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Citations sur La vie solide (53)

En revanche, l'apprentissage d'un métier artisanal et sa pratique régulière au fil des ans m'ont donné une sorte de boussole pour agir, dans la vie professionnelle comme personnelle.
Dans mon cas, ce fut la charpente. J'aime le travail en hauteur et l'attention totale qu'il impose à chaque mouvement. J'aime la simplicité de ses gestes, et ces moments de grâce où surgit la symbiose dans une équipe. J'aime le contact physique avec le bois franc. Et plus que tout : j'aime travailler au grand air, juste sous le ciel. C'est une question d'affinités, et d'autres tempéraments trouveraient leur bonheur avec d'autres modes de travail, d'autres gestes, d'autres degrés de précision, d'autres maté-riaux. Voilà pour le côté concret des choses, et c'est déjà beaucoup.
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À l'inverse de ce cliché du chirurgien tendant la main en ordonnant qu'on lui donne un bistouri, les charpentiers attentifs les uns aux autres peuvent se passer les objets sans même avoir besoin de les demander. Les gestes s'enchaînent, les outils passent d'une main à l'autre, on sait que l'autre comprend le mouvement que l'on est en train de faire, on sait que l'autre sait, et l'on savoure le silence qui vient couronner cette compréhension mutuelle dans le travail. Alors, quand quelqu'un doit reprendre la parole pour compenser un petit malentendu, on a le sentiment que le charme s'est rompu, comme une balle de ping-pong qui, au terme d'un échange intense et long, finit malheureusement par manquer la table et va rebondir sur le sol.
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Avec la lenteur de progression caractéristique de l'artisanat, on voit peu à peu s'étendre le périmètre de sa maîtrise. Et c'est une joie très intense de réaliser de plus en plus correctement des opérations qui, sans être faciles, ne poussent pas entièrement dans les retranchements, mais permettent d'asseoir la maîtrise d'un geste toujours améliorable. L'expression « sortir de sa zone de confort » est une forme de dénigrement de cette maîtrise, et nous fait culpabiliser de prendre du plaisir à faire et refaire ce que nous savons faire. Je me lance dans cette nouvelle tâche, je connais les difficultés qui peuvent se présenter, je les anticipe et les surmonte mieux que la fois précédente.
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Ce n'est pas un hasard si la figure de l'artisan connaît ces dernières années un retour en grâce [...].
D'abord parce que l'artisanat est très vivant et fait constamment voler en éclat l'opposition apparente entre tradition et modernité. Sur un chantier de charpente, il n'y pas de choix entre les anciennes techniques et les nouvelles. Il y a toujours un savant mélange des unes et des autres. La pratique de la charpente, en particulier, nous enseigne qu'être à la pointe de la modernité n'implique pas de renoncer aux techniques vieilles de plusieurs siècles. [...]
En charpente comme ailleurs, cette hybridation ouvre de nombreuses possibilités nouvelles. On serait bien inspiré de les explorer. Le diagnostic des réactionnaires de tous bords, selon lesquels il n'y aurait plus de pères ni de repères, pourrait bien avoir quelque validité. Il nous appartient d'en concevoir non pas du fatalisme, mais des raisons et des modalités d'agir en inventant, en hybridant, plutôt que de faire retour au seul temps long des traditions, ou en fonçant tête baissée dans l'innovation pétrifiante.
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Le philosophe Bernard Stiegler compte parmi ceux qui dénoncent aujourd'hui avec le plus de véhémence la vague universelle et généralisée de prolétarisation des ouvriers et des populations. Par prolétarisation il désigne le processus de perte de savoirs auquel on assiste depuis le début de la révolution industrielle. Chez Marx ce processus d'aliénation correspond à l'extériorisation du savoir dans les machines. Pour Stiegler, ce phénomène s'étend à l'ensemble de la société.
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C'est dont le fait de savoir faire qui permet de se sentir responsable. Cela apparaît clairement dans la valorisation de l'expérience et de l'approfondissement des savoir-faire qui caractérise l'artisanat : le souci de bien faire croît à mesure que l'on comprend comment se font les choses.
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Or qu'est-ce qui distingue les savoirs traditionnels des techniques modernes inventées en bureau d'études et testées en laboratoire ? C'est que la tradition est l'accumulation de réflexions et d'expérimentations validées par l'épreuve du temps.
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En matière d'artisanat, il y a des gestes plus ou moins maîtrisés, des façons de faire individualisées, mais il n'y a guère de méthodes miracles ou d'innovations disruptives. Les bons gestes de la construction artisanale ont une durée incompressible qui s'oppose à une amélioration continue des performances. Cela ne veut pas dire que l'on chôme, bien au contraire : on consacre ce temps que chacun sait nécessaire aux différentes tâches - ce temps qui contribue à leur donner de l'importance.
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Que peut-on bien vouloir dire quand on oppose le travail manuel au travail intellectuel ? Que travailler avec ses mains ne mobilise pas le cerveau ? L'opposition binaire empêche de comprendre ce qu'est la pensée matérielle. Ce n'est pas "penser avec les mains", comme le voudrait cette expression charment mais elle aussi binaire. La compréhension physique de la matière, dont on a déjà parlé, n'est pas le seul fait de la main. Elle naît de l'interaction constante entre le cerveau, la main et l’œil, mais qu'on ne peut situer dans aucun de ces organes en particulier. Elle s'ancre dans le corps sous la forme d'un sentiment, d'une intime intuition. Et cette compréhension physique de la matière ne suffit pas : il faut l'articuler pour la transformer en mode d'action. La compréhension devient alors savoir-faire.
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Car, s'il y a une satisfaction qui relève de l'orgueil à contempler son ouvrage, ce n'est pas une fierté de soi mais de son travail, c'est-à-dire de quelque chose qui est hors de soi. Réaliser un tel ouvrage qui répond à des critères de qualité objectifs, cela permet de sortir de soi, de s'oublier derrière son ouvrage. Cette extériorité offre un rapport plus objectif aux défauts, aux imperfections. Les critiques du résultat sont moins perçues comme des attaques directes que comme des incitations à la correction des erreurs.
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