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EAN : 9782081421622
208 pages
Flammarion (28/10/2020)
3.23/5   142 notes
Résumé :
"Dans le magasin, Françoise n'en finit pas d'oublier pourquoi elle est venue. Deux ampoules pour la lampe du guéridon, du scotch double face pour un coin du lino du cellier, sans quoi elle finira par y rendre l'âme un jour, et un radiateur d'appoint pas trop lourd et efficace, c'est-à-dire tout moi. "

Ce roman est celui de nos zones d'activité, de nos fourmilières de solitudes, de nos villes nouvelles ; des routes, des chemins, des rayons que nous em... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (28) Voir plus Ajouter une critique
3,23

sur 142 notes
Le narrateur est peu banal. Il est en effet assez rare en littérature, voire inédit, qu'un radiateur d'appoint prenne la parole. Et pourtant, il a des choses à dire ce radiateur. D'abord sur le thème de l'autocritique. Car son bas prix, en promotion dans une grande surface du bricolage cache à peine une qualité médiocre et un défaut majeur, un autocollant extrêmement difficile à ôter. C'est trivial mais très important pour la suite de l'histoire.


Le narrateur atterrit donc chez Françoise, une retraitée qui vit seule aux abords d'une zone commerciale faite de tôles et de panneaux vifs, jouxtant un magasin de parquet qui prétend encore lui rogner un peu de son jardin en liquidant sans état d'âme le pommier de son jardin. Outre le voisinage plutôt affligeant, Françoise a de plus des soucis avec sa chaudière. Elle a froid et elle tente de remédier à cet inconfort en acquérant le fameux narrateur.


L'artifice est l'occasion pour l'auteur que l'on connait pour ces talents d'acteur, de jeter un regard critique sur les travers de notre société de consommation qui fait fi des contacts humains pour privilégier l'acquisition de biens, toujours plus, toujours mieux. Et de mettre ainsi sur la touche une génération qui n'a su prendre le train en marche, tout en déshumanisant par la technique et la recherche de rentabilité tout ce qui était l'occasion de créer des liens. On pense à Alya, l'hôtesse de caisse, à Xavier le chef de rayon, à Patricia, la forte en gueule, tous à la fois responsables mais non coupables du drame qui se trame.


Lu avec un grand plaisir, pour la qualité de l'écriture et le talent pour reproduire les tics de langage des personnages, ce qui rend les dialogues très vivants. Et pour le fond moral de l'histoire, qui nous fait espérer qu'il y aura vraiment un monde d'après pour effacer le monde d'avant.

