitare de l'autobus, je reviens, je m'installe, je donne le ton, je démarre. Et voilà le petit (qu'on aurait juré sorti la veille de la Manécanterie de Mgr Maillet) qui, avec une splendide petite voix d'alto, bras croisés comme à l'école, me regarde et chante impeccablement. J'improvise une partition, on chante tous les deux, et vraiment je découvre un Bozo que je n'avais jamais vu qu'en rêve. Il me semble que j'entends un violon, une trompette, une autre guitare, une flûte, je me retourne, les musiciens de la tournée, en sourdine, ont bondi vers le car chercher aussi leurs instruments et nous accompagnent en deuxième plan. Il y a rassemblement devant l'auberge. Un moment de poésie et de recueillement si délicieux qu'on hésite à le briser. Chante l'enfant comme l'alouette et chantent les adultes, écoutent les vieux et les vieilles et les tout petits et les paysans et les commerçants et les filles du bar. Il n'y a plus de foire, ni de pays, ni de soleil, il y a cette chose qu'on appelle le rêve, qui vous desserre le poing et vous arrache le coeur."