La Tannerie de
Celia Levi, un roman social qui dénonce l'imposture du monde du travail contemporain
J'ai lu ce roman dans le cadre du Prix du Roman des Etudiants Télérama &
France Culture, je fais en effet partie du jury pour cette édition ! Je suis ravie d'avoir découvert ce roman et cette autrice à l'occasion car je ne suis pas sûre que je l'aurais lu autrement.
Au début, je n'ai pas aimé ce roman, non pas parce qu'il était mal écrit, mais dans le sens où il je sentais que ça n'était pas une lecture plaisir mais plutôt politique, un peu froide et hermétique, car tout comme l'héroïne Jeanne, on se sent perdu et extérieur à l'action, comme si on était voué à échapper au coeur de l'histoire pour toujours. On suit en effet une héroïne qui est très romantique, en retrait de l'action et toujours dans l'observation. La narration, comme contaminée, paraît donc au début peu dynamique, empotée ou empêtrée, et assez endormie. Elle reste aussi impersonnelle finalement, bien que racontée du point de vue de Jeanne. le monde dans lequel elle pénètre, celui de
la Tannerie, et par extension le monde du travail et de la ville, lui semble opaque et elle lui oppose une attitude un peu endormie, niaise, mollassonne. Jeanne a ainsi des difficultés à s'intégrer dans ce monde nouveau dont elle ne comprend pas les codes, et dès le début elle se perd, littéralement, et se sent fatiguée. Elle n'ose pas poser de questions de peur de se révéler inculte et de perdre sa place. Elle rêve d'amitiés fortes, mais a une fausse idée des liens qui l'unissent à ces collègues de
la Tannerie. Sa solitude est lourde, pesante. de même, lorsqu'elle assiste aux spectacles avec ses collègues, elle ne les comprend pas et se retrouve de nouveau en décalage avec les autres. Finalement, elle ne parvient jamais vraiment à comprendre les codes, et est donc condamnée à répéter le même discours pour présenter
La Tannerie aux visiteurs. En réalité, Jeanne est toujours extérieure à l'action, cantonnée à un rôle d'observatrice, et on ne sait jamais ce qu'elle pense. A travers elle, l'autrice
Celia Levi souligne le décalage des codes campagne/ville et a fortiori avec les codes très parisiens des autres membres de
la Tannerie, qui semblent à Jeanne extraordinaires de bon goût et d'élégance, lorsqu'ils ne semblent être que des attitudes très convenues et snobes.
Dans ma lecture, j'ai eu l'impression qu'il y avait deux parties dans le livre: une première durant laquelle je me suis un peu ennuyée, car je me suis sentie toujours en dehors de l'action, et une deuxième, qui m'a davantage embarquée dans l'histoire et où j'ai pris davantage de plaisir à lire ce roman. C'est en effet à partir du moment où Jeanne est intégrée dans le groupe des techniciens et des employés de
la Tannerie qu'elle paraît un peu moins niaise, elle semble avoir davantage de recul sur certaines choses et comprendre qu'elle est en décalage avec les autres. Sa passion pour Julien, un de ses collègues, qui tourne à l'obsession, donne un intérêt nouveau à l'intrigue, même si elle ne fait que renforcer la naïveté de Jeanne qui se fait l'archétype de l'Emma Bovary de notre société contemporaine. Une héroïne plongée dans ses fantasmes toutes la journées et qui fait tourner toute sa vie autour d'une image idéale de
la Tannerie, sans voir que derrière ce nouveau lieu culturel se cache toujours un espace déshumanisé de lutte, précarité, compétition, violence et brutalité. Jeanne, par son manque de clairvoyance et par ignorance des codes de la société urbaine qu'elle découvre, devient finalement la victime de ce système inhumain.
En conclusion, j'ai beaucoup aimé cette lecture malgré une entame un peu difficile, l'écriture de
Celia Levi est très forte du fait de descriptions précises et d'une narration maîtrisée, elle sert parfaitement bien sa critique de la société et du système du travail absurde et vain, qui reste opaque à qui n'en maîtrise pas les codes. Je le recommande fortement !
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