Voilà une lecture qui a su me provoquer des sentiments très différents. Tout d'abord je dois l'avouer j'ai cru tomber dans le cliché de la provinciale qui « monte » à
Paris pour son premier boulot. Mais la plume de
Celia Levi est troublante de réalité et je me suis revue moi-même arrivant dans la capitale pour mes études : la démesure, l'esthétisme, le foisonnement culturel, le charme incontesté de
Paris, les flâneries. Alors j'ai pris plaisir à suivre notre héroïne, à partager son quotidien à
La Tannerie. Mais là-bas, l'ennui et une atmosphère malsaine d'inconsidération des employés noient peu à peu les rêves de Jeanne. Car Jeanne n'a aucun projet. Alors elle laisse ses pensées lui inventer une vie, un boulot plus épanouissant, un amour imaginaire, cela en devient presque dérangeant.
J'ai beaucoup aimé ma lecture et vous la recommande sans hésitation. Malgré ce frôlement permanent des clichés et une mélancolie déstabilisante, l'autrice a su dépeindre une jeunesse exaltée trop vite brisée, un monde du travail dénué d'humanité, un
Paris empli de rêves et de désenchantements.
Celia Levi sait trouver les mots pour retranscrire des émotions et des situations qui peuvent nous paraître communs, voire même stéréotypés, et cette authenticité dans l'écriture donne de manière ambivalente un sentiment de justesse : la difficulté à s'intégrer dans un groupe, le besoin de se sentir exister aux yeux des autres, l'importance accordée au choix d'un vêtement, les mille fantasmes qui peuvent découler de l'effleurement d'une épaule. J'ai retrouvé dans
La Tannerie le
Paris qui m'a à la fois conquise et lassée. Les lieux où je sortais moi-même : la Gare, les Petits Tonneaux, le
Rosa Bonheur dont j'avais aussi entendu vanter les folles soirées. Les interminables balades parisiennes au cours desquelles je me laissais porter par un bâtiment étonnant, un détail caché, un jardin inattendu, parce que les rues de
Paris regorgent de surprises et attisent la curiosité. Et puis le poids du paraître, des faux semblants, le mépris souvent dévoilé, la nécessité de briller par un détachement feint et l'empressement qui nous ferons nous éloigner petit à petit de cette frénésie prétendument élitiste. Les réflexions sur le travail, l'ambiance anxiogène, la sensation d'être épiés, ce travail qui est loin d'être épanouissant mais qui permet de garder le lien social sacré – « le lieu c'est le lien » – alors on s'y raccroche, on s'acharne, on s'implique dans des mouvements de protestation qui rapidement perdent pied.
Celia Levi a su représenter tout cela avec finesse, dans un ouvrage touchant et engagé.