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Les artistes français ont raison de se plaindre. Dès qu'ils sortent de leur périmètre, on les massacre. Isabelle Carré ne serait que comédienne. Olivia Ruiz ne saurait que chanter. Moi je suis curieuse, et je choisis Alex Lutz pour me faire une opinion. Il me fait rire, et son film « Guy » est une petite merveille.
J'ai lu « le radiateur d'appoint » sans me préoccuper de la personnalité de l'auteur. Je juge ici « le livre ». Alors tuons le suspens, je suis très mitigée.
Le sujet est léger (le monde vu d'un radiateur), la construction du récit hasardeuse (Anouck ne sert à rien) et le style, est souvent très lourd.
Alex Lutz abuse des « il y a », des « c'est », des insultes (souvent gratuites) et des adverbes (inutiles). C'est dommage parce qu'il a un vrai talent (ce n'est pas une surprise) pour brosser le portrait des gens du coin de la rue, jusque dans leurs manies, leur fragilité, leur absurdité - avec malice et tendresse (beaux exemples pages 15, 26, 30,164). J'ai eu parfois l'impression qu'il retenait son humour comme si le roman était une chose trop sérieuse pour l'accueillir. Et pourtant, son humour grinçant est de haute volée (p56, p100), fait d'un décalage entre l'énormité d'une situation et la réflexion anodine qui la conclue.
Lutz excelle dans le tic et le toc, les tracas du quotidien, les mesquineries anonymes, les travers du voisin, la déprime d'un supermarché en bord de rocade… Mais ça ne suffit pas à faire un roman. J'ai eu l'impression d'une succession de petits sketchs mal ficelés entre eux, sans vraie intrigue pour les porter. En rodage sur des dizaines de page, Alex Lutz décolle un peu sur la fin, quand on vire au drame. Normal, Alex est un clown triste, le désarroi se cache derrière ses blagues. Un sujet léger, disais-je ? En (grande) surface, seulement. Un radiateur est défectueux. Son commerce, entre complaisance et négligence, tue la petite vieille, comme un symbole de ce grand capitalisme qui nous étouffe. Un premier essai inabouti donc, mais pas inintéressant.
Bilan : 🌹🔪
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Zut, ma critique a disparu ou alors je l'ai mal validée. Me laisse les deux étoiles, donc pas terrible. de plus, vague souvenir que le narrateur est un radiateur qui a un problème de dysfonctionnement et qu'une vieille dame en paiera les frais. M'y suis ennuyée comme de réécrire cette rubrique, donc je m'arrête là.
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Je n'ai pas été étonné quand j'ai appris qu'Alex Lutz avait écrit un livre. Tout le monde écrit, les anciens présidents, les acteurs, les chanteurs, bref, tout ce qui est dans la lumière écrit, comme si c'était le Graal, le summum, l'art ultime. Selon la personnalité de chacun, on est en droit de douter ou d'espérer. Que peut avoir à nous raconter un ex-président poursuivi par de multiples affaires juridiques ou amoureuses, un chanteur sans voix ni charisme à propos de son père ou sa mère, ou une présentatrice météo victime d'un cancer de sein ou d'un mari violent.
Lutz, c'est différent, il est vif, intelligent et pratique déjà de nombreuses disciplines artistiques. Alors, pourquoi pas l'écriture ?
C'est là qu'on se rend compte qu'écrire un roman n'est pas à la portée de tous, si ce n'est dans le style, au moins dans la structure et le fond.
Dès l'approche de son roman, difficile de passer à côté de l'énorme bandeau rouge, certainement voulu par l'éditeur et le service marketing, et d'oublier qui est l'auteur.
Mais il bénéficie d'un a priori positif, comme je l'ai dit, je l'aime bien l'Alex, et je tenais à le lire avant d'être saturé de sa présence partout dans les médias.

Bref, qu'en est-il de ce Radiateur d'appoint ?
C'est là que ça se complique.
Tout est ambivalent. le sujet paraît léger, le monde vu d'un radiateur, sympa… mais on verse vite dans la morosité du quotidien des personnages, la misère architecturale des zones commerciales envahissantes, les rapports patrons-employés et les échecs de nombreux personnages. Nombreux n'est pas un vain mot.
Pour commencer, la place du narrateur. Il passe d'innocent comme un radiateur industriel qui n'a rien demandé, au narrateur omniscient lyrique et un tantinet poétique, vif, pour alterner sans cesse selon les personnages qui pensent ou agissent. Cela fait un peu souk, et on finit par perdre l'identité et l'intention. D'ailleurs, le radiateur porte bien son nom d'appoint, car il va et vient sans prévenir, disparaissant parfois au point de surprendre par son retour.
Cela entraîne aussi un style chaotique allant du poétique au vulgaire gratuit, heureusement teinté d'un humour à la Lutz, pouvant se permettre de franchir certaines lignes rouges du littérairement correct grâce à son ton vif.

Le fil de l'histoire ? Au départ, c'est celle d'un radiateur d'appoint vendu avec des défauts connus par les vendeurs et responsables du magasin, mais trop pressés de se débarrasser du stock (heureusement, une vague de froid va permettre des les y aider) pour ne plus en entendre parler… enfin, espèrent-ils.
Ça, c'est l'histoire de départ. Il y a aussi la rencontre de personnages issus du même quartier, aujourd'hui adultes et dispersés dans la société, qui se retrouvent autour du sujet principal.

Si l'auteur arrive à tirer des portraits pointillistes des personnages de cette grande banlieue sans âme ni avenir nous donnant un aperçu de son talent, il nous perd par ses digressions multiples. le livre est long à démarrer, beaucoup de personnages, de points de vue. On se demande parfois quand l'intrigue amorcée difficilement va revenir. C'est dommage, car on sent là une force narrative personnelle nous embarquant dans l'intimité de chacun, que ce soit dans leurs pensées ou leurs actes, voire leurs tics et leurs tocs. On vit plus une succession de scènes courtes qu'un roman proprement dit.

