Citations sur Les Chansons de Bilitis (suivi de) Pervigilium Mortis (16)
Psyché, ma soeur, écoute immobile, et frissonne...
Le bonheur vient, nous touche et nous parle à genoux.
Pressons nos mains. Sois grave. Écoute encor... Personne
N'est plus heureux, ce soir, n'est plus divin que nous.
Et toutes deux ont suivi ces hommes. Elles n'avaient pas de seins, Bilitis. Elles ne savaient même pas sourire. Elles trottaient comme des chevreaux qu'on emmène à la boucherie.
Épigrammes dans l’île de Chypre
La robe déchirée
« Holà ! par les deux déesses, qui est l’insolent qui a mis le pied
sur ma robe ? — C’est un amoureux. — C’est un sot. — J’ai été
maladroit, pardonne-moi.
— L’imbécile ! ma robe jaune est toute déchirée par derrière, et
si je marche ainsi dans la rue, on va me prendre pour une fille
pauvre qui sert la Kypris inverse.
— Ne t’arrêteras-tu pas ? — Je crois qu’il me parle encore ? —
Me quitteras-tu ainsi fâchée ?… Tu ne réponds pas ? Hélas ! je
n’ose plus parler.
— Il faut bien que je rentre chez moi pour changer de robe. —
Et je ne puis te suivre ! — Qui est ton père ? — C’est le riche
armateur Nikias. — Tu as de beaux yeux, je te pardonne. »
/Ed. Librairie Charpentier et Fasquelle, 1949
Les noces
Le matin, on fit le repas de noces, dans la maison d’Acalanthis
qu’elle avait adoptée pour mère. Mnasidika portait le voile blanc
et moi la tunique virile.
Et ensuite, au milieu de vingt femmes, elle a mis ses robes de
fête. Parfumée de bakkaris, poudrée de poudre d’or, sa peau
frileuse attirait des mains furtives.
Dans sa chambre pleine de feuillages, elle m’a attendue comme
un époux. Et je l’ai emmenée sur un char entre moi et la
nymphagogue. Un de ses petits seins brûlait dans ma main.
On a chanté le chant nuptial ; les flûtes ont chanté aussi. J’ai
emporté Mnasidika sous les épaules et sous les genoux, et nous
avons passé le seuil couvert de roses.
/Ed. Librairie Charpentier et Fasquelle, 1949
Le désir
Elle entra, et passionnément, les yeux fermés, elle unit ses lèvres
aux miennes et nos langues se connurent… Jamais il n’y eut
dans ma vie un baiser comme celui-là.
Elle était debout contre moi, toute en amour et consentante.
Un de mes genoux, peu à peu, montait entre ses cuisses
chaudes qui cédaient comme pour un amant.
Ma main rampante sur sa tunique cherchait à deviner le corps
dérobé, qui tour à tour onduleux se pliait, ou cambré se
raidissait avec des frémissements de la peau.
De ses yeux en délire elle désignait le lit ; mais nous n’avions
pas le droit d’aimer avant la cérémonie des noces, et nous nous
séparâmes brusquement.
/Ed. Librairie Charpentier et Fasquelle, 1949
Élégies à Mytilène
La petite Astarté de terre cuite
La petite Astarté gardienne qui protège Mnasidika fut modelée à
Camiros par un potier fort habile. Elle est grande comme le
pouce, et de terre fine et jaune.
Ses cheveux retombent et s’arrondissent sur ses épaules étroites.
Ses yeux sont longuement fendus et sa bouche est toute petite.
Car elle est la Très-Belle.
De la main droite, elle désigne son delta, qui est criblée de petits
trous sur le bas-ventre et le long des aines. Car elle est la Très-
Amoureuse.
Du bras gauche elle soutient ses mamelles pesantes et rondes.
Entre ses hanches élargies se gonfle un ventre fécondé. Car elle
est la Mère-de-toutes-choses.
/Ed. Librairie Charpentier et Fasquelle, 1949
Le tombeau des naïades
Le long du bois couvert de givre, je marchais ; mes cheveux
devant ma bouche se fleurissaient de petits glaçons, et mes
sandales étaient lourdes de neige fangeuse et tassée.
Il me dit : « Que cherches-tu ? » — « Je suis la trace du satyre.
Ses petits pas fourchus alternent comme des trous dans un
manteau blanc. » Il me dit : « Les satyres sont morts.
« Les satyres et les nymphes aussi. Depuis trente ans, il n’a pas
fait un hiver aussi terrible. La trace que tu vois est celle d’un
bouc. Mais restons ici, où est leur tombeau. »
Et avec le fer de sa houe il cassa la glace de la source où jadis
riaient les naïades. Il prenait de grands morceaux froids, et les
soulevant vers le ciel pâle, il regardait au travers.
/Ed. Librairie Charpentier et Fasquelle, 1949
Souvenez-vous qu'un soir, couchés sur notre couche,
En caressant nos doigts frémissants de s'unir,
Nous avons échangé de la bouche à la bouche
La perle frémissante où dort le Souvenir.
LE VIEILLARD ET LES NYMPHES
Un vieillard aveugle habite la montagne.
Pour avoir regardé les nymphes, ses yeux sont morts, voilà longtemps.
Et depuis, son bonheur est un souvenir lointain
« Oui, je les ai vues, m’a-t-il dit : Helopsychria, Limnanthis ;
elles étaient debout, près du bord, dans l’étang vert de Physos.
L’eau brillait plus haut que leurs genoux.
« Leurs nuques se penchaient sous les cheveux longs.
Leurs ongles étaient minces comme des ailes de cigales.
Leurs mamelons étaient creux comme des calices de jacinthes.
« Elles promenaient leurs doigts sur l’eau
et tiraient de la vase invisible les nénufars à longue tige.
Autour de leurs cuisses séparées, des cercles lents s’élargissaient… »
L’ARBRE
Je me suis dévêtue pour monter à un arbre ;
mes cuisses nues embrassaient l’écorce lisse et humide;
mes sandales marchaient sur les branches.
Tout en haut, mais encore sous les feuilles et à l’ombre de la chaleur,
je me suis mise à cheval sur une fourche écartée
en balançant mes pieds dans le vide.
Il avait plu. Des gouttes d’eau tombaient et coulaient sur ma peau.
Mes mains étaient tachées de mousse,
et mes orteils étaient rouges, à cause des fleurs écrasées.
Je sentais le bel arbre vivre quand le vent passait au travers ;
alors je serrais mes jambes davantage et j’appliquais mes lèvres ouvertes
sur la nuque chevelue d’un rameau.