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Citations sur Le radiateur d'appoint (23)

Aujourd’hui et depuis quelques semaines, Xavier, donc, n’est pas dans son assiette. Et cette fois, ni son ex-femme, ni ses parents, ni la truculente Valérie, ni personne ne pourront l’écouter ou en être émus. C’est à cause de moi qu’il n’est pas bien. Je n’en ai pas l’air avec mon emballage, mais j’ai un défaut.
Lorsqu’on me choisit, on me ramène chez soi, on me déballe, puis l’agacement commence.
D’une part je suis suremballé. Des coussinets de polystyrène m’enserrent de partout afin que toute ma contenance épouse parfaitement mon grand carton d’emballage. Il y a plusieurs notices d’utilisation traduites en une trentaine de langues, et d’autres livrets de mises en garde diverses et variées, des logos garantissant ma qualité et ma sécurité sur le territoire européen. Pour plus de sûreté, mes coussinets de polystyrène sont ceinturés de bandes de plastique toilées et thermocollées. Ma prise électrique est enroulée comme un petit lasso et tenue par plusieurs bagues de fils de fer plastifiées ; elle est aussi protégée d’une goulotte de la même matière que celle que l’on emploie pour fabriquer des sachets de plastique. Une sorte de grande capote d’une matière identique entoure également tout mon corps de métal émaillé dans ce que la notice appelle « l’étui ».
Enfin, deux photos autocollantes au format A4, me représentant dans un chaleureux salon, flanquent chacune de mes parois d’émail perforées par lesquelles doit se diffuser ma chaleur d’appoint électrique.
C’est vraisemblablement dans ce dernier détail que s’est logé le défaut, la catastrophe.
Ces deux autocollants sont extrêmement fastidieux à retirer ; il faut me gratter, utiliser des ustensiles trouvés chez soi, tout ce qui racle, user ses ongles, des éponges à récurer, de l’eau brûlante, des liquides dissolvants, il faut insister, recommencer… Les autocollants ne se retirent que petit bout par petit bout. Souvent, et comme lors d’un gommage dans un hammam, de petits vestiges enroulés se logent dans mon mécanisme, alors que la notice est très claire sur les risques encourus avec « l’insertion de corps étrangers dans les orifices de votre radiateur ».

Plusieurs fois, l’un de mes modèles avait été rapporté au magasin à cause de ce défaut de finition… Cela s’était le plus souvent résolu bon an mal an à coup d’arguments sur le fait que le magasin n’est pas responsable de tout, que malgré tout c’est encore le client qui est roi « à ce que je sache », pour finir le plus souvent par des tractations engageant des « Bons achats », des « avantages carte » ou des remises anticipées… La révolte à grande échelle n’avait donc pas eu lieu jusqu’ici.
Notre stock pourtant était important, et, selon Étienne Quarrar, supérieur de Xavier, il fallait nous écouler… Le grand froid était une aubaine finalement ; les gens seraient concentrés là-dessus et ne viendraient pas nous casser les couilles toutes les trois minutes avec des histoires d’autocollants récalcitrants sur un pauvre radiateur à 100 balles !
Mon prix exact est de 89 euros et 78 cents…
Xavier, depuis des années, craignait autant qu’il admirait Étienne. Ce grand échalas blond vénitien taillé dans la pierre, les plats en sauce et le sport en salle tous les jeudis, en imposait un max. Il était un gars qu’il ne fallait pas emmerder. Sa femme, ses gosses, ses clebs, les gens, le gouvernement… C’était lui ou eux… Et il avait toujours choisi lui. Directement, sans détour, l’assumant avec des formules telles que « on a qu’une vie, ça va durer deux minutes ».
Il avait fait des sports de combats durant plusieurs années, et, même s’il ne pratiquait plus depuis un accident de voiture qui n’avait rien à voir, il en parlait suffisamment pour créer autour de lui une attirance inquiète qu’il appréciait particulièrement. Du personnel, il faisait ce qu’il voulait et ne craignait que très peu les cabrades éventuelles, estimant que le pourcentage de gens angoissés de leurs factures et smartphones à payer serait désormais bien plus important que celui révolu de ceux, rares, fantasmant encore, sans grande rage, octobre rouge.
Xavier aussi il le tenait. Il avait tout fait, comme avec d’autres, pour tout savoir de sa vie, dans une relation qu’il avait d’abord entretenu comme de la franche camaraderie. Les bières au cul du camion, les pizzas payées de sa poche entre midi et deux au Vesuvio, haut lieu de quelques cadres sup de la zone indus’, les échanges de DVD ou de Clés USB, avaient entre eux cimenté quelque chose dont Xavier n’aurait jamais la force de se défaire totalement. Il l’avait également emmené à sa salle de sport. Xavier avait été fier de cette invitation et avait changé trois fois de tenue d’entraînement avant de l’y rejoindre. Sur la route il avait même eu une sorte de trac incompréhensible. Là-bas, ils avaient couru de concert sur des tapis inclinés, rigolé grassement des blagues salasses qu’Étienne balançait sans vergogne à quelques licenciées quadragénaires aux formes généreuses, soulevé de la fonte dans un rapport prof-élève subtilement inapproprié et pris une douche aux vestiaires. Dans le sauna, qu’Étienne avait exigé dans des plaisanteries légionnaires, les dernières confidences de Xavier sur sa vie et surtout la liste de ses faiblesses étaient tombées tout naturellement. Étienne n’avait plus qu’à ramasser, y allant lui aussi de quelques traits de caractère sincères, mais sans grandes précisions. Après il le lança sur le cul, s’étonnant des expériences trop banales et rangées de Xavier, pour mieux pérorer sur ses propres exploits, sa nécessité à jouir souvent, ses infidélités qu’il trouve naturelles tant qu’elles ne font pas de mal, sa bite qu’il a trop grosse, mais qui est devenue avec le temps sa meilleure amie. Il raconta enfin deux trois partouzes d’avant son mariage avec deux bombes atomiques rencontrées au rayon visserie. Une autre fois une pipe mémorable dans les échantillons de sols stratifiés avec une cliente venue demander un remboursement. Il racontait et surveillait son emprise. Quand Xavier, recroquevillé dans son coin, rougissant sous sa mini-serviette prêtée par la salle eut soudain une demi-molle provoquée par un quart d’heure d’intenable récit, Étienne put enfin l’achever totalement d’un gros rire enroué. « Eh ben, mon cochon, t’es pédé ou t’as pas vu une chatte depuis cinq ans ?! Allez viens, on sort, tu vas nous faire un AVC. » Xavier rit fort à son tour avant de lancer dans une voix un peu voilée. « T’es con… c’est toi là aussi avec tes trucs. » Étienne se tut, le fusilla du regard trois secondes, puis hurla à nouveau de rire. C’en était fait, il aurait désormais une autoroute pour humilier à sa guise et en cas de besoin le discipliné Xavier Lepers.
