Encore une fois (car j'avais déjà lu
Ar-men, enfer des enfers paru en 2017) , je vais saluer l'admirable travail d'Emmanuel Lepage, avec ce très beau roman graphique, hommage à ces marins qui traversent l'océan indien pour ravitailler les iles des Terres australes et antarctiques françaises(TAAF), les mythiques îles de la Désolation (Kerguelen, Crozet, Amsterdam, Saint Paul) en denrées alimentaires, gasoil...
C'est aussi un hommage à ces scientifiques, isolés de tout, qui acceptent ces missions (ornithologues, climatologues, observateurs du ciel, des satellites, etc...)
Février 2010, alors qu'il doit partir en vacances avec sa famille, Manu (l'auteur) reçoit un appel téléphonique de François, photographe,qui lui propose un voyage de 30 jours sur le Marion Dufresne, dessiner ce qu'il voit et proposer ce projet au magazine maritime le Marin.
Ça ne se refuse pas, et le voilà embarqué !
Tout marin a dans la tête Les sombres Kerguelen, la maudite Tromelin, les 40eme rugissants, ses mers immenses et désertiques, ses déferlantes gigantesques, ces ouragans... C'est loin, innacessible, cette nature indomptée a quelque chose d'effrayant, de quasi mythique !
Et c'est cette force, cette puissance sauvage qui ressort de ces magnifiques planches, entre fusains noirs et blancs pour les portraits de marins et scientifiques, des paysages rocheux en aquarelles de teintes minérales, des sepias pour le passé qui nous content la conquête de ces terres qu'on pensaient être la nouvelle Amérique au 17eme siecle...
C'est beau !
Et comme "
Ar-men" montrera le génie et la détermination de l'homme, capable de construire des phares, balises indiquant les dangers, protégeant les marins du naufrage, ici Emmanuel Page nous montre ce qu'il y a de plus noble dans la mission de service public, comme livrer des légumes frais à des milliers de kilomètres...
Absurde ? Inutile ? Complètement à contre courant de la pensée écologiste actuelle ? Peut être, mais il faut bien assumer cette présence humaine. Alors ce livre témoigne de ses hommes et femmes passionnés qui y sont pour la science.
Au climat dur, pluvieux, tempétueux, aux conditions de vie plutôt spartiates E. Lepage ajoute un ton grave, parfois revendicatif, car même là, et surtout là peut être, l'État donne peu à ces envoyés de la civilisation, à ces colons de la mer....
Les regards des portraits sont lointains comme échappés du monde, à la recherche d'un rêve impossible, ou d'une mémoire trop enfouie. Ces communautés solidaires de marins, de scientifiques oubliés du monde sont rattrapé par un clownesque "vive la République" d'un représentant de l'Etat de passage....
Je recommande vraiment ce très beau roman graphique aux esprits voyageurs, aux chercheurs de paysages vierges, isolés, et amateurs de bonne BD !