On est aussi dans cette atmosphère de cités au bord des rocades qui se font manger par les zones commerciales. On y découvre Françoise, le premier personnage qui achète le fameux radiateur, en lutte avec la grande surface qui jouxte son terrain et qui vient lui dérober à coups de justice quelques mètres carrés où pousse son vieux pommier pour être remplacé par une enseigne promotionnelle. On est dans ces transports en commun quotidiens, les clopes fumées sur le parking pendant la pause, les relations entre collègues et supérieurs hiérarchiques, etc.

Une fois tout cela exprimé, que faire ? D'abord se poser la question quant au rôle de l'éditeur qui aurait pu — ou dû — travailler avec l'auteur. Beaucoup de points cités en amont auraient pu être améliorés, fluidifiés, recadrés.
Beaucoup de sujets sont abordés, comme les conditions de travail, la banlieue, la famille, la solitude, le bonheur, l'évolution des amis d'enfance qui se retrouvent adultes, la consommation, etc. On sent que l'auteur a beaucoup de choses à dire ou de comptes à régler, comme c'est souvent le cas dans un premier roman.
Tout cela est dommage, car on ressent bien que, malgré ces faiblesses, Alex Lutz manie bien le verbe et trace bien ses personnages et situations. Il possède un sens de l'humour déjà avéré, mais n'est pas arrivé à le transcrire ou à se libérer pour laisser libre cours à ce style qui aurait pu faire de ce roman une première réussite.
Il faut parfois s'exposer pour être confronté au lecteur, voici qui est fait… à quand le deuxième qui sera, comme tous les seconds romans, attendu et scruté en détail ?
Lien : http://dominiquelin.overblog..
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Une lecture « pince sans rire » de saison…
Sans réfléchir vraiment, nous avons tous été amenés à acheter… un de ces petits radiateurs… ou autres appareils électriques… parce que la chose installée en tête de gondole, dans le grand magasin… « immanquable » et à un prix défiant toute concurrence… s'est imposée à nous. En plus, il fait froid… ça peut servir… « Il me le faut – J ' A C H E T E ».
Une satire sociale bien actuelle ! J'ai un peu retrouvé l'esprit d'Olivier Adam dans « les lisières ». Des personnages haut en couleur, souvent en colère, blasés, d'autres soumis, dépressifs… Ce n'est pas vraiment la joie…
Il est question de la France des banlieues et des immenses zones commerciales et un monde de l'entreprise (ici un géant du bricolage) pas vraiment « jojo » et une clientèle bien naïve.
Tout part donc d'un moins 10, ressenti moins 25 que tout les médias ressassent… La bonne idée… que d'aller acheter son petit radiateur d'appoint, un samedi, dans une grande zone commerciale.
Je ne connaissais pas ou peu Alex Lutz… Il était l'invité de la BO chez Nagui en décembre dernier, sur France Inter, et je l'ai dernièrement vu chez Claire Chazal défendre son dernier film et son livre… Pour les deux sujets, j'avoue qu'il a su m'interpeller… et pour ce premier roman c'est plutôt réussi ! Je vous le conseille !
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Citations et extraits (23) Voir plus Ajouter une citation
Aujourd’hui et depuis quelques semaines, Xavier, donc, n’est pas dans son assiette. Et cette fois, ni son ex-femme, ni ses parents, ni la truculente Valérie, ni personne ne pourront l’écouter ou en être émus. C’est à cause de moi qu’il n’est pas bien. Je n’en ai pas l’air avec mon emballage, mais j’ai un défaut.
Lorsqu’on me choisit, on me ramène chez soi, on me déballe, puis l’agacement commence.
D’une part je suis suremballé. Des coussinets de polystyrène m’enserrent de partout afin que toute ma contenance épouse parfaitement mon grand carton d’emballage. Il y a plusieurs notices d’utilisation traduites en une trentaine de langues, et d’autres livrets de mises en garde diverses et variées, des logos garantissant ma qualité et ma sécurité sur le territoire européen. Pour plus de sûreté, mes coussinets de polystyrène sont ceinturés de bandes de plastique toilées et thermocollées. Ma prise électrique est enroulée comme un petit lasso et tenue par plusieurs bagues de fils de fer plastifiées ; elle est aussi protégée d’une goulotte de la même matière que celle que l’on emploie pour fabriquer des sachets de plastique. Une sorte de grande capote d’une matière identique entoure également tout mon corps de métal émaillé dans ce que la notice appelle « l’étui ».
Enfin, deux photos autocollantes au format A4, me représentant dans un chaleureux salon, flanquent chacune de mes parois d’émail perforées par lesquelles doit se diffuser ma chaleur d’appoint électrique.
C’est vraisemblablement dans ce dernier détail que s’est logé le défaut, la catastrophe.
Ces deux autocollants sont extrêmement fastidieux à retirer ; il faut me gratter, utiliser des ustensiles trouvés chez soi, tout ce qui racle, user ses ongles, des éponges à récurer, de l’eau brûlante, des liquides dissolvants, il faut insister, recommencer… Les autocollants ne se retirent que petit bout par petit bout. Souvent, et comme lors d’un gommage dans un hammam, de petits vestiges enroulés se logent dans mon mécanisme, alors que la notice est très claire sur les risques encourus avec « l’insertion de corps étrangers dans les orifices de votre radiateur ».

