La fin d'une histoire d'amour, c'est une liste de choses qu'on n'accomplira plus ensemble.
Elle lui pardonnait ses mensonges, ses sautes d'humeur, ses fatigues inexpliquées, et avait renoncé à comprendre comment un homme aussi fourbe et roué pouvait réaliser de pareils chefs-d'oeuvres d'humanité.
Quand Jo ( Joseph I. Breen) s'inquiétait pour vous, ce n'était jamais bon signe, quelle que soit sa cordialité prétendument emplie de sollicitude. Elle devinait la suite: il ferait inscrire son nom sur ces listes noires qui circulaient d'un studio à l'autre, puis le public prendrait le relais. Bref, il la briserait. Car l'Amérique, qui ne supportait pas d'être déçue par ses idoles, ne pourrait que se sentir trahie par une Suédoise qu'elle avait, un peu trop naïvement sans doute, placée sur un piédestal en prenant pour argent comptant la vie privée qu'elle affichait. On la suppliait donc de se reprendre, autrement dit de se soumettre et d'expliquer que toute cette histoire n'était qu'un malentendu ou une calomnie infondée. Il n'était pas trop tard, même si la Ligue de décence catholique évoquait déjà un possible boycott de ses films. Son agent, Kay Brown, lui apprit également par un autre courrier qu'un sénateur du Colorado, Edwin C. Johnson, s'agitait dans l'ombre. Cet ancien chef de gare du Kansas,président de la Ligue ouest de base-ball, n'était sans doute pas le meilleur juge du néoréalisme italien, pourtant il avait réclamé une projection de Rome, ville ouverte. Impatient de faire tomber Rossellini, ce brillant esprit n'y avait rien vu d'autre que l'apologie du communisme. Il avait également ouvert une enquête sur Bergman. McCarthy n'avait pas encore déclaré ouverte la chasse aux sorcières, mais on se faisait déjà les dents sur Bergman-Rossellini, duo adultère et bouc émissaire idéal.
Ainsi en colère, elle lui rappela soudain Magnani. Étrange, songea-t-il, toutes les femmes qui s'énervaient, se ressemblaient.
« Avec moi, ce n’est pas du cinéma, on joue sa peau. » (p. 133)
« Cher M. Rossellini,
J’ai vu vos films Rome, ville ouverte et Païsa, et les ai beaucoup appréciés. Si vous avez besoin d’une actrice suédoise qui parle très bien anglais, qui n’a pas oublié son allemand, qui n’est pas très compréhensible en français, et qui en italien ne sait dire que «ti amo», alors je suis prête à venir faire un film avec vous. »
L’essentiel dans la vie, ce n’était pas l’exactitude, mais les libertés qu’on prenait et qui ne s’accommodaient pas toujours de la vérité.
Il l'entraînait déjà. Mais elle avait le sens des convenances et elle résista, trop mollement cependant pour ne pas se retrouver collée à lui. Il l'embrassa comme elle l'avait imaginé. Avec fougue. Avec ardeur. Elle ferma les yeux. Rossellini put ainsi mieux l'observer, faisant sur elle un zoom parfumé à la cigarette, au rhum-tequila et à l'eau de vaisselle. Donné à quelques mètres du salon, sous la menace d'un flagrant délit, ce premier baiser eut aussi pour lui un goût particulièrement délicieux.
Nous avons essayé de tourner la scène avec le poulpe, mais il est mort. Nous aurions pu utiliser un autre poulpe, mais ici, on s’arrête de travailler quand un membre de l’équipe décède »…
Il continuait à la persuader de sa guérison et lui apprit que Youri Gagarine, lors de son premier vol en orbite, avait délivré à la planète le message suivant : «Je salue la fraternité des hommes, le monde des arts et Anna Magnani.»
Elle refusa de le croire, mais elle avait tort, pour une fois il disait la vérité.