C'est en Perse que j'ai tenté de puiser un peu de raison à ce titre, à ce récit .
«L' amour qui ne ravage pas n'est pas l'amour » nous dit le poète, mathématicien, et grand philosophe
Omar Khayyâm.
Soit...
Mais alors, quel est donc le nom, le visage de cet amour qui a commis de tels
ravages sur un être? le premier. le premier venu. Celui d'une mère omniprésente, abusive. Celui d'un père manquant, absent.
Dans le règne animal, l'amour parental est peut être une règle dictée par le devoir de l'espèce, mais en ce qui concerne l'humain il n'est pas une donnée constante. L'amour a ses codes, ses lois, son verbe. Aimer ce n'est pas s'accoupler, même si cela peut parfois, très souvent, en être la preuve.
Comment lorsque l'on a pas de repère, lorsqu'on a pas le langage, lorsqu'on ne connait pas les gestes, comment aimer, comment être aimé, comment savoir si on aime et si on est aimé dans le sphère que l'on doit partager avec les autres ?
Aimer pour ce que l'on donne, ce que l'on accepte de recevoir, aimer pour le plaisir d'aimer, aimer pour le plaisir de l'autre, pour son unique plaisir ?
Comment fait le petit d'homme, ce petit « bonhomme » qui n'a pas reçu l'apprentissage de l'amour ? Lorsque que la dissociation ne peut pas se réaliser du seul fait qu'il n'y a jamais eu l'acte premier de fusion ?
Dissocier ce qui n'a pas été lié, mal tissé, ou extrêmement enchevêtré paraît presque impossible. Pourtant il va bien falloir parvenir par n'importe quel moyen, arriver à se dissocier de n'importe quels bras, ne n'importe quel corps.
Quels
ravages tout cela peut il provoquer sur une vie ?
L'enfant qui n'a pas reçu cette éducation à l'autre devra tenter d'apprendre seul et parfois à ses risques et périls comment aimer peut être vécu.
Aimer, il sait, il le désire, mais comment le rendre audible, lisible, palpable, compréhensible ? Comment sortir de cet autisme provoqué par le rejet ?
C'est réalisable. Après tout, l'acte d'amour est l'acte le plus personnel qui soit, un acte naturellement humain, du moins le plus souvent.
Une signature propre à chacun. Faut il encore que la main ne soit retenue par rien.
On retrouve la frappe de Leduc, l'avalanche de ses mots, de ses couleurs, des lumières, des sons, des odeurs, des étoffes, l'autel de son enfer.
L'intensité de ce qui la saisit et la traverse est le reflet de ce mal qui est enfoui dans son ventre et de cette peur panique de l'abandon provoquée par l'effroi d'une séparation que l'on se dit toujours inévitable.
Car chez Leduc, comme chez beaucoup de ces enfants en mal d'amour, le syndrome de l'abandon est constant.
On s'accroche, avec ses crocs, ses griffes à en atteindre le point inévitable de la rupture, le point critique, le point de fusion.
Ou alors on quitte, ou bien on est incapable de construire une relation sans la penser vouée d'avance à l'échec, ou, on choisit des amours impossibles. le schéma est toujours le même : souffrir plutôt que d'en crever.
Berthe, la femme qui subit l'enfant – Violette la femme qui désire sa mère.
Au péril de sa vie, mais à cette époque aurait elle eu d'autre choix.., elle choisit de ne pas répondre à la promesse d'enfant que la vie lui adressait. Elle choisit de tenir la promesse qu'elle a faite à sa mère, une profession de foi : elle ne sera jamais mère.
C'est là le premier acte de dissociation.
Risquer d'en mourir pour ne pas en souffrir...
Ravages.
La dissociation elle la réalisera également par l'écriture. Sa plume est une main qu'elle saisit et qui ne la lâchera pas.
« J'étais seule, enfin seule». le cordon se rompt, par enfant interposé.
Voilà le visage de cet amour ravageur, dé-constructeur.
C'est puissant, fulgurant, extrême, tragique, passionnel, charnel.
Il y a très peu de pages dans la littérature qui aient ce parfum là, cette résonance là, cette poésie, cette vérité. L'amour mis à mal, mis à nu, mis en brûlure,en sang, en cendres, dans la lumière de la nuit. C'est une écriture d'être et de matières. Une véritable signature. Une tragédie.
«Tu peux sonder la nuit qui nous entoure.
Tu peux foncer sur cette nuit... Tu n'en sortiras pas.
Adam et Ève, qu'il a dû être atroce, votre premier baiser,
puisque vous nous avez créés désespérés! »
Omar Khayyâm.
Astrid Shriqui Garain