Michel Lunven est un dinosaure. Il ne s'en cache pas. le titre provocateur des mémoires qu'il publie à près de 80 ans lui a peut-être été suggéré par son éditeur, Frédéric Guéna, fils d'Yves Guéna, figure historique du gaullisme qui fut notamment le dernier gouverneur colonial à Abidjan … et le premier ambassadeur de France en
Côte d'Ivoire. Il en est peut-être allé de même de la photo de couverture qui le montre dans un avion du GLAM aux côtés de Jacques Foccart. Ce titre percutant et cette photo révélatrice annoncent clairement la couleur. A rebours des critiques qui dénoncent les crimes incestueux dont la Françafrique se serait rendue coupable, depuis les pamphlets de
François-Xavier Verschave jusqu'au récent – et excellent – documentaire de
Patrick Benquet « Françafrique 50 années sous le sceau du secret » , l'ambassadeur Lunven entend réhabiliter l'action de la France en Afrique.
Il le fait en racontant les quinze dernières années de sa carrière. En 1986, il devient l'adjoint de Jacques Foccart à Matignon, un homme qui a priori ne lui était « pas particulièrement sympathique » (p. 17) mais avec lequel s'établit rapidement « une vraie connivence » (p. 19) fondée sur « la même passion de l'Afrique » (id.) et la même conviction « de la nécessité de préserver, envers et contre tout, cette zone d'influence française sur ce continent » (id.). En 1988, il est nommé ambassadeur au Niger – où il avait auparavant déjà dirigé la mission de coopération. Il reconnaît y avoir pratiqué « l'ingérence sans états d'âme » (p. 321) en y organisant les premières élections libres du pays mais le justifie par le soucie de la France « d'écarter un autocrate » (id.) et « d'éviter la guerre civile » (id.). En 1993, il effectue une mission de bons offices en Centrafrique et parvient, là encore, à organiser non sans mal des élections libres. En 1995, dernier poste au Gabon, « oasis relative de prospérité et de paix » (p. 217) auprès de
Omar Bongo, une personnalité qui « [l]e fascine » (p. 278), doté d'une « intelligence aigüe » (id.), d'une « mémoire prodigieuse » (id.) et d'un « humour décapant ». En 1998, frappé par la limite d'âge, l'ambassadeur Lunven rentre en France et fait bénéficier pendant pour quelques années le groupe Bouygues de son « carnet d'adresses » (p. 307) et des « bonnes relations » (id.) qu'ils avaient conservés au Quai d'Orsay.
On l'aura compris :
Michel Lunven assume sans ciller la fidélité à une certaine idée de la France, attachée au maintien de relations spécifiques avec l'Afrique. Par opposition aux Modernes qui entendent normaliser ces relations, il est un Ancien qui estime que la France a des intérêts particuliers en Afrique (héritage historique, francophonie, intérêts économiques, importantes communautés françaises …) qui justifient qu'elle y exerce un rôle particulier . Sa vie entière consacrée à l'Afrique témoigne de la sincérité de son engagement. Son hostilité affichée à la réforme de la Coopération placée en 1997-1998 sous le signe de la normalisation de la relation franco-africaine (intégration du ministère de la Coopération au Quai d'Orsay) est logique. La cruauté avec lequel il dépeint la cohorte de « parasites et d'intrigants » français qui hantent les palais présidentiels africains – au nombre desquels il range Robert Bourgi – l'exonère de tout soupçon de complicité avec les pires pratiques de la Françafrique.
Pour autant, il se dégage de la lecture de ses mémoires un parfum un peu rance d'une diplomatie paternaliste et surannée. Paternaliste à l'égard des Africains qui sont considérés à mots couverts comme des êtres immatures, déchirés par des luttes ethniques ancestrales, inaptes à la démocratie. Surannée quant au mode de fonctionnement d'une représentation diplomatique dont l'ambassadeur Lunven, bien qu'il s'en défende, donne l'image d'une féodalité dirigée par un « patron incontesté » (p. 45) assisté de sa fidèle épouse (le chapitre intitulé « La résidence de l'ambassadeur : le domaine de l'ambassadrice » est un modèle du genre), parvenant tant bien que mal à gérer une équipe de collaborateurs d'inégale qualité, dans le silence assourdissant du Quai qui le laisse sans instruction et sans moyens. Seule circonstance atténuante : l'ambassadeur Lunven a quitté le Quai d'Orsay en 1998 à une époque où Internet (le mot n'apparaît pas une seule fois dans ses mémoires) et l'évaluation à 360° n'y avaient pas encore fait leur entrée.