Par l'art, l'homme impose donc au réel une maîtrise qui, en étant « gratuite », lui permet de contempler les effets de sa volonté et de son pouvoir. C'est en cela que l'œuvre peut être un plaisir pour l'auteur et une source de plaisir pour le spectateur : elle est une sorte de « jeu » de l'homme avec ses propres facultés. Qui ne voit en effet, dans les somptueuses natures mortes que peignaient les Flamands au dix-septième siècle, non seulement le goût des beaux objets et de la « consommation », mais aussi le plaisir supérieur de maîtriser le trajet de la lumière à travers les transparences et les corps, de capter les appâts de la matière dans une appropriation dont toute consommation est exclue ? Qui ne voit dans les constructions d'un Fernand Léger, au début de ce siècle la volonté de « reprendre en main » le monde de la machine ? Mais c'est sans doute la musique qui représente le mieux ce libre exercice de la volonté en créant, dans l'univers sonore, un domaine rigoureusement artificiel et totalement maîtrisé, absolument irréductible à toute manifestation « naturelle ».
(p. 67-68)