Plusieurs fois, l’un de mes modèles avait été rapporté au magasin à cause de ce défaut de finition… Cela s’était le plus souvent résolu bon an mal an à coup d’arguments sur le fait que le magasin n’est pas responsable de tout, que malgré tout c’est encore le client qui est roi « à ce que je sache », pour finir le plus souvent par des tractations engageant des « Bons achats », des « avantages carte » ou des remises anticipées… La révolte à grande échelle n’avait donc pas eu lieu jusqu’ici.
Notre stock pourtant était important, et, selon Étienne Quarrar, supérieur de Xavier, il fallait nous écouler… Le grand froid était une aubaine finalement ; les gens seraient concentrés là-dessus et ne viendraient pas nous casser les couilles toutes les trois minutes avec des histoires d’autocollants récalcitrants sur un pauvre radiateur à 100 balles !
Mon prix exact est de 89 euros et 78 cents…
Xavier, depuis des années, craignait autant qu’il admirait Étienne. Ce grand échalas blond vénitien taillé dans la pierre, les plats en sauce et le sport en salle tous les jeudis, en imposait un max. Il était un gars qu’il ne fallait pas emmerder. Sa femme, ses gosses, ses clebs, les gens, le gouvernement… C’était lui ou eux… Et il avait toujours choisi lui. Directement, sans détour, l’assumant avec des formules telles que « on a qu’une vie, ça va durer deux minutes ».
Il avait fait des sports de combats durant plusieurs années, et, même s’il ne pratiquait plus depuis un accident de voiture qui n’avait rien à voir, il en parlait suffisamment pour créer autour de lui une attirance inquiète qu’il appréciait particulièrement. Du personnel, il faisait ce qu’il voulait et ne craignait que très peu les cabrades éventuelles, estimant que le pourcentage de gens angoissés de leurs factures et smartphones à payer serait désormais bien plus important que celui révolu de ceux, rares, fantasmant encore, sans grande rage, octobre rouge.
Xavier aussi il le tenait. Il avait tout fait, comme avec d’autres, pour tout savoir de sa vie, dans une relation qu’il avait d’abord entretenu comme de la franche camaraderie. Les bières au cul du camion, les pizzas payées de sa poche entre midi et deux au Vesuvio, haut lieu de quelques cadres sup de la zone indus’, les échanges de DVD ou de Clés USB, avaient entre eux cimenté quelque chose dont Xavier n’aurait jamais la force de se défaire totalement. Il l’avait également emmené à sa salle de sport. Xavier avait été fier de cette invitation et avait changé trois fois de tenue d’entraînement avant de l’y rejoindre. Sur la route il avait même eu une sorte de trac incompréhensible. Là-bas, ils avaient couru de concert sur des tapis inclinés, rigolé grassement des blagues salasses qu’Étienne balançait sans vergogne à quelques licenciées quadragénaires aux formes généreuses, soulevé de la fonte dans un rapport prof-élève subtilement inapproprié et pris une douche aux vestiaires. Dans le sauna, qu’Étienne avait exigé dans des plaisanteries légionnaires, les dernières confidences de Xavier sur sa vie et surtout la liste de ses faiblesses étaient tombées tout naturellement. Étienne n’avait plus qu’à ramasser, y allant lui aussi de quelques traits de caractère sincères, mais sans grandes précisions. Après il le lança sur le cul, s’étonnant des expériences trop banales et rangées de Xavier, pour mieux pérorer sur ses propres exploits, sa nécessité à jouir souvent, ses infidélités qu’il trouve naturelles tant qu’elles ne font pas de mal, sa bite qu’il a trop grosse, mais qui est devenue avec le temps sa meilleure amie. Il raconta enfin deux trois partouzes d’avant son mariage avec deux bombes atomiques rencontrées au rayon visserie. Une autre fois une