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Par ce froid, comment imaginer une seconde que des gens viendraient s’offrir une place de théâtre pour la nouvelle création de la compagnie Anouck Sens ?
Anouck se disait cela en attendant le bus 47. Elle se dit aussi, maintenant qu’elle y est installée, qu’elle a de vieilles mains. Elle les contemple longtemps, avec même un peu de complaisance. Les bagues, d’Inde ou du Maroc, au moins une à chacun de ses doigts, sont devenues pour certaines trop grandes. Elles tournent sans peine autour de ses phalanges. Les veines sont à présent saillantes sans qu’aucune pression au niveau du poignet ait besoin d’être exercée. Il y a quelques taches encore claires, et la certitude d’avoir échoué partiellement.
Il y a encore quoi ? Dix ans ? Quinze ans ? Elle croyait en sa place, en la culture. Elle y avait si longtemps cru. Elle avait tant œuvré dans la médiation culturelle, les ateliers de rencontres artistiques, les festivals hors les murs, les ateliers Handi-Culture, le théâtre en appartement, en bistrot, au carré d’or des boutiques partenaires « Pass’culture », les capsules « Raconte-moi ta troupe, dis-moi ton voisin ».
Elle avait fondé sa compagnie de théâtre contemporain grâce à sa version de Médée à partir de Botho Strauss et Heiner Müller, et dont la mise en scène avait atomisé le off à Avignon. Les subventions et les aides s’étaient obtenues. Des années durant. Avec la ville, une municipalité de gauche depuis quarante-sept ans, les liens avaient parfois été tendus, mais les projets d’Anouck étaient systématiquement et tacitement reconduits. Elle devait bien sûr avaler quelques couleuvres, faire le dos rond, être politique… Ne pas hurler dans des bureaux décideurs : « Je suis plus intelligente que vous ! Vous êtes plus que débiles ! Bande de connards ! », mais opter pour le jeu de rôles du dialogue construit, sur le mode du tac au tac à idées, faire semblant de rire, après tout, de ces petits bras de fer administrativo-artistiques, singer l’artiste puérile parfois, innocente, presque trop pure, si sensible : « D’un autre côté, des gens comme vous, il en faut », « Ah, ben moi, ce que j’aime avec les artistes, c’est justement qu’ils sont entiers quelque part », « Quelle emmerdeuse, mais quel talent ! Rien que d’apprendre les textes, je sais pas comment vous faites ! » Alors elle admettait, d’un rire, d’un sourire, d’un souffle du nez minimisant, d’un coup de coude complice ; dans les cocktails, les vernissages, les premières des pièces des autres, ou des siennes, elle admettait ce masque de charmante petite enfant terrible qui faisait s’arracher les cheveux des commissions culture, mais qu’on adorait tant finalement.
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Il y eu pour elle ce mec endeuillé dans la glaciale lumière de l'hôpital, qui maintenant promène son visage entre ses jambes. Ce mec à soigner, à guérir un peu : elle adorerait bien sûr être la pionnière d'un truc entre homme et femme qui n'emprunte pas à cette caricature-là. Mais pour l'instant, ça l'excite, elle n'y peut rien.
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Désormais, dans sa vie, l'idée de retrouver quelqu'un quelque part ajoutera un peu de sens à toutes ses routes, à toutes ses errances.
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Moi je veux du calme. Les lions ça fait ça. Ça finit par se foutre sous un arbre et basta.
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Subir les hommes semble être sa croix. Elle ne veut plus de ça. Mais comment faire quand les événements se convoquent comme ça ?
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Elle est pas débile, elle le sait très bien qu'elle est moyenne. Comme les trois quarts de la population.
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Avec un brin de mythomanie, de l'arrangement, un talent certain pour récrire ou customiser la réalité, Patricia a toujours réussi à tenir debout. Parfois, elle perçoit pourtant parfaitement, très nettement, durant à peine une demi-minute, souvent en voiture le matin en se garant sur le parking des employés, qu'il ne faudrait que l'équivalent d'un courant d'air pour qu'elle s'écroule complètement, durablement, irrémédiablement.
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Cette grande nouille diplômée a sans doute été conçue sous ce pommier si les calculs de Françoise sont exacts.
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Il n'a jamais eu honte de son héritage prolétaire, du bleu de son père et du tablier de sa mère.
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