Mon visage est impardonnable. Ma laideur m'isolera jusqu'à ma mort. Je recommencerai seule les journées. Ne pas faiblir. Je me détourne vite de la laideur d'un autre parce que la fraternité est trop cuisante. Quand un être au visage ingrat s'assied à côté de moi dans le métro, je suis dans les noces de sang. Alors je change de place. J'ai adopté le comportement indifférent pour la laideur des autres. La preuve de mon respect le plus profond.
L’orgueilleux est un homme couvert de plaies. Il est une grotte dans laquelle le sang suinte sans discontinuer. Je m'étais lancée sur cet homme avec la franchise et des épines dans les mains. Je croyais que l'amitié le permettait [...] Quand je le revois, il m'accorde un bonjour mais c'est moi qui fut la plus cruelle. Je suis coupable d'avoir réfléchi trop tard à la condition sanglante de l’orgueilleux [...] Il ne me sera pas accordé de découvrir et de respecter chez lui de nouvelles plaies. On dit que c'est un homme fort. C'est un homme qui se bat avec des mains à chair vive. Les expériences humaines les ont dépiautées. Elles frappent mais elles saignent. Cet homme est dur parce qu'il a vécu.
J'ai vu des abats-jour invendables. On les avait alignés sur un rayon d'une arrière-boutique. On ne les avait pas serrés les uns contre les autres. Leur laideur ne se froissait pas. Mon visage est un abat-jour invendable, mais je n'ai pas d'arrière-boutique pour le dissimuler.
Je me perdrai de vue. Je serai la prairie dévoilée parce que l'aube élargit le monde. Je me suis approchée du dégât. Je ne me vois plus. Je m'écoule entre les berges.
La pluie a commencé comme une inspiration. On déverse des confidences sur les toits. La pluie est là. La tristesse ne picote plus ma gorge. J'éteins ma lampe. La pluie se presse. Des grosses gouttes tombent sur le carton bitumé du hangar. C'est majestueux.
Il est parti. Je vois encore son dos. Son dos est parti. J'ai posé mes pieds dans le dessin de ses pieds, mais tout me quitte. On ne peut pas décalquer une présence.
L'émotion a vadrouillé en moi. Mes oreilles bourdonnaient et m'isolaient. Elle me parlait au téléphone, j'étais sourde parce que j'étais émue. Je me suis laissée tomber au fond de l'événement. Au téléphone, entre sa voix et la mienne, entre sa bouche et la mienne, il y a la mer. Elle a dit: "Ne m'appelez plus, Madame..."
Donne-toi à l'événement. Sois le fruit rond qui se donne au soleil. Dans l'arbre, il résiste malgré le vent et les orages. Il mûrit avant de rougir. Il rougit avant de tomber. Donne-toi encore à l'événement.
Aimer est difficile mais l’amour est une grâce.
Je sais que, la nuit, je peux sortir de mon lit, retrouver l’arbre, l’enlacer, avoir ma joue griffée par son écorce. Je peux le faire jusqu’à ma mort. L’arbre ne me répudiera pas. J’ai confiance en son indifférence.