pipe mémorable dans les échantillons de sols stratifiés avec une cliente venue demander un remboursement. Il racontait et surveillait son emprise. Quand Xavier, recroquevillé dans son coin, rougissant sous sa mini-serviette prêtée par la salle eut soudain une demi-molle provoquée par un quart d’heure d’intenable récit, Étienne put enfin l’achever totalement d’un gros rire enroué. « Eh ben, mon cochon, t’es pédé ou t’as pas vu une chatte depuis cinq ans ?! Allez viens, on sort, tu vas nous faire un AVC. » Xavier rit fort à son tour avant de lancer dans une voix un peu voilée. « T’es con… c’est toi là aussi avec tes trucs. » Étienne se tut, le fusilla du regard trois secondes, puis hurla à nouveau de rire. C’en était fait, il aurait désormais une autoroute pour humilier à sa guise et en cas de besoin le discipliné Xavier Lepers.
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Par ce froid, comment imaginer une seconde que des gens viendraient s’offrir une place de théâtre pour la nouvelle création de la compagnie Anouck Sens ?
Anouck se disait cela en attendant le bus 47. Elle se dit aussi, maintenant qu’elle y est installée, qu’elle a de vieilles mains. Elle les contemple longtemps, avec même un peu de complaisance. Les bagues, d’Inde ou du Maroc, au moins une à chacun de ses doigts, sont devenues pour certaines trop grandes. Elles tournent sans peine autour de ses phalanges. Les veines sont à présent saillantes sans qu’aucune pression au niveau du poignet ait besoin d’être exercée. Il y a quelques taches encore claires, et la certitude d’avoir échoué partiellement.
Il y a encore quoi ? Dix ans ? Quinze ans ? Elle croyait en sa place, en la culture. Elle y avait si longtemps cru. Elle avait tant œuvré dans la médiation culturelle, les ateliers de rencontres artistiques, les festivals hors les murs, les ateliers Handi-Culture, le théâtre en appartement, en bistrot, au carré d’or des boutiques partenaires « Pass’culture », les capsules « Raconte-moi ta troupe, dis-moi ton voisin ».
Elle avait fondé sa compagnie de théâtre contemporain grâce à sa version de Médée à partir de Botho Strauss et Heiner Müller, et dont la mise en scène avait atomisé le off à Avignon. Les subventions et les aides s’étaient obtenues. Des années durant. Avec la ville, une municipalité de gauche depuis quarante-sept ans, les liens avaient parfois été tendus, mais les projets d’Anouck étaient systématiquement et tacitement reconduits. Elle devait bien sûr avaler quelques couleuvres, faire le dos rond, être politique… Ne pas hurler dans des bureaux décideurs : « Je suis plus intelligente que vous ! Vous êtes plus que débiles ! Bande de connards ! », mais opter pour le jeu de rôles du dialogue construit, sur le mode du tac au tac à idées, faire semblant de rire, après tout, de ces petits bras de fer administrativo-artistiques, singer l’artiste puérile parfois, innocente, presque trop pure, si sensible : « D’un autre côté, des gens comme vous, il en faut », « Ah, ben moi, ce que j’aime avec les artistes, c’est justement qu’ils sont entiers quelque part », « Quelle emmerdeuse, mais quel talent ! Rien que d’apprendre les textes, je sais pas comment vous faites ! » Alors elle admettait, d’un rire, d’un sourire, d’un souffle du nez minimisant, d’un coup de coude complice ; dans les cocktails, les vernissages, les premières des pièces des autres, ou des siennes, elle admettait ce masque de charmante petite enfant terrible qui faisait s’arracher les cheveux des commissions culture, mais qu’on adorait tant finalement.
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"Excusez-moi, un client à New York, je reviens dans un instant", s'excuse-t-il dans code de langage qui dissimule la méfiance d'autrui. Cet effroi innocent des débuts professionnels avec lequel il a fallu composer ; pour lequel la pratique du mensonge systémique n'était plus un vilain péché de l'enfance, mais un salut, une armure d'adulte actif. Des formules de couloir dans le souffle de quelques costumes anthracite, gravées comme des mantras : "Le mec a fait confiance, ça l'a flingué", "Ben, t'es gentil, tu vires, qu'est-ce que tu veux que je te dise...", "Elle aurait jamais dû parler de ses mômes, elle est folle..." Le mensonge pour la peur, donc, coupable, mais caressé, presque nié par des résultats performants, un appart à jalouser, un pouvoir d'achat sans crainte, des vacances partout dans le monde, des miles accumulés, des conquêtes offertes, une certaine hauteur d'esprit... Il y a bien ces maux de ventre matin, midi et soir et quelques démangeaisons... À cela aussi, on s'habitue. (p.58)
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Il lui semble tout voir, tout comprendre jusqu'à la nausée de la société dégueulasse dans laquelle elle vit. Chaque bâtisse, chaque panneau publicitaire, chaque forme de lampadaire, la matière appauvrie de sa doudoune, les tronches de ces putains de bagnoles, les tronches des gens qui sont dedans, le M lumineux du McDo qui pointe sa gueule deux cents mètres avant ses putains de nuggets surgelés, la décoration de vitrine de l'onglerie Lorie qui se donne des airs d'émission de M6, ces bus à la con avec des cons dedans, elle la première, esclaves volontaires qui au mieux défoncent des bonbons sur un iPhone à 1 000 balles, au pire se prennent en photo avec en espérant le centième de la vie des Kardashian ou de la moindre instagrameuse débile, les mongols sur leur scooter qui font des roues levées huit fois devant sa gueule en pensant que ça pourrait provoquer chez elle l'envie d'aller les pomper dans les chiottes d'une sandwicherie.
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Est-ce l’évocation des souvenirs de Françoise ou simplement ce mot de l’enfance, « maman » - ce mot de l’enfance lâché là et presque identique dans tous les pays du monde - qui soudain fait trembler la voix de Thibault et l’emporte dans les aigus comme si elle n’avait jamais mué ?
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Videos de Alex Lutz (13) Voir plusAjouter une vidéo
Vidéo de Alex Lutz
L'acteur, scénariste et réalisateur Éric Judor a répondu à nos questions et à celles d'un public hilare lors de "Rendez-vous en séries", la masterclass de "Télérama" organisée avec Série séries à l'Auditorium du "Monde", le 2 avril 2024.
00:00:00 Comment écrire une bonne blague ("H", "La Tour Montparnasse infernale") 00:09:30 La rencontre avec Ramzy Bedia, la naissance de "H" et son héritage 00:20:15 "Platane", "Moot-Moot", et la comédie selon Éric Judor 00:44:10 Son rapport avec Quentin Dupieux 00:50:11 Éric Judor et la portée politique des oeuvres
01:00:00 Questions du public : Alex Lutz et le projet américain d'Éric Judor 01:03:00 Question du public : sa plus belle réussite 01:04:00 Question du public : "Roulez jeunesse" 01:06:20 Question du public : son retour sur scène avec Ramzy 01:07:38 Question du public : comment on fait une blague (bis) 01:09:40 Question du public : "Week-end family" 01:10:44 Question du public : les invités dans "Platane" 01:13:12 Question du public : comment se construit un épisode de "Platane" 01:16:08 Question du public : son arrivée sur TikTok 01:17:50 Question du public : "Tout le monde s'appelle Éric" 01:19:45 Question du public : la catastrophe de la captation du deuxième spectacle d'Éric et Ramzy 01:23:00 Question du public : Éric enfant
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